Star Wars : La Force, c’est vrai ! Tout est vrai !
Publié par Joel Chevrier, le 31 décembre 2015 12k
"It’s true. All of it.” dit Han Solo dans l'épisode VII de Star Wars : le Réveil de la Force. Peut-être une future réplique culte du cinéma. C’est du cinéma et c’est donc « pour du beurre », mais dans le monde de Star Wars où nous nous immergeons pendant 2 heures, la Force est une réalité, une propriété de ce monde sur écran construit par Georges Lucas.
Le monde sur les écrans
Entre le premier Star Wars en 1977 et aujourd’hui, nous avons saturé notre environnement avec des écrans. Entre nous et le monde réel, il y a les écrans. Ils sont petits ou grands, individuels ou non, mais surtout ils sont partout. Les images sont de plus en plus le substrat 2D de notre interaction avec la réalité, des échanges entre nous aussi d'ailleurs. L'éducation, la science, en fait toute la société, utilisent massivement des images. Ca pose tout de même un sérieux problème car les images ne pourront jamais être pour notre perception, une représentation complète de la réalité. La 3D ne change rien à cela. Les images sont d'abord le support de représentations géométriques dédiées à notre vue. Elles ne « nourrissent » pas l’ensemble des canaux et des modalités de notre perception. Tout ce que nous percevons à travers l’interaction physique de nos mains, de notre corps avec notre environnement est pour toujours en dehors du monde des images. Sur les écrans, tout est facile, gratuit. Tous les désirs peuvent être exaucés facilement dans la mesure où leur satisfaction se suffit d'une représentation sur écran. Dans « la vraie vie », notre corps est confronté en permanence à la résistance du réel. Tout contact réel est un engagement.
Il n’y a pas de force dans les images
Des concepts scientifiques associés à cette résistance du réel, sont l'énergie et les forces. Les lois de Newton les relient aux caractéristiques du mouvement : trajectoire, vitesse, accélération. La masse est dans le monde réel un paramètre central, mais, dans le monde des images, elle n’est présente par ses effets sur le mouvement que si vous le décidez. Ainsi, dans le vaisseau de Han Solo, le fameux Faucon Millenium, on n’est manifestement pas soumis à l’inertie (mais bien à une même gravité terrestre en tout point de la galaxie). Les forces d’inertie sont clairement absentes : toutes les accélérations, tous les freinages et tous les virages sont possibles, même ceux qui tueraient vraisemblablement les passagers à coup de g.
Passage du Faucon Millenium en vitesse supraluminique
Aussi quand Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA, s’amuse à analyser ce qu’il voit sur l’écran pendant la projection de Star Wars, et tente donc une sorte d’étude des propriétés physiques du monde de Star Wars, cela le conduit surtout à pointer sans fin des aberrations. Normal, la fidélité d'un film à la science construite sur le monde réel n'est pas une garantie de succès. Depuis le temps, ça se saurait ! Cela lui permet surtout d’évoquer de nombreuses questions de physique, certaines très avancées. Au plan pédagogique, ce n’est pas négligeable. Au total, c’est donc un exercice très stimulant et même assez drôle car faire de la physique dans un monde construit en dehors de la physique tout en offrant l’apparence d’une technologie très avancée, conduit nécessairement à des aberrations criantes comme un sabre laser qui nécessite plusieurs centrales nucléaires pour son fonctionnement en continu. Le cinéma est vraiment magique !
Les images peuvent montrer tous les mouvements que l’on décide de mettre sur l’écran. Il n’y a pas de limite car rien n’empêche de s’en tenir à cette approche purement géométrique en ne tenant aucun compte des aspects dynamiques associés décrits par les forces et les énergies. En fait, seules les grandeurs physiques, qui ne contiennent pas la masse dans leur dimension peuvent être représentées directement sur des images (1,2). Dès que l’on veut montrer sur une image des forces, il devient nécessaire d’introduire des symboles comme des flèches, qui sont la visualisation classique des vecteurs sur une feuille de papier ou un écran. Pas moyen d’y échapper si le seul outil qui parle à votre perception est un écran. Le son peut aider bien sûr mais c’est encore à travers une forme de symbolisation. Pour les énergies, c'est pareil : on fait intervenir des diagrammes. Difficile de faire autrement.
La Force, le mouvement et les émotions
La Force de Star Wars est donc définie par ses seuls effets à travers deux fondamentaux du cinéma : le mouvement et les émotions qui sont sur l’écran.
Rey et Finn dans Star Wars 7 : le Réveil de la Force
“It’s true. All of it.” dit Han Solo et il le croit, il en est même certain à cet instant, car il n’y a pas de doute, la Force existe bel et bien… dans le monde de Star Wars montré sur l’écran.
Dans notre monde bien réel, au terme de sa vie, lors de ses derniers vœux en tant que Président de la République, le 31 décembre 1994, François Mitterrand délivrait ce dernier message, celui d’un homme devant le mystère du monde et de la vie : " Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas. " Il ne pouvait aller au-delà de l’acte de foi et ne pouvait qu’affirmer sa croyance. Il reste d’ailleurs que cette phrase elle-même était empreinte de mystère. Comment la comprendre ? Elle n’était évidemment pas prononcée en préambule à des précisions ou à une analyse plus approfondie. Car ce n’était pas du cinéma et l’émotion était intense, liée aux circonstances qui font toute l’humanité de la déclaration à la télévision : François Mitterrand savait ses derniers jours inéluctablement venus.
Bien sûr, ce n’était pas à cet instant le propos de François Mitterrand, mais en nous en tenant à une approche plus immédiate de l’expression « les forces de l’esprit », notons ici que, à ce jour, il n’y a aucune évidence scientifique venant étayer une quelconque action directe dans ce monde, de forces de l’esprit. Nous sommes d’ailleurs bien en peine de cerner cette idée. Si on se restreint aux aspects matériels, ca devient plus simple. Désolé pour les amateurs de psychokinèse, mais on ne fait rien bouger par la seule action de son esprit. Dans le monde tel qu’il va, la physique et la psychologie sont deux disciplines distinctes, et même disjointes.
Entraînement de Luke Skywalker sur Dagobah avec Maître Yoda
Les conséquences de l’existence de la psychokinèse peuvent par contre être explorées par le cinéma. C’est pour partie ce que fait Star Wars depuis bientôt 40 ans et bien d’autres films depuis la naissance du cinéma. En effet ce que le cinéma met sur un écran n’est pas soumis aux lois du monde réel, qu’elles soient physiques, biologiques ou même psychologiques. Le cinéma projette de l’information à l’état pur qui vient nourrir notre perception audio-visuelle en temps réel. Chacun peut tenter sa chance et construire le monde qu’il imagine. Il n’y a pas de contrainte et la liberté est totale. Cela a commencé dès les débuts du cinéma, comme le montre par exemple le cinéma de Georges Méliès.
Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902)
Le film n’est, de toutes façons, pas jugé à l’aune de la science mais de notre intérêt subjectif, de notre plaisir. Que se passe-t-il alors sur cet écran lors d’une projection ? Qu’est-ce qui est objectif, intrinsèque ? En tous cas, il y a au moins la représentation du mouvement et des émotions que nous ressentons. La vitesse avec Fast & Furious 7 et un regard qui nous fait chavirer comme lors du « Here's Looking At You, Kid» de Humphrey Bogart à Ingrid Bergman dans Casablanca.
Le mouvement et les émotions sont au cœur du cinéma, et c’est ainsi depuis le début du cinéma avec le cheval au galop qui ne touche pas le sol de Eadweard Muybridge en 1880 et avec les premières projections en 1895 des frères Lumière dont le fameux Arroseur arrosé.
La résistance du réel, ce n’est pas du cinéma
Ce que j’appelle la résistance du réel, si elle n’est pas sur les écrans, en tous cas pas nécessairement, est toujours présente dans le monde réel. Pratiquement par définition. Les danseurs, comme Sylvie Guillem, peuvent tenter de nous faire croire le contraire le temps d’un spectacle tant on peut avoir l’impression que l’inertie, la gravité et la dissipation de l’énergie toujours associée au mouvement (3), n’existent pas en les regardant. Las… Philippe Découflé en suspendant les danseurs à des élastiques va encore plus loin dans ce sens lors de la Cérémonie d’ouverture des jeux olympiques en 1992. Il supprime le contact direct avec le sol impénétrable et change la relation du danseur au monde extérieur en opposant à la gravité, une force de rappel élastique.
Cérémonie d'Ouverture des XVIe Jeux Olympiques d'Hiver d'Albertville 1992 - "Les oiseaux"
Mais, pour nos beaux yeux, que ce soit en se mettant dans l’eau, dans l’air, en se suspendant ou en tombant, la danse, le cirque ou le sport peuvent changer la scène et jouer avec les règles à l’œuvre mais pas se soustraire à la réalité du monde et à ses lois. Le cinéma avec les films qu’ils nous donnent à voir, a lui une liberté totale : chercher le réalisme le plus pointilleux en enregistrant le réel suivant différents points de vue, en reconstruisant la réalité du monde pour finalement essayer dans les deux cas, de la rendre au mieux sur un écran avec la plus haute résolution possible ou bien… et bien en fait c'est la liberté totale. Un terrain de jeu pour la créativité avec une infinité de possibles.
Les possibilités offertes par le cinéma, projection sur un écran, sont sans limite, et ce que ce soit en 2D ou en 3D (dans ce contexte, la 3D me paraît du coup une amélioration marginale comparée à cet infini des possibles qu’embarque déjà la 2D). Cela fait plus d’un siècle que l’on fait des films, et Star Wars jalonne cette histoire sur plusieurs décennies, mais il y a toujours du nouveau et même si on ne s’en tient qu’à un seul genre : Avatar, Matrix,... Il y en aura peut être de plus en plus notamment grâce à la simulation numérique qui permet de tout calculer dans l’image et décuple encore les possibilités de création de nouveaux mondes. C’est déjà ce qu’a fait Georges Lucas en 1997 lorsqu’il a modifié la version de 1977 en incluant en particulier de nouvelles images de synthèse.
La magie du cinéma
Du côté des émotions, le champ des possibles est aussi immense et exploré par une multitude de films. Une réplique culte de la Nuit américaine de François Truffaut souligne à quel point le cinéma est d’une redoutable efficacité pour nous faire vivre devant un écran avec une incroyable intensité : « Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n'y a pas d'embouteillages dans les films, il n'y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. » Ou peut être en évoquant Duel, un des tous premiers films de Steven Spielberg, car j’ai bien cru que ce camion si menaçant était vivant…
Finalement, les mondes créés par le cinéma sont d’abord des mondes magiques. Et il est possible de mettre toutes les magies sur un écran, il suffit de les créer. La question devient celle de l’invention de magies qui permettent de faire les meilleurs films à l’aune de notre perception audio-visuelle (chacun son choix parmi Les Oiseaux, Dune, Rencontre du 3eme type, E.T., Inception…) . Ici Georges Lucas est le créateur génial d’une des plus magnifiques magies basée sur : « Que la force soit avec toi ! ». L’esprit et la matière interagissent au moyen de cette force qui associe aussi les émotions. Dans ce monde, le physicien et le psychologue sont des collègues de laboratoire. On pourrait imaginer un épisode de la série Star Wars dans lequel ils mèneraient de concert l’étude scientifique des propriétés de cette force dont on sait qu’en plus elle a un côté obscur s’opposant à la lumière.
A l’opposé, Asimov avait pris la peine de bien séparer les physiciens des psychologues dans la série des livres Fondation. Les forces de l’esprit dans ce cas, permettent « seulement » à un esprit humain de rentrer dans un autre cerveau, de lire ses pensées et éventuellement de le modifier, pas d’intervenir sur le réel, sur la matière inerte. C’est une autre magie. Que je sache, là les films restent à faire…
Références
- En ne considérant que les grandeurs physiques construites avec la masse, le temps et la longueur
- How to display science since images have no mass (2011), Joël Chevrier, Hong Z. Tan, Florence Marchi and Gail Jones
- La toupie de Inception ne tombera peut être effectivement jamais dans ce film où le rêve porté à l'écran devient collectif et rencontre le cinéma
- En 2009, Sean McDirmid, un chercheur en informatique au Microsoft Research Asia's Systems Research Group a écrit un article étonnamment intitulé « The Magic of UI Physics». Une tentative de traduction doit donner quelque chose comme : « La magie dans l'interface utilisateur basée sur la physique ». Il s’agit de l’interface utilisateur de nos Smartphones qui s’appuie en particulier sur l’interaction de l’utilisateur avec l’image sur l’écran. Ecrit rapidement: baser l'interface utilisateur de nos smartphones avec au centre un écran sur des règles issues de la physique, c'est bien pour la prise en main rapide par l'utilisateur. Y ajouter des règles non physiques, dites alors magiques, est peut être encore mieux... mais là c'est pour notre usage dans le monde réel !