Les papyrus d'Herculanum livrent de nouveaux secrets
Publié par Esrf Synchrotron, le 22 mars 2016 5.6k
En combinant plusieurs techniques synchrotron à l’ESRF, le synchrotron européen de Grenoble, une équipe scientifique internationale a fait une nouvelle découverte en étudiant deux fragments de papyrus d’Herculanum : la présence d’encre métallique. Cette découverte ferait remonter de plusieurs siècles l'introduction de métal dans l'encre. On pensait en effet que ce progrès avait eu lieu pendant le Moyen Âge, soit des siècles après la Rome antique.
Légende de la photo en bannière : Droite - Fragment d’un papyrus d’Herculanum (l’ensemble fait 5cm de haut) - Gauche - Imagerie du plomb par fluorescence X - Crédits : E.brun
Les papyrus d’Herculanun n’ont pas fini de livrer leurs secrets. Découverts entre 1752 et 1754 dans la cité d’Herculanum, très probablement dans la villa du beau-père de Jules César, ensevelis et carbonisés sous plus de 20 m de matériaux volcaniques par l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère, ces papyrus passionnent les historiens. Il s’agit en effet de la seule bibliothèque de l’Antiquité retrouvée complète : elle contient des traités philosophiques inconnus, uniques.
Déjà en 2015, grâce à une nouvelle technique non invasive d’imagerie par rayons-X (tomographie en contraste de phase 3D) développée à l’ESRF, des scientifiques avaient pu révéler des lettres grecques et un alphabet quasi complet dans des papyrus d’Herculanum carbonisés par l’éruption du Vésuve en 79 après JC (Mocella et al., Nature Communications, 20 January 2015) ; et ce, sans détruire ces précieux ouvrages, contrairement à toutes les méthodes utilisées jusqu’à présent.
Les lettres identifiées par contraste de phase, en 2015, à l'ESRF - Crédit : @E.brun
Depuis cette découverte, les scientifiques ont continué d’utiliser la lumière synchrotron de l’ESRF pour tenter de percer les mystères de ces papyrus vieux de plus de 2 000 ans. C’est en combinant plusieurs techniques synchrotron (la micro-imagerie par fluorescence-X sur la ligne ID21, la diffraction par rayons X sur ID11 et la spectroscopie près du front d’absorption de rayons-X sur BM26), que les chercheurs ont mis en évidence de l’encre métallique (composée de plomb). Ils ont également établi que la forte concentration de métal (environ 84 µg/cm2 et 16 µg/cm2-s) ne pouvait s'expliquer par une simple contamination par le plomb présent dans les réseaux d'eau ou par le fait que le plomb proviendrait d'un encrier de bronze.
Comme l’explique Marine Cotte, responsable de la ligne de lumière ID21 à l’ESRF : " Ce type d'étude démontre une nouvelle fois l'importance des méthodes d'imagerie pour analyser les objets du patrimoine. Grâce à la puissance du faisceau synchrotron de l’ESRF, les analyses sont très rapides (un dixième de seconde par point), ce qui permet d'acquérir de nombreuses données très rapidement. L'autre avantage du synchrotron est que nous avons pu facilement combiner une étude basse résolution (analyse de toutes les lettres avec un faisceau d'un dixième de millimètre) et une étude haute résolution (avec cette fois un faisceau plus petit que le millième de millimètre : micron) pour tenter de percer le secret de la composition de l'encre et voir quels éléments étaient associés au plomb."
Gauche : Mise en place des fragments de papyrus pour l'étude de diffraction, ESRF. Crédit : D.Delattre - Droite : Morceau d'un papyrus d'Herculanum (l'ensemble fait 5cm de haut). Crédit : E.Brun
Cette nouvelle découverte scientifique apporte un changement de paradigme pour l’histoire de l’écriture, comme l’explique Daniel Delattre, directeur de recherche en papyrologie (CNRS-IRHT) : "Depuis près de 2000 ans, on croyait tout savoir, ou presque, sur la composition de l'encre antique utilisée pour écrire sur papyrus. Les études très pointues menées au Synchrotron européen nous démontrent qu'il faut se méfier des idées reçues et qu'elle pouvait aussi receler du métal, en l'occurrence du plomb en quantité non négligeable."
Jusqu’à présent, les historiens pensaient que le métal n’était pas présent dans l’encre utilisée dans les papyrus gréco-romains, fabriquée, comme le décrivait Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, à partir de carbone issu de résidus de fumée. Le seul usage connu d’encre métallique était pour l’écriture de messages secrets au IIe siècle avant Jésus-Christ. C’est aux environs de 420 après JC. qu’un mélange ferro-gallique a été identifié comme composant l’encre d'écriture pour les parchemins. Par la suite, les encres métalliques sont devenues la norme pour les documents de la fin de l'Antiquité et pour la plupart de ceux du Moyen-Age.
Cette découverte ouvre également de nouvelles perspectives pour le déchiffrage des papyrus, comme l’explique Emmanuel Brun, principal auteur de l’étude (ESRF-INSERM) "Cette découverte est une nouvelle étape dans l'aventure passionnante de l'étude des papyrus d'Herculanum. Les différentes phases de cette étude sur l'encre vont nous permettre d’optimiser les prochaines expériences pour la lecture de textes invisibles dans les papyrus antiques. “
Ancient scrolls give up their secrets https://t.co/HRxGhtyVmC pic.twitter.com/SxZKfd3wtd
— BBC Science News (@BBCScienceNews) 22 mars 2016
>> Références scientifiques :
- Revealing metallic ink in Herculaneum papyri, Proceedings of the National Academy of Sciences, E.Brun et al., 21 mars 2016.
- Tracking ink composition on Herculaneum papyrus scrolls: quantification and speciation of lead by X-ray based techniques and Monte Carlo simulations. Scientific Reports. doi:10.1038/srep20763. P. Tack et al.