A propos de la « taxonomie verte » de l’Union Européenne
Publié par Encyclopédie Énergie, le 9 mars 2022 2.4k
Afin d’atteindre les objectifs de l’Union Européenne (UE) en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030, détaillés dans le paquet « fit for 55 », sorti en juillet 2021 [1], il est essentiel que les nouveaux investissements soient dirigés vers des projets et des activités durables pour l’environnement.
A cette fin, une définition claire de ce qui est « durable » est nécessaire pour chacune des parties. C’est pourquoi, à l’échelle de l’UE, la création d’un système commun de classification des activités économiques durables a été mis en place. Ce processus, qui deviendra effectif dans les mois à venir, est également appelé « taxonomie de l’Union Européenne », sujette à de fort débats entre Etats-membres.
1. Qu’est-ce que la taxonomie de l’UE ?
La taxonomie de l’UE est un système de classification qui établit une liste des activités économiques durables sur le plan environnemental. Ce système standardisé évalue la durabilité de 70 activités économiques, représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’UE, selon différents niveaux : activités qui sont déjà considérées comme bas-carbone et compatibles avec l’accord de Paris, du type véhicules électriques ou centrales électrique solaires ; activités qui pourraient contribuer à la transition vers une économie zéro émission nette en 2050 mais qui ne suivent pas encore la trajectoire de la neutralité carbone, telles que la rénovation des bâtiments ; ou encore activités qui permettent le « verdissement » ou la réduction des émissions d’autres activités, telles que l’élaboration de technologies entraînant une réduction substantielle des émissions dans d’autres secteurs (par exemple une usine de fabrication d’éoliennes ou de turbines hydrauliques).
Figure 1 : Rapport sur la taxonomie européenne [Source : Novethic, La grande bataille de la taxonomie européenne des activités durables commence (novethic.fr)]
Cette taxonomie joue ainsi un rôle important en aidant l’UE à intensifier les investissements durables et à mettre en œuvre le pacte vert pour l’Europe [2]. La taxonomie s’adresse notamment aux acteurs des marchés financiers, aux institutions de supervision financière (type banques centrales) ainsi que tous les États membres lorsqu’ils établissent des mesures publiques, des normes ou des labels pour des produits financiers verts ou des obligations vertes (green bonds). Elle concerne également les institutions financières et les grandes entreprises de plus 500 salariés, avec un bilan supérieur à 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, qui sont déjà tenues de fournir une déclaration de performance extra-financière en vertu de la Directive sur l’information extra-financière. Au total, environ 11 000 organisations sont concernées.
La taxonomie de l’UE fournit donc aux entreprises, aux investisseurs et aux décideurs politiques des définitions appropriées pour lesquelles les activités économiques peuvent être considérées comme durables sur le plan environnemental. De cette manière, elle aide les entreprises à devenir plus respectueuses du climat et à déplacer les investissements là où ils sont le plus nécessaires en créant une sécurité pour les investisseurs.
Un règlement sur la taxonomie a été publié au Journal officiel de l’UE, le 22 juin 2020 et est entré en vigueur le 12 juillet 2020 [3]. Il établit la base de la taxonomie de l’UE en définissant les conditions générales auxquelles une activité économique doit satisfaire pour être considérée comme durable sur le plan environnemental. Le règlement sur la taxonomie fixe six objectifs environnementaux, à savoir :
1) Atténuation des changements climatiques
2) Adaptation au changement climatique
3) Utilisation et protection durables de l’eau et des ressources marines
4) Transition vers une économie circulaire
5) Prévention et maîtrise de la pollution
6) Protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes
2. Mise en place de la taxonomie de l’UE
En vertu du règlement relatif à la taxonomie, la Commission Européenne (CE) a dû établir la liste effective des activités durables sur le plan environnemental en définissant des critères d’examen technique pour chaque objectif environnemental au moyen d’actes délégués [4].
Un premier acte délégué sur les activités durables en vue d’atteindre les objectifs d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets (les 2 premiers objectifs cités ci-dessus) a été approuvé en principe le 21 avril 2021 et formellement adopté le 4 juin 2021. Puis, après une année de discussions intenses, la CE a dévoilé le 31 décembre 2021, un projet de taxonomie verte qui inclut parmi les énergies « durables » en Europe, le gaz naturel comme « énergie de transition », ainsi que le nucléaire [5]. Ce choix a été approuvé le 2 février 2022 par la CE sous conditions car ces énergies sont considérées comme conformes aux objectifs climatiques et environnementaux de l’UE et contribueront à accélérer le passage des combustibles fossiles solides ou liquides, pétrole et charbon notamment, à un avenir neutre pour le climat, ceci sans être délétère à l’atteinte des autres objectifs environnementaux.
Figure 2 : Rendre l’énergie en Union Européenne plus verte, source : OptionFinance [Source : Finance durable : taxonomie, c’est parti ! | Option Finance]
D’après son règlement, pour être éligibles, les activités économiques des organisations doivent contribuer à, au moins, l’un des six objectifs environnementaux cités ci-dessus et ne pas porter atteinte aux autres objectifs. Il sera également nécessaire qu’elles respectent les droits sociaux et du travail. Des moyens différents peuvent être nécessaires pour qu’une activité contribue de manière substantielle à chaque objectif [6]. Une activité économique qui s’alignera sur la taxonomie devra respecter des critères qualitatifs (méthodologies mises en place) et quantitatifs (seuils à atteindre, à ne pas dépasser) propres à chaque objectif.
Pour être complet, à noter qu’un autre acte délégué pour les 4 objectifs restants sera publié au cours du premier semestre 2022 par la CE.
3. Les débats sur la place du nucléaire et du gaz
Sur les deux premiers volets déjà détaillés, la taxonomie regroupe les énergies jugées durables, éligibles aux financements. La place du nucléaire et du gaz, non pas classés comme « énergies vertes » mais comme « énergies de transition » a été l’objet de larges débats.
3.1. Une place dans cette taxonomie, mais soumise à conditions
Le nucléaire figure bien dans cette taxonomie, mais sous conditions, notamment dans le temps. Les nouvelles centrales devront avoir déposé un permis de construire avant 2045 tandis que les travaux de prolongation de réacteurs existants devront être validés avant 2040. De plus, il convient aux porteurs de projets de prévoir des plans de gestion des déchets radioactifs et de démantèlement des installations.
Figure 3 : Intégration du nucléaire dans la taxonomie, sous conditions [Source : Lalibre Inclusion du gaz naturel et du nucléaire dans la "taxonomie verte" : Bruxelles procrastine sa décision - La Libre]
Les projets de centrales électriques au gaz peuvent être financés via cette taxonomie, mais avec des permis délivrés jusqu’en 2030, à condition d’avoir des émissions de gaz à effet de serre inférieures à 270g CO2/kWh. A partir de cette date, les seuils d’émissions s’abaissent à 100g CO2/kWh. Les États-membres devront aussi s'engager à remplacer totalement le gaz naturel par du gaz renouvelable ou de l'hydrogène d'ici 2035.
3.2. Des énergies non renouvelables, plébiscitées par certains États, décriées par d’autres
Concernant le nucléaire, l’argument de ses partisans est que cette énergie ne produit pas de GES lors de la génération d’électricité. Notamment en France, ce vecteur énergétique fait déjà partie de la transition énergétique car il garantit un parc électrique bas carbone. Et, accessoirement, il permet de protéger les consommateurs de la volatilité des prix. La France a notamment pris la tête d’une coalition regroupant six pays de l’Est (Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), et a réclamé avec insistance aux instances européennes de soutenir la place de l’atome dans la transition énergétique. En face, l'Allemagne, suivie notamment par l'Autriche, l'Espagne et le Danemark juge que faire du nucléaire une énergie verte est du greenwashing et une hérésie environnementale. En effet, on ne sait toujours pas comment éliminer les déchets radioactifs tandis que les délais de mise en place de la filière sont trop longs face à l'urgence climatique, d’où une contribution nulle aux importants besoins de décarbonation à court terme.
Le gaz, on le sait, est un combustible fossile qui rejette des GES, mais, c’est un argument de ses partisans, on n'a pas trouvé meilleur moyen pour sortir rapidement du charbon qui, lui, est deux fois plus polluant. De plus, la transition vers un mix vraiment décarboné sera plus douce : initialement, il était prévu au moins 30% de gaz renouvelable en 2026 et au moins 55% en 2030, objectifs irréalistes au vu des développements actuels des gaz verts pour les Etats-membres. De même, les seuils d’émissions de CO2 étaient fixés initialement à moins de 100g de CO2/kWh, ce qui est inatteignable avec les technologies actuelles. Ainsi, pour les centrales à gaz qui auront obtenu leur permis avant le 31 décembre 2030, ce seuil a été relevé à 270g de CO2/kWh, le seuil de 100g ne n’appliquant que pour les centrales neuves après 2030.
3.3. Un compromis trouvé, mais incertain, dans un contexte international très changeant
Les choix de fin 2021 sont, en réalité, un compromis entre les deux grandes puissances de l’UE que sont la France et l’Allemagne, chacune désirant l’inclusion d’un côté du nucléaire, de l’autre du gaz. Néanmoins, un avis de la « Plateforme sur la finance durable », organe de plus de 50 experts du monde des affaires, du milieu universitaire et de la société civile qui conseille la CE sur son programme vert, porte un jugement très sévère sur cette proposition de la CE, en particulier sur les seuils trop élevés d’émission de GES pour les centrales à gaz et la non-garantie d’absence de préjudice significatif à la protection de l’eau et des ressources marines, la pollution ou la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes, ce qui violerait le règlement sur le non-préjudice des activités aux autres objectifs pour le nucléaire [7].
De plus, les prix de l’énergie en forte hausse ces dernières semaines, les récents événements en Ukraine rappellent que la sécurité d’approvisionnement en énergie de l’UE, en particulier via le gaz russe, repose sur un équilibre précaire et pourrait être remis en cause très rapidement. L’Allemagne notamment semble le faire début 2022, via des modifications de son grand plan énergétique avec la sortie initiale du nucléaire à échéance 2022 et du charbon à échéance 2030, du fait que la principale énergie de substitution qu’était le gaz, les rendait très dépendants de la ressource russe. C’est le cas avec les sanctions économiques appliquées contre la Russie, la certification du projet Nord Stream 2 (figure 4) suspendue par l’Allemagne, alors que l’inverse devait augmenter significativement les importations de gaz russe sur le sol allemand [8].
Figure 4 : Projet nord Stream 2, à l’avenir incertain [Source : Révolution Energétique Guerre en Ukraine et arrêt de Nord Stream 2 : quelles conséquences pour ENGIE et l’approvisionnement en gaz ? (revolution-energetique.com)]
4. Échéances à venir
D’ici juillet 2022 sera publié le rapport d’application de ce règlement Européen. Début 2023, entreront en application des textes concernant les autres objectifs environnementaux (pollution, eau, économie circulaire et biodiversité), ainsi que l’obligation de déclaration d’alignement des activités à la taxonomie pour les grandes entreprises.
A partir de janvier 2024, la déclaration d’alignement des investissements à la taxonomie pour les institutions financières sera obligatoire. De même, entrera en vigueur une directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive) qui étend les obligations de reporting extra-financier, dont l’alignement à la taxonomie européenne, à 50 000 entreprises.
Il est prévu que la taxonomie soit revue tous les trois ans, afin de répondre au mieux aux évolutions technologiques, scientifiques ainsi qu’aux nouvelles activités économiques. En 2022, cette taxonomie est déjà un des avancements majeurs les plus significatifs dans le domaine de la finance durable et servira sans doute de référence sur le plan international pour financer la transition écologique à large échelle [9]. Cela permettra le fléchage des investissements pour une orientation bas carbone des activités économiques concernant la production d'énergie et la transformation des matières premières. Cette évolution dépendra cependant de la géopolitique qui peut remettre en cause des échanges entre pays et des stratégies énergétiques nationales, ce qui serait le cas pour l’Allemagne à la recherche d’un mix énergétique plus diversifié, comptant moins sur le gaz, alors même qu’elle a tant encouragé dans cette composante de la taxonomie verte.
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Auteur : Gabin Mantulet
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Sources :
[1] Delivering the European Green Deal (europa.eu)
[2] EU taxonomy for sustainableactivities | Commission européenne (europa.eu)
[3] Sustainable finance taxonomy - Regulation (EU) 2020/852 | Commission européenne (europa.eu)
[4] Cartographie de la taxonomie : https://ec.europa.eu/sustainable-finance-taxonomy/documents/taxonomy.xlsx
[5] L’Energeek : Taxonomie verte : la Commission Européenne propose d’y inclure le nucléaire, sous conditions - L'EnerGeek (lenergeek.com)
[7] EU Platform on Sustainable Finance, Response to the ComplementaryDelegatedAct, 21st January 2022, EU Platform on Sustainable Finance response to complementaryDelegatedAct (europa.eu)
[8] L’Energeek : Crise en Ukraine : l'Allemagne revoit sa stratégie énergétique - L'EnerGeek (lenergeek.com)
[9] Éco-act : Taxonomie verte européenne : qu'est-ce que c'est ? | EcoAct (eco-act.com)