Anticiper pour mieux gérer ? Experts, modèles et prospectives. L'exemple des futurs des forêts - Séminaire “Sciences, sociétés, communications” édition 2023 MSH Alpes

Publié par Isaora Bacquet, le 21 décembre 2023   600

Mercredi 13 décembre 2023 s’est tenu la dernière séance du séminaire “Sciences, sociétés, communications” à la Maison des Sciences de l’Homme de l’Université Grenoble Alpes (MSH Alpes). Antoine Dolez a donc conclu  ce séminaire avec comme thématique « Anticiper pour mieux gérer ? Experts, modèles et prospectives. L'exemple des futurs des forêts. »

Antoine Dolez a effectué une thèse de 2014 à 2020 au laboratoire PACTE de Grenoble sur la connaissance et la gestion des forêts avec comme objectifs d’anticiper leurs futurs. A ce jour, il en est à son troisième post-doctorat sur le futur possible des forêts d’ici 2050.
Ses recherches sont guidées par l’envie de comprendre les effets du changement climatique sur l’évolution des recherches forestières, un désir de caractériser les futurs (dans tous les domaines que cela implique) ; le tout au croisement de la sociologie des sciences, la sociologie de l’environnement et la sociologie des futurs.
Il développe rapidement les grandes idées de ses travaux durant cette séance.

Les modèles du futur

Aujourd’hui, il y a à la fois une prolifération des futurs possibles et une difficulté à imaginer des futurs. C’est un paradoxe mis en évidence par Jacques Theys. On note deux grands futurs envisagés : le techno-optimiste où la technologie va sauver les arbres, et la vision catastrophique composée de sécheresses et d’incendies. Selon Jacques Theys qui réfute ces hypothèses, ce sont des visions très anthropocentrées où l’Homme est soit le gardien soit le destructeur de la forêt.

Depuis les années 70’s, on modélise les limites possibles de notre planète grâce à l’informatique. Cette période est en effet propice aux discours d’anticipation. Suite à la seconde guerre mondiale, il y a une volonté de prévoir le futur. De plus, c’est dans les années 60’s que la data a été créée et les outils de management viennent juste d’arriver. On parle alors en France de prospective, terme amené par Gaston Berger. On ne prédit pas l’avenir, mais on tente de définir des scénarios possibles afin de prendre des décisions. Cette planification est rendue possible grâce aux ordinateurs plus puissants et à la mise en agenda du changement climatique.

Lors de sa thèse, Antoine Dolez a pu participer à une enquête qualitative dans les laboratoires de recherches forestières français comprenant 31 entretiens de chercheurs et ingénieurs forestiers ainsi que l’étude de 2 réseaux : RENECOFOR et CAPSIS. Cette thèse s’intéresse aux infrastructures de recherches forestières en se basant sur les travaux de Paul Edwards. L’objectif est de comprendre les dynamiques scientifiques, sociotechniques et matérielles sur l’évolution des savoirs.

Les agendas de recherche

Antoine Dolez définit les agendas de recherche comme un ensemble de problèmes porté par un groupe d’acteurs, ici des scientifiques. Alors qu’au XIXème siècles ceux-ci portent sur la cartographie des ressources en bois, dans les années 90’s on retrouve des questions liées au changement climatiques. Dans notre cas, on retrouve trois grandes catégories d’agenda. Les agendas sylvicoles vont donc cartographier et évaluer les ressources en bois, prévoir le rendement, et orienter et optimiser la gestion forestière. Les agendas écologiques sont développés à l’université afin de comprendre et modéliser le fonctionnement des arbres. Les agendas climatiques veillent à anticiper les effets du changement climatique sur les forêts afin d’adapter nos pratiques de gestion aux climats futurs.

L’idée est de sortir des discours techno-optimistes et catastrophiques pour comprendre comment les chercheurs étudient la question des futurs possibles des forêts.

Les grandes visions du futur

L’engagement épistémique des chercheurs forestiers dépend de la trajectoire scientifique et sociale des ingénieurs et de ces chercheurs, de leur manière de concevoir le futur en se basant sur différentes sciences et de l’éthos d’anticipation.

En se basant sur son travail de terrain, Antoine Dolez a défini trois grandes visions du futur. Il y a le “futur-risqué” où les forêts sont alors des dispositifs techno-politiques de lutte contre le changement climatique, ce sont des armes efficaces pour la planète. Cette vision peut se résumer à un “ethos de la confiance”, elle vise à anticiper les risques en agissant au plus vite afin de les éviter.
Ensuite vient le “futur-disruptif” dans lequel il est impossible de prévoir les changements des forêts et il faut donc revenir à une approche expérimentale. Le changement climatique a des effets disruptifs sur les forêts. Guidée par un “ethos du renoncement” qui présente les phénomènes du changement climatique trop complexe pour être anticipés, cette vision tant à modéliser le comportement des écosystèmes forestiers “aux conditions limites”, coupler la modélisation et l’approche expérimentale.
Enfin, on retrouve le “futur-historicisé”. Les forêts sont alors le résultat d’accidents historiques qui forment une mémoire des forêts. Il faut donc étudier le passé pour comprendre le futur.  Poussée par un “ethos de la responsabilité” où le chercheurs forestier se doit d’avoir un rôle à jouer dans la formulation des dynamiques écologiques, sociales, économiques et politiques futures, cette vision a pour but de développer les approches historiques de l’évolution des forêts et harmoniser les données anciennes, le tout dans une approche interdisciplinaires.

Perspectives d’avenir

Antoine Dolez s’attaque actuellement aux mégafeux en méditerranée pour lesquels il faut repenser la prévention et la lutte. Un jeu coopératif qui a pour but de faire de la médiation sur le sujet est en cours de création. Il est développé en collaboration avec l’INRE Avignon, MESOPHOLIS et les petits débrouillards PACA. Le jeu se base sur la mise en place d’actions de prévention en hiver comme en été.

Les discours d’anticipation sont d’ordre scientifiques et politiques. Ils permettent de réfléchir à des pistes d’action sans pour autant savoir quel futur nous attend. La question de la légitimité des acteurs qui peuvent discourir sur le sujet reste en suspens. Les habitants doivent être pris en compte, mais les promesses technoscientifiques prennent une place plus importante que les autres. Il faut maintenant imaginer le futur à partir de l’évolution du passé.

 

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Article rédigé par Isaora Bacquet avec l’aide de Flavie Labousset