Comment rétablir la confiance en la science ?

Publié par Marguerite Pometko, le 22 janvier 2018   12k

Ce 16 janvier, l’association des Cafés Sciences inaugurait son cycle de conférences mensuelles avec une table-ronde sur la « Science sans confiance. » Trois intervenants et une quarantaine de participants ont discuté de la défiance grandissante envers les sciences et les scientifiques. Un paradoxe, alors que notre société consomme davantage de biens technologiques.

L’actualité de l’année 2017 fut ponctuée de fake news et de « faits alternatifs », mais aussi de controverses scientifiques, comme celles sur les vaccins ou les perturbateurs endocriniens. Outre-manche, puis en Europe, des scientifiques sont aussi descendus dans les rues « pour signifier l’immense danger que représente la mise au pas des sciences ».

Si l’aptitude au doute témoigne d’un esprit critique encore bien présent, la méfiance généralisée à l’encontre des scientifiques n’en demeure pas moins inquiétante. Les enjeux ne sont pas des moindres : aux États-Unis, l’administration Trump a coupé les financements de recherche à l’Agence de Protection de l’Environnement... Si la science sans conscience est une ruine de l’âme, la science sans confiance n’en est pas moins dangereuse. Comment expliquer la perte de confiance dans les faits scientifiques et quelles solutions apporter à ce problème ?


Les causes de la défiance envers les faits scientifique

Anne Perrin est biologiste et présidente de l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique). Elle mène des recherches à visée normative sur les ondes électromagnétiques, afin d’en étudier les risques, et vérifier si les normes actuelles sont bien adaptées. Pour elle, le constat est clair, la grande majorité des controverses scientifiques portent sur des sujets de santé qui nous concernent : vache folle, médicaments, ondes électromagnétiques… Mais sur ces thèmes, il y a parfois un gouffre entre le risque, sa perception et le danger réel. C’est donc au scientifique de faire entendre sa voix pour informer au mieux le citoyen, en faisant la part entre les rumeurs et les faits vérifiés. Pas toujours facile…

La voix du scientifique, une parole parmi d’autres ?

Pour Antoine Gonthier, membre de l’association Science Citoyenne et ancien élève du master « Techniques, Sciences et Démocratie » à Sciences Po Grenoble, on assiste à un relativisme vis-à-vis de la parole scientifique. Jusqu’au 19e siècle, la science était peu questionnée, car elle représentait le progrès social et l’âge d’or des Lumières face à l’obscurantisme. La donne a changé suite aux dégâts causés par la bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale. La parole du scientifique perd en autorité, et d’autres formes d’expertises militantes, de patients, d’usagers, voient le jour…

Au 21e siècle, si le caractère démocratique d’Internet permet à tout un chacun de s’exprimer librement, la parole du scientifique s’y retrouve au même rang que les « opinions » d’internautes. Cela laisse de la place à des médias qui se revendiquent comme "alternatifs" et qui propagent des informations complotistes. Le 7 janvier, une étude de l’IFOP révélait ainsi que les théories du complot étaient encore bien implantées chez les Français. En 2017, 16 % des Français soutiennent que « les Américains ne sont jamais allés sur la lune » et 9 % qu’ « il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école ».

Nos croyances ont la vie dure

Comment analyser la méfiance envers la science et le repli sur les dogmes, les certitudes ? Il se pourrait que nous soyons confrontés à des réalités trop complexes à appréhender. Ces réalités, comme le changement climatique, peuvent aussi être sources d’angoisse. Pour Antoine Depaulis, directeur de recherche en laboratoire de neuroscience, c’est là qu’il faut intervenir, en enseignant l’histoire et la sociologie des sciences, en rappelant les fondamentaux de la production scientifique et les acquis de la société de la connaissance. Mais une étude d’Andrew Shtulman de l’Occidental College, a démontré qu’il était difficile de se débarrasser entièrement de ses croyances, même lorsqu’on étudie les sciences. Les étudiants en sciences parviennent à se défaire partiellement de leurs croyances naïves, mais jamais entièrement, car elles apportent du sens à notre existence.

Une recherche non épargnée des conflits d’intérêts

Les pseudo-études scientifiques financées par des laboratoires pharmaceutiques ou industries agro-alimentaires sont devenues monnaie courante et ébranlent la confiance envers les scientifiques. En témoigne la récente révélation de l’ONG Corporate Europe Observatory, selon laquelle 46 % des experts de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments serait « dans une situation de conflit d’intérêts financier direct et/ou indirect ». S’il faut continuer à dénoncer ces conflits d’intérêts et jouer la carte de la transparence, Anne Perrin et Antoine Depaulis appellent à ne pas plonger dans la méfiance généralisée. En effet, un scientifique sera toujours dépendant de celui qui finance ses recherches. Au-delà des conflits d’intérêts évidents, cela ne doit pas décrédibiliser entièrement un travail. Pour Anne Perrin, « le public, à juste titre, se penche d’abord sur la question des financements. Mais en tant que chercheurs, on regarde en premier lieu les compétences de notre confrère. »

Méfiance envers les scientifiques : Comment rétablir la confiance ?


De l’importance de vulgariser les recherches scientifiques

Pour Antoine Depaulis, la communication des scientifiques autour de leurs recherches est un devoir moral, car elles sont financées par le contribuable. En tant que chercheur neurologue, la vulgarisation est un « devoir citoyen » qui lui tient très à cœur. Il participe à de nombreux évènements, et contribue régulièrement à la communauté Atout cerveau sur Echosciences. Le secret d’Antoine pour tester sa communication : « Si vos collègues trouvent que c’est super, c’est que c’est incompréhensible » !

Mais tous les scientifiques n’ont pas des talents de communicant, et encore moins de vulgarisateur, car cela demande du temps, mais aussi de prendre un peu de distance par rapport à ses recherches. Le problème, c’est que la plupart des communicants sont des « experts médiatiques », invités tour à tour sur les plateaux télévisés, mais qui ne sont pas toujours reconnus par leurs pairs. À l’inverse, les scientifiques sont réticents à prendre la parole dans les médias.

Recentrer la communication médiatique autour de la démarche scientifique

Comme le souligne Antoine Depaulis, informer ne suffit pas. L’essentiel est de développer l’esprit critique des citoyens, afin qu’ils puissent faire la part des choses entre les informations provenant de scientifiques, de groupes d’intérêts ou de lobbies. Pour Antoine Depaulis, il faudrait recentrer la communication autour de la démarche scientifique, afin de ne pas céder à la simplification sur des problèmes complexes. Expliquer la démarche scientifique, c’est expliquer que tout n’est pas toujours noir ou blanc, qu’il existe des querelles et que tout peut être réfuté à tout moment. La recherche prend du temps, et la communication ne peut parfois que rapporter des résultats intermédiaires ou nuancés sur des controverses qui n’ont pas encore de conclusion.


En attenant, des passeurs de science luttent contre la désinformation. Dans sa revue trimestrielle, l’association de l’AFIS propose un état des connaissances sur diverses controverses au croisement de la science, des techniques et de la société. Ces articles sont rédigés par des experts qui font une synthèse de toutes les publications scientifiques parues sur un sujet.

Impliquer la société civile dans la production scientifique

Pour Antoine Gonthier, militant dans l’association de démocratisation Sciences Citoyennes, il faut aller au-delà de l’information et de la consultation, en proposant des modalités de participation effectives au citoyen. La conférence de citoyens, par exemple, permet d’obtenir un avis citoyen sur des controverses ouvertes sous la forme d’un rapport. Cette procédure de participation véritable combine « une formation préalable (où les citoyens étudient) avec une intervention active (où les citoyens interrogent) et un positionnement collectif (où les citoyens discutent en interne puis avisent) »* qui donne lieu à un rapport. Pour Antoine Gonthier, les résultats de ces conférences résultent en des rapports de qualité étonnante, qui servent d’orientation pour les décideurs politiques.

Pour l’association Sciences Citoyennes, la déontologie de la recherche est également primordiale. Un moyen de l’assurer est d’établir des garde-fous et statuts particuliers pour les lanceurs d’alerte. Il existe aussi des appels à projet sur lesquels les laboratoires doivent s’allier avec des associations de société civile. Enfin, les boutiques des sciences permettent à des acteurs associatifs de bénéficier de l’expertise d’universitaires pour réaliser leurs études.


La discussion de la table-ronde s’est surtout orientée sur le vécu des scientifiques et les moyens d’action à leur disposition. Mais face à la désinformation, il est bon de rappeler le rôle des vulgarisateurs, médiateurs et autres "passeurs de science" pour rappeler la démarche scientifique. Cette méthode est au fondement même de l'esprit critique, essentiel pour participer aux décisions scientifiques et technologique qui nous concernent. En attenant, Anne Perrin nous recommande de nous informer sur des sites comme l'AFIS, Le Pharmachien, e-penser, La Tronche en biais, ou bien encore Controversciences.



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Couverture : Vlad Tchompalov on unsplash
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2. Freestocks.org
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