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Humagora
Est-ce que tout le monde a une petite voix dans la tête ?
Conférence de Hélène Lœvenbruck dans le cadre du cycle "Avenue centrale. Rendez-vous en sciences humaines" (saison 9).
Je vois sa main bouger Sa bouche Et je me dis
Qu'elle reste pareille aux marches du silence
Entendez-vous votre voix quand vous lisez ces vers d’Aragon ? Qui dit à qui quand je ME dis ?
Comment contrôlons-nous nos voix intérieures ?
Le langage intérieur, nommé aussi petite voix dans la tête, pensée verbale ou endophasie, varie selon les individus ou les situations. On distingue principalement trois dimensions de variation : la condensation, la dialogalité et l’intentionnalité.
L’endophasie est parfois très condensée, avec des bribes à peine formulées, des concepts, une forme désincarnée. D’autres fois, elle est déployée sensoriellement, avec des phrases entières qu’on articule mentalement et qu’on peut entendre dans sa tête, comme lorsqu’on récite un poème. Il existe un continuum de condensation, depuis un extrême condensé à l’autre développé. La deuxième dimension concerne la dialogalité. On peut en effet passer du soliloque intérieur (« il faut que je raccourcisse ») au dialogue interne avec soi-même (« je me dis ») ou avec autrui. On peut ainsi revivre un dialogue passé ou anticiper une conversation à venir et entendre les paroles de nos interlocuteurs imaginés. L’endophasie varie aussi en intentionnalité. On peut observer des variantes délibérées, comme dans les situations où l’on doit retenir une liste de courses. À d’autres moments, les pensées verbales surviennent à l’improviste, de façon non-intentionnelle, dans des moments de rêverie ou de vagabondage mental. On touche ici aux limites de l’agentivité, ce mécanisme subtil qui nous donne le sentiment d’être l’auteur de nos actions, et en particulier de nos verbalisations intérieures.
Les neurosciences cognitives permettent de confirmer expérimentalement certaines intuitions sur la diversité endophasique et d’expliquer l’origine de formes extrêmes telles que l’aphantasie ou l’hallucination auditive verbale. Elles permettent aussi de mieux comprendre la fonction de l’endophasie. On observe ainsi que, pour de nombreux individus, l’endophasie joue un rôle central dans la cognition, notamment dans la mémoire de travail, la mémoire autobiographique, le calcul, la résolution de problème, la prise de décision, la planification. Elle a également un rôle métacognitif : elle renforce la conscience de soi, c’est-à-dire la reconnaissance de sa propre existence. Elle permet l’auto-régulation, l’auto-critique, l’auto-encouragement, l’auto-réconfort. En se parlant et en dialoguant intérieurement, l’être humain se forge ainsi une autonoèse et améliore sa compréhension d’autrui. Se parler permet de se connaître, de mieux s’entendre soi-même… et avec autrui.
Informations complémentaires
Hélène Lœvenbruck est directrice de recherche CNRS au Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC - UMR 5105 CNRS / Université Grenoble Alpes).
Responsable de l'équipe Langage du LPNC, elle est neurolinguiste et s’inscrit dans une démarche interdisciplinaire pour étudier trois fonctions essentielles du langage : la fonction sociale de communication, la fonction cognitive d’élaboration de la pensée, et la fonction métacognitive d’autonoèse ou de conscience de soi dans le temps. Ses travaux relèvent de la cybernétique verbale : elle cherche à mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent la régulation de la production et de la réception du langage, dans ses différentes manifestations : extériorisées et intérieures. Dans son essai Le mystère des voix intérieures (Eds Denoël, 2022), elle déroule un monologue scientifique, entrecoupé de vagabondages personnels et ponctué d’extraits d’œuvres littéraires et artistiques, invitant les lecteurs à explorer les facettes de leur endophasie.
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En pratique
> Conférence ouverte à tous, dans la limite des places disponibles
> Également retransmise en direct
> Plus d'infos sur le site web de la MSH-Alpes.
De 12:15 à 13:15