La lumière synchrotron au service d'œuvres de Rodin
Publié par Esrf Synchrotron, le 5 mars 2016 5.8k
Dans le cadre d’une collaboration entre l’ESRF, le synchrotron européen de Grenoble, le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) et le Musée Rodin, des techniques d’imagerie synchrotrons ont aidé les conservateurs de Musée à avoir une meilleure connaissance des techniques de modelage utilisées par Auguste Rodin à la fin du 19ème et au début du 20ème siècles dans la fabrication de ses sculptures. Les études menées au synchrotron de Grenoble ont ainsi contribué à comprendre la composition des matériaux de modelage en parallèle de la restauration de deux sculptures en très mauvais état.
Photo : Buste de Hanako avant (gauche) et après (droite) restauration – Crédit : Bluzat, Cascio, Mary
L’exposition « La fabrique du portrait. Rodin face à ses modèles » organisée au Musée Rodin en avril 2009 visait à mettre en lumière l’art du portrait chez Rodin. A côté d’œuvres abouties, l’originalité de l’exposition était de montrer des « études », permettant à Rodin de mettre en place son processus de création. D’où une grande diversité dans les matériaux utilisés (en particulier la pâte à modeler, inventée au 19ème siècle), mais aussi parfois un état de conservation nécessitant une restauration importante, pour des pièces qui sont rarement exposées au public. En particulier deux bustes, celui d’Hanako datant de 1908-1912 (?) de Clemenceau, 1911-1913, étaient tels qu'il était impossible de les manipuler ou de les exposer et avaient besoin d'être restaurés avant exposition.
Dans ce contexte, le Musée Rodin a fait appel à une équipe scientifique pour identifier la composition des matériaux de modelage utilisés par Rodin et pouvoir ainsi établir des hypothèses quant aux origines de leur dégradation.
En complément des techniques d’analyse du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, Paris, l’équipe scientifique a fait appel à l’ESRF, pour utiliser les rayons X ultra brillants de la ligne de lumière ID21 pour une analyse plus poussée des fragments minuscules des deux sculptures. La taille de ces échantillons ne dépassait pas 1 mm³ (à peine plus gros qu’un cheveu).
Comme l’explique Marine Cotte, scientifique en charge de la ligne de lumière ID21 à l’ESRF, « la difficulté avec de tels échantillons est leur complexité intrinsèque, en raison à la fois des recettes initiales des pâtes à modeler qui contiennent souvent différents ingrédients organiques et inorganiques, mais aussi de l’apparition de produits de dégradation formées lors du vieillissement, par la libération et/ou une modification chimique de certains composants d'origine ou encore le dépôt de substances venant de l’environnement. La ligne de lumière ID21 à l’ESRF est particulièrement adaptée à de telles études, car elle offre un large panel de techniques de pointe au niveau mondial, utilisant la lumière infrarouge et les rayons X pour sonder la matière à l’échelle micrométrique. »
Les études menées à l’ESRF ont permis d’analyser la composition de la pâte à modeler utilisée par Rodin. Ces études ont montré que Rodin utilisait au moins deux types de matériaux modernes de modelage différents et que leurs compositions étaient proches de celles des pâtes à modeler commerciales mises sur le marché à la fin du 19ème siècle. « La pâte à modeler ne sèche presque pas, contrairement à l’argile. Rodin pouvait ainsi revenir sur son travail jusqu’à obtenir le modelage parfait », explique Marine Cotte. Mais ces pâtes ont un inconvénient. Leurs matériaux organiques (entre autre une matière grasse enrichie de carbonate de calcium) ne sont pas toujours très stables et fixent les poussières en surface. D’où des dégradations : un aspect gras et noirci en surface d’une pâte initialement blanche. « Grâce à la lumière infrarouge et aux rayons X produits par le synchrotron, nous avons pu voir que la surface contenait un corps gras qui piège les poussières. Le pigment donnant initialement la teinte blanche, le carbonate de calcium, lui n’a pas migré en surface, ce qui explique la différence de couleur », précise Marine Cotte.
Au cours de ce travail, plusieurs protocoles de nettoyage et de conservation ont pu être mis au point par l’équipe de restaurateurs français, avec des traitements adaptés aux matériaux spécifiques utilisés par Rodin. Des détails aussi subtils que les empreintes digitales ont pu être préservées. Comme le montre les images de l'article, l'état du buste d’Hanako, après restauration, est impressionnant et donne une très bonne idée de l’oeuvre originelle de Rodin.
>> Référence scientifique : Analysis and conservation of modern modeling materials found in Auguste Rodin's sculptures. Juliette Langlois, Guylaine Mary, Hélène Bluzat, Agnès Cascio, Nathalie Balcar, Yannick Vandenberghe, Marine Cotte. Studies in Conservation. doi/10.1080/00393630.2015.1131029