L’anonymat sur la toile n’étant majoritairement qu’une Arlésienne, longue vie au PseudoAnonymat et fin de ce faux débat.
Publié par Yannick Chatelain, le 19 janvier 2021 1.2k
Par Yannick Chatelain. Grenoble Ecole de Management
« Pour moi l’anonymat pratiqué sur les réseaux sociaux est une régression » déclarait Emmanuel de Wasqueriel, sur France Inter, précisant « qu’une démocratie, c’est avancer à visage découvert… » et « plutôt que de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, il faudrait obliger à la suppression de l’anonymat » ajoutant ainsi sa voix à un faux débat régulièrement relancé : la fin de l’usage du pseudonyme.
Pour rappel, cette thématique avait resurgi en octobre 2020 portée par des élus de premier plan dont Xavier Bertrand et Valérie Pécresse suite au tragique assassinat du professeur Samuel Paty.
La fin des pseudos : la porte ouverte à l’autocensure
Pour que ce genre de faux débat prenne fin, encore faudrait-il que ceux qui s’expriment sur le sujet intègrent une bonne fois pour toutes que l’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas, à moins de faire partie de l’élite hacker et de disposer de compétence technologique hors norme rendant le traçage de l’émetteur particulièrement complexe, voire quasi-impossible.
La liberté d’expression a des limites et elle est d’ores et déjà encadrée en France par la loi. Dans la réalité du net, si une plainte est déposée derrière un pseudonyme, les forces de l’ordre disposent de tous les moyens nécessaires pour remonter à la source. Il serait d’ailleurs à ce titre plus juste de parler de PseudoAnonyme que de pseudonyme et de vulgariser cette appellation. Ce faux débat serait alors peut-être définitivement clos.
Ceux qui militent pour la levée de ce PseudoAnonymat le font peut-être par ignorance technologique. S’ils se pensent de bonne foi, il ne peut dès lors leur en être tenu rigueur. Ils pourront alors éventuellement repenser leur position antérieure. A contrario si tel n’est pas le cas, si ce combat est mené en connaissance, alors il s’agit d’un argument fallacieux utilisé de façon délibérée pour justifier l’interventionnisme de l’État et un encadrement potentiellement outrancier de la liberté d’expression en postulant la méconnaissance technologique d’une partie de la population.
La fin de ce PseudoAnonymat serait la porte ouverte à l’autocensure. Le mal serait, in fine, bien pire que le bien supposé apporté à notre démocratie. La fin de ce PseudoAnonymat porterait insidieusement un coup fatal à la libre expression de chacun…
Que dire alors et qu’écrire ? Hormis exprimer des platitudes insipides s’inscrivant dans telle ou telle pensée dominante pour ne surtout pas prendre le risque de tomber dans ce qui peut rapidement se révéler être une effroyable machine à broyer des vies.
Le PseudoAnonyme est avant tout une protection de l’usager et de sa libre expression
Comme évoqué précédemment, l’anonymat sur Internet est parfaitement relatif lorsque les autorités compétentes sont mandatées par les autorités judiciaires pour remonter à l’émetteur. Ces dernières disposent des outils et des savoir-faire et elles le trouvent.
A contrario un usager lambda contrarié par un propos, une idée, et souhaitant en découdre aura beaucoup plus de difficulté à remonter à la source pour régler ses comptes.
Dès lors que le propos ne tombe pas sous le coup de la loi, l’usage de pseudonymes – contrairement à ce qu’avance l’historien Emmanuel de Wasqueriel et d’autres qui partagent son avis – c’est avant tout la garantie pour chacun d’exercer son droit à une libre parole sans crainte de représailles disproportionnées, sans avoir à redouter – si le propos ne convient pas à d’autres usagers – que la machine à détruire ne s’emballe.
Il faut garder à l’esprit que sans le garde-fou d’un PseudoAnonymat, pour un propos qui déplait sans contrevenir à la loi, tout usager s’exposerait à devenir la cible des formes de harcèlement les plus courantes recensées par le blog du hacker, à savoir :
- L’usurpation d’identité
- Le Doxing (Documents Tracing)
- Le Swatting (canular téléphonique)
- Discours haineux / diffamation / trolling
- Revenge po
- Le cyberstalking (la traque sur Internet)
Remember Justine Sacco
Le lynchage en ligne peut toucher tout le monde. Nul n’est à l’abri de voir sa vie ruinée pour quelques mots très maladroits comme le révèle le cas de Justine Sacco dont j’avais fait l’analyse.
En 2013 et cette professionnelle de la communication avait eu la bien mauvaise idée de tweeter à ses 170 abonnées :
« Going to Africa. Hope I don’t get AIDS. Just kidding. I’m white ! »
Il y avait deux façons d’interpréter ce tweet ambigu : soit une dénonciation d’une prise en charge du Sida non équitable en Afrique du Sud selon sa couleur de peau, soit un racisme des plus arrogants. Le réseau aura interprété le tweet de la jeune femme comme un tweet raciste. Il aura alors suffi de onze heures de vol pour que la jeune femme voie sa vie ruinée, la toile étant remplie de justiciers auto-proclamés qui se font ainsi des bourreaux plus cruels que les cibles qu’ils clouent au pilori de l’internet.
Pensez-vous qu’il en aurait été de même du destin de cette jeune femme si elle avait tweeté sous un pseudonyme ? Ce tweet aurait tout simplement pu être signalé par les utilisateurs en ayant eu une lecture raciste… des plaintes déposées… et la jeune femme aurait alors, éventuellement, eu à en répondre à la justice de son pays qui aurait alors tranché.
En tout état de cause elle ne serait pas devenue une cible à abattre ni la victime d’un massacre en bande de lâches organisés. Un massacre intégrant des tweets, eux, sans la moindre ambiguïté et passibles de poursuites.
Pour conclure ce faux débat de l’anonymat
Au temps de la cancel culture, les réseaux et les hommes étant ce qu’ils sont, parfois moins sophistiqués que les machines qu’ils inventent et utilisent, le PseudoAnonymat est indispensable pour permettre à chacun de pouvoir s’exprimer librement sur la toile sans risquer des représailles qui peuvent se révéler totalement disproportionnées.
Ce PseudoAnonymat – s’il est nécessaire de le réécrire – n’empêchant nullement la justice, la vraie – pas celle d’une meute – de faire son travail s’il y a lieu. S’exprimer librement est un droit constitutionnel reconnu à tout citoyen français. Dans son article 10, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne précise-t-elle pas :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Dans son article 11, cette même déclaration n’insiste-t-elle pas :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
L’anonymat sur la toile n’étant majoritairement qu’une Arlésienne, longue vie au PseudoAnonymat et fin de ce faux débat.
« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. » George Orwell
Yannick Chatelain, Docteur en Administration des Affaires, est professeur associé à Grenoble École de Management, et chercheur associé à la Chaire DOS « Digital, Organization and Society ». Ses travaux portent sur les usages d’Internet, le contrôle social, la contre-organisation sociétale et la liberté d’expression.
La version originale de cet article a été publiée sur Contrepoints
Photo Credit : nefasth on VisualHunt.com / CC BY-SA