Centres de sciences et vidéastes scientifiques : comment travailler ensemble ?
Publié par Marion Sabourdy, le 29 août 2017 4.2k
Depuis 2015, La Casemate a fait le choix de travailler régulièrement avec des vidéastes scientifiques. Retour sur ces collaborations et infos sur celles à venir, par Marion Sabourdy (@Fuzzyraptor), Chargée des nouveaux médias et Responsable éditoriale d’Echosciences Grenoble.
En juin dernier, nous vous racontions les activités de notre Media Lab dans cet article où était notamment citée la vidéaste Florence Porcel. Nous vous proposons aujourd’hui d’aller un peu plus loin sur le sujet des interactions entre vidéastes scientifiques et centres de sciences, en nous appuyant sur les collaborations que nous avons menées avec certains d’entre elles / eux. Comme d’habitude, cet article n’a pas vocation à dire ce qui doit être fait mais plutôt à présenter des pistes et des exemples, pour en discuter avec vous. A vos claviers / smartphones / caméras !
Un vidéaste… pour réaliser une vidéo
La première idée qui vient en tête lorsqu’on évoque une collaboration entre un établissement culturel et un vidéaste, c’est bien sûr la réalisation d’une vidéo - si possible drôle, funky, originale, décalée - sur une exposition ou un événement. Nous ne faisons pas exception et avons pu compter sur un vidéaste particulièrement expérimenté : Patrick Baud alias Axolot, pour nous concocter une vidéo sur l’exposition “Monstru’Eux, vous trouvez ça normal ?”, expo elle-même conçue avec le Muséum de Grenoble.
En quelques mots - le thème de l’expo s’y prêtant bien - nous avons décidé de nous rapprocher de Patrick pour qu’il nous raconte, à sa manière, le thème de l’exposition : la différence, la monstruosité. Quelques rendez-vous téléphoniques avec la directrice du Muséum et notre directeur plus tard, pour affiner le script, Patrick et son équipe débarquaient à Grenoble pour deux journées de tournage efficaces. La vidéo - simple, efficace, bien racontée - était ensuite postée sur la chaîne d’Axolot et rencontrait un franc succès : elle cumule près de 392 000 vues, un impact bien supérieur à ce que nous obtenons habituellement sur nos propres vidéos.
Des vidéastes… pour “teaser” un concours
Cette réussite et le plaisir de travailler avec une équipe aussi talentueuse qu'enthousiaste, nous a motivés à tenter une nouvelle expérience avec d’autres vidéastes. En effet, alors en pleine animation du concours Inno’Cup Jr à destination des 15-18 ans, nous avons décidé de monter un partenariat avec le Café des sciences, association de vulgarisateur du web qui compte la plupart des vidéastes scientifiques dans ses rangs. L'idée derrière ce partenariat : faire connaître le concours en passant par des vidéastes plutôt que par une campagne de communication classique. Mais il n’était pas possible de rémunérer les auteurs à la hauteur de ce que nous avions fait pour Axolot (et oui, à projet différent, budget différent…). Puisqu’il nous paraissait inconcevable de demander un travail entièrement gratuit aux vidéastes, il a alors été convenu de faire un don à l’association du Café des sciences et de solliciter les vidéastes volontaires, pour nous concocter une courte vidéo sur le thème du concours (“imaginer le futur”).
Les vidéos réalisées par FEEZ HIC, This is Science, BoilingBrains et Science de comptoir à cette occasion ont été rassemblées dans la playlist ci-dessous (cliquez dessus) :
Si l'expérience nous a intéressés, elle mériterait d'être renouvelée, cette fois-ci avec un accompagnement plus poussé, car les vidéastes, tous bénévoles, n'avaient pas forcément les moyens et le temps de produire des vidéos à la hauteur de leurs ambitions, même si celles-ci regorgent de bonnes idées et d'humour !
Un vidéaste… loin de sa caméra
Les vidéastes n’ont pas toujours à créer des contenus pour les institutions. Ils sont parfois les bienvenus pour une conférence, un atelier, une dédicace ou même pour “faire le show”. C’est ce que nous a proposé Baptiste Mortier-Dumont, aka ExperimentBoy lors de notre mini-Maker Faire de 2015. Habitué de ces événements et des manip’ qui impressionnent, ExperimentBoy a proposé des temps spectaculaires pour le public. Et, surprise, une bonne partie des adolescents présents étaient venus juste pour rencontrer le vidéaste... et pas forcément pour visiter la Maker Faire (et oui, il faut parfois faire preuve d'humilité quand on passe plusieurs mois à organiser un tel événement) ;-)
ExperimentBoy lors de la Mini Maker Faire 2015 à Grenoble... jamais bien loin d'un bidon d'azote liquide ! Crédit : Pierre Jayet pour la Casemate
En février 2017, Florence Porcel nous a fait le plaisir de venir animer deux ateliers d’écriture à la Casemate, en partenariat avec le Labo des Histoires. Grâce à cette passionnée d'astronomie, une classe de collégiens d’Echirolles a pu écrire et tourner des petites vidéos sur l’astro en une après-midi (challenge énorme mais relevé avec brio). Le soir, c’était au tour des adultes de s’essayer à l’écriture d’une petite nouvelle, toujours guidés par la vidéaste. Et en bonus, nous avons même eu le droit à un survol de Grenoble par Thomas Pesquet, dans la Station Spatiale Internationale (bon, promis, on n’y était pour rien !). Cette journée a été rendue possible par le Labo des Histoires qui a rémunéré Florence en tant qu’intervenante, nous-même mettions à disposition les locaux, du matériel et plusieurs personnes de l’équipe.
Pour découvrir le déroulement de cette journée, cliquez sur la photo !
A noter que Florence nous avait aussi fait un petit coucou lors de son passage à Grenoble, pour la réalisation de sa vidéo sur l’interféromètre du Plateau de Bure (lire l’article) :
Des vidéastes… grenoblois !
A lire les lignes précédentes, on pourrait croire que ces collaborations se cantonnent à des vidéastes connus venus d’ailleurs (non, on ne parle pas d'extraterrestres). Mais il existe des vidéastes scientifiques à Grenoble aussi, à l’image, entre autres, des frères Lafont qui animent les chaînes Paleo-J et Epileptic Man.
Nous n’avons pour l’instant pas mis en place de collaboration avec eux mais les avons contactés afin de nous connaitre et de leur présenter le Media Lab. Libre à eux de s’emparer des moyens mis à leur disposition, à commencer par Echosciences, ce que Jonathan de Paleo-J s’est empressé de faire (voir son profil) ! Il y publie un article à chaque nouvelle vidéo, que nous relayons par ailleurs sur les réseaux sociaux. Parfois, les futures collaborations commencent comme ça !
Une institution qui s’engage
Vous le voyez, une institution peut s’engager de différentes manières en faveur des vidéastes et plus largement des créateurs de contenus sur le web. Nous l’avons fait à plusieurs reprises et il existe bien d’autres exemples (commandes de vidéos par le Ministère pour la Fête de la science, partenariat de la Rotonde avec la chaîne Balade Mentale, réalisation de vidéos présentées dans les expos du Muséum de Nantes par la chaîne Le Labo Cube…). Du côté des conditions, celles-ci sont variables (rémunération, défraiement, prêt de locaux et de matériel, montage de projets spécifiques, etc.) et, quand il y a rémunération, nécessitent souvent que le vidéaste ait un statut d’(auto)entrepreneur pour pouvoir facturer sa participation.
[Edit suite à la réaction de Tania Louis sur Twitter] Mais parfois, la structure peut émettre des contrats ponctuels ou bien le ou la vidéaste peut s'arranger autrement, en étant membre d'une association par exemple. [fin de l'édit]
Au-delà de ces projets, les membres de notre équipe peuvent aussi s’engager en leur nom, pour faire avancer la réflexion. J’ai par exemple eu l’occasion, moi-même, à l’invitation de Pierre Kerner, d’animer la table ronde “Interactions vidéastes & Institutions de Culture Scientifique” lors du Festival Vidéosciences qui s’est tenu à la Cité des sciences et de l’industrie les 21 et 22 janvier 2017 (hashtag : #FVS2017) :
J’ai également rédigé un article à ce sujet, avec Mathieu Gesta de l’AMCSTI (réseau national des professionnels de la culture scientifique, technique et industrielle) qui est paru dans le Bulletin de l’AMCSTI de juin dernier.
Ce que nous cherchons chez un vidéaste
Ne nous voilons pas la face, dans la plupart des cas, ce que les institutions vont chercher chez un vidéaste, c’est... son audience ! Et oui, depuis 2011-2012 environ, les vidéastes scientifiques font un gros travail de création de contenus originaux et d’animation de leurs communautés et cela paie (bon, OK, peut-être pas toujours en monnaie sonnante et trébuchante mais au moins en engagement !). Et les institutions ont bien compris que les créateurs de contenus sont un “moyen” d’atteindre un public qui ne se déplace plus (ou pas beaucoup) chez eux.
Mais au-delà de l’audience, nous cherchons également un ton, une ambiance, une culture qui n’est pas (encore) mise en avant dans nos institutions.
[Edit suite à la réaction de Tania Louis sur Twitter] Et bien sûr, ça paraissait tellement évident que je ne l'avais même pas mentionné (#fail), nous cherchons des talents, des compétences en écriture, vulgarisation, tournage, montage, diction, mise en scène, etc. Toutes ces compétences, plus ou moins tangibles que les vidéastes développent au fil de leurs productions. Certaines de ces compétences sont partagées par nos propres médiateurs et d'autres pourraient enrichir leur panoplie. Oui, on a besoin des vidéastes ponctuellement mais ils pourraient aussi pourquoi pas nous former voire même rejoindre nos équipes !) [fin de l'édit]
Mais pour que cela fonctionne entre nous, nous avons en particulier besoin… de communiquer, de briser cette frontière entre le “monde du web” et les “structures historiques”. Dans de nombreuses villes et régions, les vidéastes (mais ça marche aussi avec les médiateurs et vulgarisateurs indépendants) et les institutions classiques ont tendance à s’ignorer ("Vieux grigoux !", "Jeunes malandrins !") ou tout simplement n’ont jamais appris à se connaître. Et pourtant, en poussant la porte d’un centre de sciences, d’un muséum ou même de certains labos, les vidéastes pourraient rencontrer des médiateurs et des chargés de projets, discuter avec eux et monter des projets ou bien apporter une autre dimension aux projets existants. Nous ne sommes pas forcément de mauvaise composition et beaucoup de professionnels du monde de la culture scientifique regardent des vidéos de sciences sur Youtube. Mais pour passer le pas, il faut apprendre à se connaître et à connaître les contraintes des uns et des autres !
Il n’y a pas que les vidéastes dans la vie !
Mais à côté de ces collaborations (qui nous l’espérons, seront de plus en plus nombreuses), nous poursuivons notre travail avec des prestataires et des partenaires plus ou moins proches du monde de la vidéo. Pour la présentation de nos événements et projets, nous travaillons de manière plus classique par exemple avec des réalisateurs.
Dans le cadre du Media Lab, nous avons l’occasion de travailler sur des ateliers impliquant de la vidéo, voire même produire nous-même de la vidéo en interne. Parce que dans certains cas, c’est plus rapide à faire de cette manière. Cela nous pousse d’ailleurs à repérer, de temps en temps, des profils de collaborateurs tournés vers la vidéo.
Si nous apprécions particulièrement travailler avec des vidéastes, ils restent néanmoins des auteurs, avec leur vision, leur style et leur manière de réaliser des vidéos. Sur certains projets, une collaboration avec eux s’y prête particulièrement bien. Parfois, cela ne marcherait tout simplement pas. Et ce n’est pas grave car nous pensons qu’une collaboration “tirée par les cheveux” nuirait autant à l’institution qu’au vidéaste.
Les prochains vidéastes accueillis à la Casemate
Alors, après toutes ces expériences, quoi de neuf ? Début octobre, nous aurons le plaisir d’accueillir des vidéastes de qualité, pour deux Masterclass qui nous tiennent tout particulièrement à cœur !
Tout d’abord, le “vidéaste maker” Monsieur Bidouille profitera de sa venue au Fab Lab pour un tournage et une séance de travail avec notre équipe, afin de proposer une masterclass sur le thème "Makers, faites des vidéos" le 3 octobre prochain au Fab Lab (infos à suivre prochainement).
Quelques jours plus tard, le samedi 7 octobre, dans le cadre de la Fête de la Science et pour lancer la saison “Raconte-moi le Futur”, du Labo des Histoires (on en reparlera par ailleurs), le vaisseau du Nexus VI atterrira sur la Casemate pour une Masterclass exceptionnelle autour de leur chaîne dédiée à la science-fiction (places limitées) ainsi qu’une séance de dédicaces (ouverte à tous). Plus d'infos sur le site de la Casemate.
Et la suite ?
Pour la suite, nous comptons sur vous, vidéastes, futurs vidéastes et plus largement créateurs et créatrices de contenus sur le web, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes. Manifestez-vous, venez filmer à la Casemate ou nous proposer des projets, participez aux grands événements locaux comme la Fête de la science, la Semaine du cerveau, Experimenta ou la Maker Faire, publiez vos vidéos sur Echosciences. De notre côté, nous nous engageons à vous recevoir, discuter avec vous, vous ouvrir notre carnet d’adresse, travailler avec vous ou encore vous accueillir pour des ateliers ou des masterclass. C'est parti ! :)
>> Pour en savoir plus :
- “Vidéastes, institutions et publics”, M. Sabourdy & M. Gesta, Bulletin de l’AMCSTI, 2017
- “Tout sur comment je fais mes vidéos” par D. Louapre, Blog Science étonnante, 30/11/16
- Situation professionnelle des vidéastes vulgarisateurs francophones, enquête de Tania Louis, 2016
- “5 points à retenir du Festival Vidéosciences”, BigBangScience, 21/03/17
- “Six youtubeurs pour vous réconcilier avec les sciences”, Les Echos Start, 10/02/17
- “15 chaînes Youtube pour les curieux de sciences” par A. Auffrey, Les Petits Débrouillards, 03/01/15
- “Complotisme : le rempart des Youtubeurs scientifiques”, A. Brunel, FranceInter, 08/04/16
- “Peut-on croire ce que racontent les vulgarisateurs sur YouTube ?” par S. Vincendon, Konbini, mars 2017
- “Chaînes de science sur Youtube : sont-elles un outil de vulgarisation scientifique efficace ?” par Anne-Sophie Magnant, Sciences en partage, 21 mars 2017
>> Photo : Quentin Chevrier / Makery