Concilier études et sport de haut niveau : un investissement et un défi

Publié par Echosciences Grenoble, le 17 juillet 2023   960

Solène Lefebvre du Grosriez, Doctorante, Laboratoire SENS (Sport et Environnement social), Université Grenoble Alpes (UGA); Philippe Sarrazin, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA) et Sandrine Isoard-Gautheur, Maîtresse de conférences en psychologie sociale de la santé et de l'activité physique, Université Grenoble Alpes (UGA) - Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Faire des études tout en étant athlète de haut niveau est souvent présenté comme un moyen de maintenir un bon équilibre de vie et de préparer l’après-carrière sportive. Pour autant, cet engagement simultané expose les personnes concernées à des défis bien plus exigeants que ceux auxquels sont confrontés les étudiants et étudiantes ou athlètes investis dans un seul rôle.

Comme le suggère une étude menée en Finlande, ces exigences accrues ne sont pas sans conséquence pour leur santé mentale : 60 % des lycéens et lycéennes-athlètes interrogés présentaient une santé mentale fragilisée, attestée par la présence de symptômes de burn-out sportif et académique. Les conséquences se répercutent aussi sur l’implication durable dans le projet sportif et la performance réalisée. En effet, que ce soit dans le contexte sportif, académique ou professionnel, une mauvaise santé mentale aura un effet délétère sur les performances.

L’étude menée en Finlande établit également un lien entre le burn-out et l’abandon du projet sportif. Plus précisément, les étudiants et étudiantes-athlètes dont le niveau de burn-out sportif et scolaire augmentait sur les 3 années de l’étude étaient plus susceptibles d’abandonner leur projet sportif, entravant ainsi les chances d’atteindre le niveau de l’élite.

Un défi d’organisation

Une récente revue systématique a fait ressortir un manque d’études sur les exigences spécifiques au double projet, qui peuvent parfois se recouper (par exemple, la recherche de la performance et le temps requis pour la réalisation du projet).

S’ajoutent à cela d’autres facteurs de stress qui peuvent être d’ordre social (par exemple, le fait de déménager loin de chez soi/de sa famille), financier (par exemple, la nécessité de s’engager dans des activités professionnelles supplémentaires) ou administratif (par exemple, l’acquisition d’un statut officiel d’étudiant-athlète).

Nombre d’athlètes de haut niveau évoquent leur double projet (professionnel ou académique et sportif) comme un défi d’organisation et de planification, à l’image d’Astrid Guyart, escrimeuse olympique française et ingénieure aérospatiale, qui témoigne : « j’ai l’impression que ma vie, c’est un Tetris ».

Comme dans ce jeu où il s’agit d’empiler des figures formées par quatre cubes, les personnes menant un double projet tentent de combiner les exigences liées aux différents aspects de leur vie. L’ensemble de ces facteurs de stress font peser des risques en termes de santé mentale sur les étudiants et étudiantes-athlètes. Il semble alors pertinent d’examiner comment sont gérées ces nombreuses exigences et quelle influence chacun des projets peut avoir sur l’autre.

Des risques de conflit

Si l’on manque d’indicateurs sur la gestion du double projet dans le contexte sport-études, on dispose d’informations sur la conciliation du travail et de la vie de famille. La théorie des rôles, issue de la psychologie du travail, suggère qu’il existe des interférences entre le rôle professionnel et le rôle familial. De là est née la notion de conflit travail-famille qui est définie comme « une forme de conflit inter-rôles dans laquelle les pressions exercées par les rôles par les domaines professionnel et familial sont mutuellement incompatibles sur certains aspects » (traduction libre).

Dans cette perspective, les individus disposent d’une quantité limitée de ressources, telles que l’énergie et le temps. Quand ils endossent différents rôles, ils doivent faire des compromis en termes d’utilisation de ces ressources, ce qui peut générer des conflits.

Au lycée Sévigné près de Rennes, des sportifs de haut niveau adaptent leurs études (France 3 Bretagne, 2017).

Ces conflits apparaissent également dans le contexte sport-études, l’étudiant ou l’étudiante-athlète pouvant se retrouver dans l’impossibilité d’assister à un entraînement parce qu’il a un cours en même temps, ou encore, dans l’obligation de choisir entre réviser pour un examen ou se reposer pour récupérer avant une compétition.

Les conflits travail-famille identifiés dans le contexte professionnel ne sont pas sans conséquence sur la santé mentale et physique. Plus précisément, les personnes ressentant un conflit entre leurs rôles éprouveraient des émotions négatives, une insatisfaction dans la vie, des symptômes de tension et un bien-être diminué.

Du conflit à l’enrichissement

Cependant, la théorie des rôles ne se limite pas aux interactions négatives entre les deux rôles. Elle souligne également l’existence d’interactions positives, dénommées enrichissement et définies comme le fait que « les expériences vécues dans un rôle [projet] améliorent la qualité de vie dans l’autre rôle [projet] » (traduction libre).

Selon cette perspective, chacun des rôles peut apporter un plus à l’autre rôle. Ainsi, les connaissances et compétences acquises dans le domaine sportif telles que la planification des objectifs, ou encore, la gestion du stress peuvent aider les étudiants et étudiantes-athlètes à mieux gérer leur planning dans le domaine académique, ou à mieux gérer le stress à l’approche des examens.

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D’un autre côté, les connaissances et compétences acquises dans le domaine académique, telles que celles issues de la physiologie ou de l’anatomie, peuvent aider les étudiants et étudiantes-athlètes à mieux connaître leur corps, et ainsi, à mieux gérer leurs efforts sportifs. Dans le contexte travail-famille, l’enrichissement est positivement relié à la santé mentale et physique. Ce qui signifie que les personnes qui perçoivent un fort enrichissement entre leurs deux rôles rapportent une meilleure santé mentale et physique.

Notre travail a consisté à mettre en lumière l’influence des interactions de rôles sur la santé mentale des étudiants et étudiantes-athlètes. À l’instar des travaux réalisés dans le contexte travail-famille, nous avons mis en évidence que, lorsqu’ils et elles percevaient une interaction positive (c’est-à-dire, un enrichissement) entre le sport et leurs études, alors leur niveau de santé mentale était plus élevé. À l’inverse, s’ils et elles percevaient une interaction négative (c’est-à-dire, un conflit) entre les deux projets alors leur niveau de santé mentale était plus faible.

Plus précisément, nos travaux ont révélé trois profils caractéristiques des étudiants et étudiantes-athlètes (cf. graphique) :

  • un profil présentant un haut conflit et un faible enrichissement ;
  • un profil présentant un haut conflit et un haut enrichissement ;
  • et un profil présentant un faible conflit et un haut enrichissement.

Il semblerait (cf. tableau) que le premier profil soit un profil à risque car il est associé à de hauts niveaux de burn-out (un indicateur négatif de la santé mentale) et de faibles niveaux d’engagement (un indicateur positif de la santé mentale), que le second soit un profil à surveiller, car associé à de hauts niveaux de burn-out et d’engagement, et que le troisième soit un profil adaptatif car associé à de faibles niveau de burn-out et de hauts niveaux d’engagement.

Fourni par l'auteur

À partir de ces profils, deux voies ont été identifiées pour préserver la santé mentale :

  • le burn-out pourrait être réduit en diminuant le conflit et/ou en augmentant l’enrichissement ;
  • l’engagement pourrait être amélioré en augmentant l’enrichissement quel que soit le niveau de conflit.

En conclusion de cette étude, il semblerait que la façon dont les étudiants et étudiantes-athlètes perçoivent leur investissement dans les deux domaines soit à même d’influencer leur ressenti. Si pour elles et eux, leur sport facilite ou enrichit leurs études, ou si leurs études enrichissent leur sport, alors les conséquences ressenties seront positives. Au contraire, si les études sont vécues comme un frein ou une gêne à la carrière sportive, ou si leur sport est un frein à leurs études, alors les conséquences ressenties seront négatives.

Il semble intéressant dans un premier temps, de comprendre à quels moments les étudiants et étudiantes-athlètes manifestent du conflit ou de l’enrichissement, pour pouvoir ensuite identifier les leviers qui leur permettraient de mieux gérer leur double projet, à savoir : réduire le conflit et augmenter l’enrichissement entre leurs deux projets.

Par ailleurs, même si, parfois, le conflit semble inévitable, et que certains perçoivent le sacrifice des études comme une nécessité pour pouvoir réussir dans le sport, il existe des aménagements porté par les universités qui permettent de mieux concilier les deux projets. The Conversation

Solène Lefebvre du Grosriez, Doctorante, Laboratoire SENS (Sport et Environnement social), Université Grenoble Alpes (UGA); Philippe Sarrazin, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA) et Sandrine Isoard-Gautheur, Maîtresse de conférences en psychologie sociale de la santé et de l'activité physique, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.