Anniversaire de l'ILL : 50 ans de neutrons à Grenoble

Publié par Jordan Hervy, le 31 janvier 2017   3.8k

L'institut Laue Langevin (ILL) situé sur la Presque-île de Grenoble a fêté ses 50 ans le 19 janvier dernier. Cet institut de recherche international possède l'une des sources de neutrons les plus intenses au monde et ce depuis 1971, date de mise en fonctionnement du réacteur. À l'occasion de l'anniversaire des 50 ans, je vous propose de retracer quelques moments clés de l'histoire de cet institut.

19 janvier 1967 : une signature historique !

L'institut Max von Laue-Paul Langevin de son nom complet fut officiellement créé le 19 janvier 1967 par un contrat intergouvernemental entre la France et l'Allemagne. Cette collaboration visait à concevoir la source de neutrons la plus intense au monde entièrement dédiée à la recherche fondamentale civile. Ce projet s'inscrivait dans une politique de coopération accrue entre l'Allemagne et la France pour la défense, les relations internationales mais également l'éducation et la recherche. Cette collaboration franco-allemande fut notamment initiée par le traité de l'Élysée signé le 22 janvier 1963 par le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle.


Signature de la convention le 19 janvier 1967 créant l'Institut Max von Laue-Paul Langevin (ILL) par M. Stoltenberg et M. Peyrefitte, respectivement ministres allemand et français de la recherche. Crédit ILL.

Le choix de Grenoble comme symbole

Malgré la signature de ce traité "d'amitié franco-allemand", de longues années de négociation furent nécessaires avant la création de l'ILL en 1967. En effet, la coopération de ces deux pays dans un projet d'une telle envergure n'allait pas de soi comme en témoigne Bernard Jacrot [1], premier directeur français de l'ILL :

A priori une telle coopération entre deux pays qui s'étaient tellement combattus n'était pas évidente, d'autant plus que cet institut devait être installé dans une région de France qui avait été un haut lieu de la résistance (le Vercors). Le nom du lieu même d'implantation de l'ILL (avenue des Martyrs) en porte témoignage.

Le choix de l'emplacement de l'institut à Grenoble, au pied du Vercors représente ainsi un symbole très fort. Louis Néel, prix Nobel de physique de 1970 et Heinz Maier-Leibnitz, premier directeur de l'ILL ont joué un rôle majeur dans l'implantation de l'institut sur la Presqu'île scientifique qui était alors un ancien polygone d'artillerie. Il ne faut cependant pas oublier Erwin-Félix Lewy-Bertaut comme le souligne Néel dans son livre [2], pp. 157 :

Bertaut et ses équipes fournirent des arguments décisifs en faveur de l'implantation à Grenoble d'un réacteur à haut flux de neutrons. Les techniques d'instrumentation qu'il avait développées avec succès sur "Mélusine" et "Siloë" montraient que les physiciens grenoblois maîtrisaient la diffraction des neutrons et le parti qu'on pouvait tirer de la construction d'un réacteur susceptible de fournir des flux de neutrons beaucoup plus intenses.

Et les choses ne se sont pas arrêtées la ! Toujours sous l'impulsion de Néel, quelques années plus tard, le synchrotron européen (ESRF) voyait le jour et Grenoble devenait ainsi un pôle de recherche international.


Aménagement du site sur la Presqu'île à Grenoble, Janvier 1968. Crédit ILL.

Début des chantiers et mise en service du réacteur

La construction du réacteur et des premiers bâtiments débuta en 1968. Le 13 février 1970, les travaux furent marqués par un accident tragique sur le chantier du réacteur. Une partie du toit du réacteur en construction s'effondre entrainant dans sa chute sept ouvriers. Le bilan est lourd : cinq morts et deux blessés graves. Bernard Jacrot leur rend hommage dans son livre [1], pp. 73-75 :

Les cinq morts sont Albert Botta (29 ans), Abder Khader Benfatem (22 ans), Rabah Ben Mohamed Dahmani (28 ans), Abdel Khader Bachir-Elezaar (30 ans) et Belkhacem Khadraoui (22 ans). Ces hommes sont morts en travaillant pour que les physiciens disposent de la meilleure source de neutrons.

Seulement trois ans après le début des chantiers sur la Presqu'île, le réacteur fut pleinement opérationnel et dès 1972, l'ILL lançait ses activités de recherche.


Construction du mur en béton de l'enceinte du réacteur. Crédit ILL.

Des neutrons, pour quoi faire ?

L'ILL met à disposition des scientifiques des instruments exploitant les 3 milliards de milliards de neutrons produits par seconde. Ces instruments permettent de sonder et d'étudier les propriétés microscopiques de la matière. Le domaine d'application des neutrons est extrêmement large, allant de la physique des particules à la physique de la matière condensée en passant par la biologie. Parmi les techniques développées à l'ILL, certaines permettent de déterminer les structures magnétiques des atomes ou encore de localiser les atomes d'hydrogènes dans les molécules organiques.

De la physique fondamentale à l'ILL !

Le neutron est une particule présente dans le noyau des atomes. Dans son état libre, il se désintègre en un peu moins de 15 minutes en émettant un proton, un électron et un anti-neutrino. De nombreux instruments ont été conçus pour mesurer avec une très grande précision certaines propriétés du neutron telles que son temps de vie ou son moment magnétique. Ces mesures expérimentales permettent de tester des prédictions théoriques établies pour certaines il y a plusieurs décennies ! De cette manière, les physiciens peuvent découvrir de nouvelles propriétés fondamentales de la matière.

Une implication de l'ILL dans le prix Nobel de physique de 2016 !

Parmi les nombreux succès scientifiques de l'ILL, on peut citer celui lié au prix Nobel de physique de 2016 attribué pour "les découvertes théoriques des transitions de phase topologique et des phases topologiques de la matière". Duncan Haldane, l'un des trois lauréats, intégra en 1977 le groupe de physique théorique de l'ILL et y resta quatre années. Philippe Nozières qui était le chef du groupe évoque le recrutement de Haldane alors jeune scientifique [3], pp. 26 :

[...] je m'efforcerai d'attirer des étrangers brillants au niveau postdoctoral. Duncan Haldane, qui vient d'avoir le prix Nobel, en est un bel exemple : citoyen anglais il commence ses études en Angleterre, fait une thèse brillante auprès de Phil Anderson*, puis rejoint l'ILL comme postdoc : il est éblouissant ! Je n'ai jamais oublié la recommandation de Phil :"I send you my latest thesis student : I wish I were half good as he is.

*Philip Warren Anderson, physicien américain co-lauréat du prix Nobel de physique de 1977.


C'est une partie des travaux de Haldane, réalisés alors qu'il était à l'ILL qui ont été récompensés par le comité Nobel (lire Prix Nobel de physique 2016 : une connexion avec la ville de Grenoble pour plus de détails). Depuis 50 ans, l'ILL a joué un important rôle dans la renommée scientifique de la ville de Grenoble et le prix Nobel de physique 2016 en est la confirmation.

Joyeux anniversaire à l'ILL !


Discours d'ouverture de la célébration des 50 ans de l'ILL par l'actuel directeur, Helmut Schober. Credit Begüm Koçak.



Sources :

  1. Des neutrons pour la science, Bernard Jacrot. EDP Sciences, 2006.
  2. Un siècle de Physique, Louis Néel. Éditions Odile Jacob, 1991.
  3. The Institut Laue Langevin, 50 years of service to science and society, 2017
  4. L'ILL célebre les 50 ans du traité de l'Elysée, site de l'ILL : https://www.ill.eu/fr/presse-et-infos/presse/press...
  5. Un peu d'histoire, site de l'ILL : https://www.ill.eu/fr/a-propos/quest-ce-que-lill/u...
  6. Film historique (version de 1973) : https://www.ill.eu/fr/a-propos/quest-ce-que-lill/u...
  7. Film historique (version de 1987) : https://www.ill.eu/fr/a-propos/quest-ce-que-lill/u...

Image de couverture : Vue de la Presqu'île Scientifique depuis le Néron (Chartreuse). Crédit : Ville de Grenoble. Adaptation : Jordan Hervy.