Cerveau & Émotions
Publié par Maïa Sallier, le 24 juin 2021 2.4k
Au programme de cette émission, vous entendrez tout d'abord une chronique de Maïa sur l’expression des émotions dans notre corps. Ensuite, vous entendrez l’interview de notre invité de la semaine, Alan Chauvin, maître de conférence au Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition de l’Université Grenoble Alpes et du CNRS, à propos de son travail sur l'aphantasie, l'incapacité de se représenter une image mentale. Enfin, vous assisterez à une petite expérience visuelle et sonore en direct.
Pour réécouter le podcast de l'émission "Cerveau et émotions" diffusée le 19 mai 2021 sur les ondes de RCF Isère, c'est juste ici ⬇
Une émission réalisée par Maïa Sallier et présentée par Nicolas Boutry
La chronique de Maïa : L'expression des émotions dans notre corps
Alors pourquoi est-ce que nous avons des sueurs froides quand nous éprouvons de la peur ? Pourquoi est-ce qu'on pleure quand nous sommes tristes ? Pourquoi est-ce qu'on est détendu après avoir bien ri ? Vous allez répondre à ces questions tout de suite Maïa, avec votre chronique sur l’expression des émotions dans le corps.
Nos émotions naissent dans les entrailles de notre cerveau, dans le système limbique. Pour commencer, une image, un son, un goût, une odeur ou encore une sensation de toucher, messages entrant dans le corps arrivent au thalamus, une sorte de centre de triage du courrier. Les sons, direction l’aire auditive et les images sont envoyés à l’aire visuelle. Parallèlement, les messages sont transmis à l'amygdale qui a pour mission de détecter les événements nouveaux de notre quotidien. C’est à ce niveau là que l'on prend conscience de nos émotions.
Et comment est-ce qu’on en arrive à l’expression physiologique de nos émotions ?
Alors les données analysées vont ensuite vers l’hypothalamus, qui a l'immense pouvoir de contrôler tout le système nerveux autonome : les battements du cœur réguliers, la respiration systématique et le bon fonctionnement de la digestion. L’hypothalamus est joueur et possède deux pédales : un accélérateur pour les émotions intenses et une de frein quand l’émotion est terminée. Voilà pourquoi quand on ressent des émotions, notre corps change de comportement !
Alors imaginons que nous sommes en train de regarder un film d’horreur dans le salon et d'un coup un zombie court tout droit vers nous. Comment notre corps va-t-il réagir à la peur ?
Donc il s'agit d'une image effrayante, qui est perçue par l'œil et traitée par le cerveau. La situation est nouvelle et alarmante ! L'hypothalamus s’empresse donc d’appuyer de toute ses forces sur la pédale d’accélérateur. Le corps tout entier va alors se préparer à fuir le danger : la respiration s’accélère, le cœur tambourine dans la poitrine et la digestion s’arrête net. Grâce à cela, les muscles, bien alimentés, sont prêts à faire bondir illico presto notre corps hors du canapé ! Les glandes surrénales, situées dans notre bas du dos, vont subitement envoyer dans le sang de d’énergie pure : l’adrénaline ! On se met à pâlir car le sang se dirige en priorité vers les muscles des jambes pour nous permettre de fuir le danger. Le système de refroidissement du corps, lui, le fait transpirer comme si on avait fait du sport : ce sont les fameuses sueurs froides.
Et pourquoi est-ce qu’on pleure quand on est triste ?
Les larmes sont fabriquées dans des glandes lacrymales qui sont situées au-dessus des yeux, qui fonctionnent comme une bonne entreprise de nettoyage de l'œil. En temps normal, elles filtrent le sang et fabriquent en petites quantités un liquide nettoyant pour les yeux. Mais lors d’un gros chagrin, elles se mettent à produire abondamment et les paupières débordent. Les larmes coulent. Mais souvent, après avoir pleuré un bon coup, on se sent souvent beaucoup plus léger. C’est parce que les larmes permettent d’évacuer hors du corps les hormones du stress qui circulent dans les vaisseaux sanguins.
Allez, terminons sur une émotion positive comme la joie !
Le rire permet de provoquer une décharge de dopamine, une substance qui parcourt en quelque sorte les fils électriques de notre cerveau. On éprouve alors une forte sensation de plaisir. Mais le cerveau fabrique aussi des endorphines, une substance anti-douleur qui voyage dans le sang et irrigue toutes les parties du corps. On se sent alors sur un petit nuage.
Alors on n'hésite pas, toutes les bonnes raisons pour rire entre amis, c'est bon pour la santé, on l'aura compris. Merci beaucoup Maïa pour cette chronique.
L'interview d'Alan Chauvin, maître de conférence au Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition de l’Université Grenoble Alpes et du CNRS, à propos de son travail sur l'aphantasie, l'incapacité de se représenter une image mentale
Alan Chauvin, Bonjour et Bienvenue !
Bonjour !
Alors pour commencer, vous travaillez au sein du groupe Vision et Émotion du LPNC, est-ce que vous pourriez nous expliquer plus précisément quelle est le domaine de recherche de ce groupe ? Sur quoi est-ce que vous travaillez en ce moment par exemple ?
Alors personnellement, je travail plutôt sur le côté vision de l'équipe Vision et Émotion. Ce qui m'intéresse c'est la perception visuelle, et comment on fait pour percevoir quelque chose. Lorsque vous voyez un objet, une chaise, votre environnement, qu'est-ce qui fait que vous reconnaissez une chaise ? Et après, plus particulièrement dans mon groupe, on travaille du côté vision, on parle de comment on reconnaît les objets, qu'est-ce que percevoir la couleur, jusqu'au côté intégration à travers les émotions. On essaye de faire le lien entre la perception visuelle sur les émotions et quel est le lien des émotions sur la perception visuelle.
Et donc quels sont les domaines d’application des différents travaux du groupe de recherche ?
C'est assez varié. Par exemple je travaille sur des déficits qui existent en terme de perception ou des différences individuelles. Je travaille actuellement sur une particularité qui s'appelle l'aphantasie, c'est l'incapacité à créer des images mentales. Une image mentale, c'est par exemple si vous fermez les yeux, je vous demande de penser à un éléphant rose, et vous vous imaginez un éléphant rose. Une personne qui a une aphantasie ne va pas être capable de s'imaginer l'éléphant rose. On travaille sur essayer de comprendre comment ça se passe, essayer de mesurer ce trouble là. Ensuite, on a des gens qui travaillent par exemple sur les interfaces cerveau-machine, pour essayer de comprendre et palier à des déficits, essayer d'imaginer et de mesurer la perception à travers les perceptions-émotions. On a quelqu'un qui a une application qui est très pratique, qui va travailler sur les caméras pour optimiser le traitement de l'information. Pourquoi ? Parce que en fait, la rétine humaine c'est un bon modèle de la perception visuelle et des capacités imagées.
Vous travaillez dans un laboratoire, en quoi consiste les expériences qui allient par exemple vue et émotions ? Est ce que vous pourriez nous donner un exemple ?
Alors pour la vue et émotions, il y a Aurélie Campagne qui serait mieux à même d'expliquer et qui travaille avec le CEA pour faire des interfaces cerveau-machine pour classifier les émotions ressenties par les personnes, avec un électroencéphalogramme. Ensuite, on a Pascal Hot, qui travaille sur le lien entre émotions et ce que l'on appelle le cerveau intestinal, le lien entre la cognition et le système nerveux autonome, et l'interaction entre les deux.
Et donc dans le cadre de vos recherches, quelles sont les expériences que vous faites par exemple ?
Je travaille vraiment sur le côté perception et mon idée c'est essayer de comprendre comment on fait pour percevoir. On sait que pour percevoir il y a deux informations essentielles, celles qui viennent de l'extérieur, qui passent par nos yeux et qui vont être traitées d'un point de vue du cerveau. Et une autre information : on a des connaissances et donc on va projeter nos connaissances sur l'environnement. Du coup, je travaille avec des expériences de ce type là. Et donc en particulier je manipule des illusions. Ce que je fais voir, ce que je présente à des sujets, c'est des images. Soit l'image ne bouge pas et on a pleins d'interprétations dessus, des images bistables. Soit à contrario des images qui n'ont pas d'informations, mais sur lesquelles le sujet va projeter ses connaissances. Justement on veut voir comment on peut mesurer ces choses là. Vous voulez que je vous donne une expérience concrète au niveau de l'image ?
Je suis partante !
Par exemple sur l'aphantasie, il s'agit de personnes qui n'ont pas de projections de leurs connaissances. On connait la forme des sons et la forme visuelle des objets. On a aussi des connaissances plus abstraites, sur comment utiliser les objets par exemple. En fait, on se pose déjà la question sur si la différence que j'appelle l'aphantasie est basée sur chaque modalité.
Par exemple, j'ai une image visuelle ici, qui est constituée de barres rouges verticales et bleus horizontales. Quand on met des lunettes avec un filtre rouge sur un œil et un filtre bleu sur l'autre œil, on va avoir une perception qui va être contradictoire. On va voir soit le rouge, soit le bleu, on ne va pas voir les deux à la fois. Au début du traitement visuel, l'information de l'œil droit et de l'œil gauche arrivent de manière séparée au cerveau et elles vont être ensuite intégrées. Quand on voit ce genre d'images , avec un filtre rouge et un filtre bleu, on voit soit l'image rouge verticale soit l'image bleu horizontale, et au bout d'un moment on va osciller entre les deux. Donc ça c'est la perception bistable. On sait que si je vous demande d'imaginer fortement quelque chose de bleu, vous allez avoir plus tendance à percevoir uniquement l'image bleu. Et en fait les personnes qui sont aphantasiques, a priori, n'arriveraient pas à modifier leur perception en fonction des consignes que je leur dis. Elles ne sont pas capables d'imaginer.
Actuellement, on est en train de monter une expérience en ligne pour essayer justement d'identifier et voir si on peut mesurer l'aphantasie avec cette image, que l'on appelle une image d'amorçage. On va le faire à la fois d'un point de vue visuel, mais aussi d'un point de vue auditif. Justement, en disant "vous allez écouter un son qui est grave, un son qui est aigu, ou alors un phonème particulier", on va voir si ces personnes là sont capables de modifier leur perception.
On peut peut-être écouter un exemple de ce son ?
Ici, on va écouter un son qui est bistable, on va avoir un son bas et un son aigu qui vont alterner, et au bout d'un moment, si on se concentre par exemple sur le son bas, on aura deux flux sonores, un son bas qui va être à base fréquence, un peu long, et un son aigu à haute fréquence.
[Extrait sonore à 10 minutes et 50 secondes]
Là j'entends bien l'alternance entre le son grave et aigu. C'est au bout de quelques secondes que l'on entend une différence ?
Oui quelques secondes en se concentrant par exemple que sur le son grave. En écoutant celui là, de façon isolée, on aura ensuite la perception d'un son grave long et d'un son aigu beaucoup plus court.
Ça y est, j'entends bien la différence entre les deux.
Ça peut être plus ou moins long en fonction des personnes, et le premier percept va aussi dépendre de chaque individu. Toutes ces choses là sont des choses pour lesquelles on n'a pas de réponses pour l'instant.
Merci beaucoup pour cette expérience en direct !
Autre question, en 2019, vous aviez participé à l'événement de vulgarisation scientifique Pint of Science, je rappelle d’ailleurs, qu’il a lieu en ligne aujourd’hui dans toute la France, est-ce que vous avez l’habitude de faire de la vulgarisation scientifique ?
Alors oui, oui dans le sens où tous les ans finalement ça m'arrive. C'est un peu par hasard, et puis après en fait comme je le fais de temps en temps on se passe un peu mon nom. J'ai participé au début à la semaine du cerveau, c'est un peu ce qui m'a lancé. J'ai participé à aller dans les écoles pour présenter mes travaux. Au début je suis allée dans l'école de ma fille, en discutant avec sa maîtresse, puis ensuite j'ai fait ça dans d'autres écoles et d'autres collèges. Il y a une pièce de théâtre pour laquelle j'ai participé, "La rue des voleurs" de Mathias Enard, qui a été jouée ici par Bruno Thircuir. Du coup il y avait tout un côté qui était de se poser la question de comment est-ce qu'on peut se créer un monde imaginaire pour avoir une mauvaise interprétation de notre environnement. On a eu une approche un peu scientifique. Je l'ai approché du côté perception, c'est-à-dire l'importance de nos connaissances, de ce que l'on sait ou de ce que l'on pense, et qui va changer complètement notre vision du monde. C'est une autre façon de le voir à notre niveau.
Pint Of Science, c'est aussi une façon rigolote de le faire. L'objectif c'était d'être près des gens. En général on fait venir les gens à l'université, là, c'était aller les voir. Il se trouve qu'il y a deux ans il y avait beaucoup d'étudiants, finalement j'ai retrouvé mes étudiants et peu de personnes qui n'avaient pas l'habitude de ce genre de dialogue.
La semaine du cerveau est pas mal pour ça, puisque l'on va dans des lieux qui ne sont pas des lieux de science.
Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite de votre carrière ?
De retourner en vrai avec des vrais étudiants et des vrais personnes, c'est le truc le plus important pour l'instant.
Je crois que tout le monde en a envie ! Merci beaucoup Alain Chauvin d’être venu aujourd’hui, je rappelle que vous êtes maître de conférence au Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition de l’Université Grenoble Alpes et du CNRS. Bonne continuation !
Merci beaucoup !
➡Sources de la chronique :
- Vidéo “C’est pas sorcier” : Joie, peur, tristesse, colère... QUE D'EMOTIONS !
- Émotions et leurs expressions, Anna Tcherkassof (Docteur en psychologie, maître de conférences à l'université de Grenoble et membre de l’International Society for Research on Emotion.)
- Le cerveau et les émotions, Thierry Bougerol, Cours de Médecine P1
Liens utiles :
- Lien vers le carnet de recherche sur l'aphantasie sur lequel travaille Alan Chauvin
- Le site internet du LPNC
Un article rédigé par Maïa SALLIER, stagiaire en communication scientifique chez RCF Isère et réalisatrice du Magazine des sciences.