Ciel, mon lichen !
Publié par Marion Bisiaux, le 9 avril 2015 6.8k
Méconnus, on ne réserve souvent aux lichens qu’une fade ignorance ou même une certaine crainte. Ceux-ci sont pourtant étonnants ! Marion Bisiaux a rencontré le lichenologue isérois Gregory Agnello pour en apprendre plus sur ces organismes étranges.
Les lichens ne sont autres qu’une subtile association entre un champignon (qui représente 15 à 90% de sa masse) et une algue verte ou une bactérie possédant de la chlorophylle. Pas farouche, le champignon s’accommode parfois de l’algue et de la bactérie en même temps, dans un subtil ménage à trois où tout le monde y retrouve son compte. C’est ce qu’on appelle la symbiose. Ainsi, l’algue et/ou la bactérie transforment les nutriments (vitamines, acides aminés, minéraux) en sucres qui sont digérés par le champignon.
Méconnus, on ne réserve souvent aux lichens qu’une fade ignorance ou, parfois même, une certaine crainte, lorsqu’ils emmitouflent les arbres de leurs dentelles verdâtres. « Pourtant, en France, parmi les 3000 espèces de lichens identifiées, seulement trois sont reconnues comme toxiques. C’est à dire beaucoup moins que les champignons ! » précise Gregory Agnello, lichenologue pour le bureau d’étude Evinerude dans le Nord-Isère.
Les fins gastronomes gastéropodes ne s’y trompent d’ailleurs pas : ceux-ci consomment sans réticence ces drôles d’organismes, pour y puiser le sucre produit lors de la photosynthèse. Bien que peu nutritifs et jugés peu gouteux pour l’Homo sapiens sapiens à l’heure des pâtes à tartiner, macarons et autres douceurs sucrées, la soupe de lichens fait pourtant partie des traditions culinaires islandaises, qu’il est possible d’apprécier si l’on est doté de papilles tolérantes à l’amertume. Ne comptons pas cependant sur les lichens pour rassasier toute une nation à l’heure du souper. Croissant à une vitesse allant d’un dixième de millimètre par an à un centimètre par an, le lichen n’est pas destiné à une culture intensive.
Sa lenteur de croissance ne fait pas sa rareté car le lichen se retrouve partout sur la planète, des déserts glacés aux déserts arides, au bord de la mer et jusqu’à 4000 mètres d’altitude, de -40°C à +80°C. Selon Gregory Agnello, « Le lichen n’a besoin que de trois choses : un support où il peut croître en paix et à son rythme (un rocher, un arbre), un peu de soleil pour la photosynthèse, et quelques nutriments amenés par le vent et la pluie ». Les lichens sont en effet exempts de racines.
Non sujet à la vieillesse, le lichen n’a pas de date de péremption et ne meurt que lorsque qu’il est arraché, mangé, noyé ou brûlé. Il peut ainsi vivre plusieurs centaines d’années. Dans le cas des lichens que l’on voit dégringoler des branches des arbres, c’est le poids de la neige ou de la pluie qui va conduire son ombilic à se décrocher et le mener à sa perte. Les lichens ayant choisi comme support le substrat compact de la roche y sont souvent mieux protégés, mais le prix à payer pour qu’ils s’y installent est bien plus élevé : il leur aura fallu y dégrader un par un les cristaux constituant le rocher, pour s’y faire un petit nid, certains choisissant de détruire des roches basiques (calcaires) et d’autres, des roches acides contenant beaucoup de silice, comme le granite.
Sa durée de vie et son mode de nutrition passant exclusivement par les voies du ciel (pluie, air) fait du lichen un outil remarquable pour évaluer la qualité de l’air d’une agglomération. Ainsi Gregory Agnello, utilise les lichens comme indicateurs de la pollution atmosphérique. « Pour faire simple, plus on a d’espèces différentes, plus la qualité de l’air est bonne. L’inventaire des espèces poussant sur les arbres nous permet donc d’avoir une bio-intégration sur les cinq dernières années. Différents protocoles existent ; le dernier, européen, préconise l'utilisation d'une grille standardisée plaquée contre un tronc et à l'intérieur de laquelle l'ensemble des espèces et leur recouvrement sur l'écorce sont relevés ».
A partir d’un calcul « plus simple à comprendre que la relativité d’Einstein », notre lichénologue peut aboutir à un indice biologique qui, après avoir été interprété, peut être mis en parallèle avec la qualité de l'air. Ensuite, si l’on veut savoir quelle est la nature exacte des polluants affectant les lichens, il faut passer à la récolte et à l’analyse des particules de pollution piégées par les filaments des champignons du lichen. « Il serait possible de faire de même avec les champignons simples, mais ceux-ci sont peu présents en ville. D’où l’intérêt des lichens que l’on peut prélever sur les arbres, à une hauteur supérieure à 1,50m pour éviter notamment une contamination par les urines des quadrupèdes et bipèdes ! », précise le spécialiste.
En tant que témoins d’un monde changeant, ne devrions-nous pas mieux considérer ces petits organismes et les regarder attentivement grandir ? N’avons-nous pas à apprendre beaucoup d’un organisme qui nous suggère que pour vivre longtemps, mieux vaut s’associer, économiser ses déplacements et prélever dans la nature uniquement ce qui nous tombe du ciel ?
>> Pour aller plus loin :
- Le site internet du bureau d’étude EVINERUDE : http://www.evinerude.fr/
- "Un peu de lichénologie ne fait pas de mal !" De Grégory Agnello, texte mis en ligne par l’écomusée de Sainte Baume
- Association Française de Lichenologie : http://www.afl-lichenologie.fr
>> Crédits : Gregory Agnello