Comment Luminopolis réinvente la médiation scientifique

Publié par Joel Chevrier, le 9 novembre 2017   5.3k

Luminopolis est une exposition de sciences sur la lumière conçue par Cap Sciences à Bordeaux. Des groupes de visiteurs s’y transforment en équipes de chercheurs, par la seule magie du lieu. Pour résoudre les énigmes que l’exposition leur propose dans une escape room géante, il leur faut expérimenter ensemble. Mais inutile d’espérer que des scientifiques viennent à leur rescousse en cas de difficulté. Il n’y en a pas en vue. Des animateurs sont là, si nécessaire pour aider… à trouver seul. Comme au labo. Et, vu la foule, ça marche !

Une fréquentation exceptionnelle

C’est l’heure de la pause pour deux animateurs à Cap Sciences. Grosse affluence en ce week-end à Luminopolis. D’accord, il pleut sur Bordeaux et ça doit aider. Mais les résultats sont là : ils sont excellents, pluie ou pas.

La conversation tourne autour du profil des visiteurs, obtenu pratiquement en temps réel grâce à l’accompagnement numérique des visiteurs « Ça se confirme auprès des ados. Ils sont bien plus nombreux que dans nos prévisions. Ils viennent en bande de copains et même reviennent pour améliorer leurs scores. Ça fait quand même plaisir ! ». Mais Jules se lève et laisse son café : « J’y vais. Il y a un groupe, en fait une grand-mère et son petit fils, qui a du mal on dirait. En tous cas, regarde, leurs stats indiquent qu’ils pataugent. Ils ont besoin d’aide. »

Bien sûr, pour certains visiteurs, Luminopolis est peut-être un peu déroutante de prime abord, surtout si on s’attend à découvrir une exposition en se promenant dans des allées. Mais grâce à l’environnement numérique discret mais en fait ubiquitaire, les animateurs veillent et peuvent même adapter immédiatement la difficulté du parcours proposé pour que le public puisse jouer et s’interroger sur cette lumière au cœur du réel, de notre monde, de nos vies.

Il ne faut pas ici bouder son plaisir. Luminopolis est un carton en terme de fréquentation. 27 357 visiteurs (grand public) en 100 jours de présentation, une fréquentation des scolaires du 03 juin au 12 septembre, pendant les vacances donc, de 4 259 enfants. Comme me l’a fait remarquer Vincent Jouanneau, Commissaire de l’exposition, c’est aussi une fréquentation étonnante des 15-25 ans, une des cibles visées. Et comme l’exposition dure jusqu’en septembre 2018, les chiffres promettent d’être impressionnants.

Gamification

Au cœur de ce projet, il y a une Escape Room géante qui permet d’accueillir beaucoup de monde. Elle est construite autour d’une « gamification » réussie qui met en musique les expérimentations à travers des énigmes, basées sur de vraies manipulations scientifiques.

Jouer avec les chemins des rayons lumineux dans l’espace, voilà une énigme qui me rappelle une séance de travaux pratiques d’optique géométrique…

Avec 41 énigmes, on est donc invité à beaucoup expérimenter et à chercher en groupe. Le parcours le plus simple contient 10 énigmes, le plus avancé 18. Les visiteurs ne sont exposés qu’à une quantité de connaissances limitée, et hors de toute actualité scientifique. C’est clairement un choix assumé qui cherche à souligner qu’« il faut que le réel soit une question, et pas une donnée ». suivant le propos d’Étienne Klein dans une interview à Libération.

Et puis il y a cette maîtrise étonnante d’un environnement numérique original et très efficace, bien que très peu visible. Les visiteurs sont invités à garder en main un passeport, autrement dit un bout de plastique inerte doté d’une puce RFID, qui contrairement à un écran, ne vient pas parasiter votre expérience « In Real Life ».

Quatre grands thèmes mettant en valeur la lumière structurent l’exposition. Bien qu’omniprésente dans nos vies, elle reste une interrogation pour la plupart des champs de la connaissance et de l’ensemble de l’activité humaine, croyances comprises bien sûr.

Outil pédagogique

Les longueurs d’onde de la lumière avec les couleurs de l’arc-en-ciel dans le spectre visible. Mais pour nos yeux au-delà des UV, plus de couleurs visibles. Cap Sciences Bordeaux

Tout cet environnement est au service d’un objectif premier : nous faire vivre cette expérience de l’étonnement permanent au cœur de la recherche. Ici et maintenant, Luminopolis met l’accent sur l’exploration, l’expérimentation conduite par le raisonnement, c’est-à-dire le cœur de la méthode scientifique, en fait sur ce que l’on ne peut pas faire en ligne : faire et partager l’expérience rationnelle du réel.

« Jouer à la science entre amis » dans Luminopolis, c’est bien « faire de la science ». Résoudre les énigmes les unes après les autres, pour finalement s’extraire de l’Escape Room, c’est faire l’expérience autonome de la démarche scientifique. Si 71,5 % des visiteurs réussissent à se sortir de l’Escape Room dans le parcours lumineux, le plus facile des trois, seulement 43,5 % sortent au terme du « parcours flamboyant ». Pourtant, personne ne déplore la difficulté de ce deuxième parcours, ni les concepteurs ni les joueurs. Le parcours difficile doit être difficile, et certains reviennent pour surmonter leur échec ou faire mieux.

L’absence de scientifiques

Tout cela, en l’absence de chercheurs, ou de scientifiques professionnels sur place. Car c’est aussi en cela que Luminopolis, exposition pour le plus grand nombre, est remarquable : c’est le dispositif d’ensemble construit par Cap Sciences avec des scientifiques, qui fait faire de la science à tous, et pas la présence de ces derniers. En jouant dans Luminopolis à résoudre les énigmes, on essaye, on discute, on se trompe, on recommence, on progresse, et on finit par savoir par soi même si l’on a obtenu un résultat correct et partageable…

Luminopolis est emblématique, je crois, de l’innovation que porte aujourd’hui la culture scientifique en France. Cette exposition n’est évidemment pas le stade ultime de la transformation de l’expo de sciences en espace de recherche scientifique, ludique, collaboratif, autonome et ouvert à tous, mais elle est un pas dans cette direction. Luminopolis est donc elle même à mes yeux une recherche en cours.

Si elle est clairement due au talent, à l’engagement et à l’expérience de l’équipe de Cap Sciences, Luminopolis est aussi un des aboutissements de InMediats. InMediats est un programme d’innovation, de développement financé par le Programme national des Investissements d’Avenir, dans le cadre de l’appel à projets 2011 intitulé « Développement de la culture scientifique, technique et industrielle et l’égalité des chances ».

Ces dernières années, InMediats a donc rassemblé cinq CCSTI (centre de culture scientifique, technologique et industriel) en régions : Cap Sciences à Bordeaux, La Casemate à Grenoble, l’Espace des Sciences à Rennes, Science Animation à Toulouse et Le Dôme à Caen ainsi que Universcience à Paris. Au cœur du programme InMediats se trouvait une question majeure : « Comment développer la CCSTI à l’ère digitale en cherchant à éveiller l’intérêt des 15-25 ans, habituellement les grands absents, notamment des expositions de sciences ? » On dirait qu’ils en profitent bien, les 15-25 ans, autour de Bordeaux !

Joel Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Image de titre: Entrée de l’escape room en passant par « une cavité optique géante » dans laquelle “résonne” une œuvre d’art, Lux Aeterna de Adela Andea. Cap Sciences BordeauxAuthor provided