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Science F(r)ictions

Ubik/Orbik : Un lieu hors du temps

Publié par Ludovic Maggioni, le 2 avril 2012   3.8k

Pour ce spectacle joué les 8 et 9 mars dernier à l’Hexagone, scène nationale de Meylan, la compagnie Haut et Court se propose d’explorer la science-fiction. 

Phil, un écrivain de science-fiction raté à l’imagination débordante rencontre Maury, inventeur de génie qui a découvert le moyen d’engendrer des extensions physiques de notre univers. Les deux hommes créent MicroWorld Inc., une entreprise qui propose aux gens de quitter le macro-monde et de glisser dans des micro-mondes dont le contenu est entièrement issu des délires de Phil (1).

La science fiction de Philip Kindred Dick

Pour ce spectacle joué les 8 et 9 mars dernier à l’Hexagone, scène nationale de Meylan, la Compagnie Haut et Court se propose d’explorer la science-fiction. Elle place donc le personnage de Philip Kindred Dick au cœur de sa création. Né en 1928, il est l’auteur américain de romans et d’essais de science-fiction à succès (comme Ubik, Le Maître du Haut Château, etc.) dont certains ont été adaptés au cinéma pour devenir des films cultes : Blade Runner (2), Total Recall, Minority Report

Pour sonder les entrelacs de sa conscience et démêler ses perceptions quelque peu labyrinthiques, Joris Mathieu, le metteur en scène a choisi de collaborer avec un auteur familier et érudit du monde de la science-fiction, Lorris Murail.

Une scénographie des profondeurs

Dès les premières minutes de la pièce, la scénographie entraîne le spectateur dans un lieu hors du temps. Un visage et des mains content une histoire, il est alors question de jumeaux. Ce visage et ces mains, seuls au centre d’un mur rouge, instaurent une relation tout à fait particulière à la scène. Le spectateur est il face à un écran ou à la réalité ? Le doute est là.

L’espace se nourrit de la perspective. La scénographie joue sur l’illusion d’une sorte de lieu mis à distance du spectateur par un grand cube blanc disposé en avant scène. Ce cube, composé comme un cadre, focalise le point de regard du spectateur. Il est le pivot de l’esprit du spectacle. Il créée un éloignement visuel de l’espace de l’action.

Une mise en scène qui désoriente le spectateur

Au fur et à mesure du déroulement du spectacle, plusieurs lieux se dévoilent en relation avec la profondeur. Le premier plan, le second et l’arrière-plan surprennent. Ils apparaissent, disparaissent se juxtaposent et entretiennent un trouble sur le spectateur. Paradoxe entre mal-être, perdition et fascination pour ces non lieux hors du temps.

Dans son histoire tout devient possible. L’illusion devient une expérience collective. La frontière entre les personnages réel et fictionnel s’efface, ce qui par moment peut déstabiliser le spectateur dans la compréhension de l’histoire.

Théâtre ou cinéma

L’illusion créée tout au long du déroulement des scènes interroge sur la nature de ce spectacle. L’omniprésence de mixage entre scène jouée par des acteurs réels et scènes dévellopées par un dispositif d’illusion (3) réalisées avec brio induit une sensation surprenante. Le spectateur est-il au théâtre, au cinéma ? La structure blanche en avant scène formant un cadre en 16/9 renforce ce sentiment. Le travail sur l’image, hyper esthétisant lui aussi, rappelle des scènes du cinéma. La nature de ce spectacle deviendrait alors une sorte d’hybride ?

Histoire sans repères

Pris, la compagne de Phil l’écrivain raté est le personnage qui ancre l’histoire dans la réalité. Elle n’en peut plus des factures qui s’accumulent et de l’insalubrité de leur logement qui se trouve six étages sous terre. Très rapidement, le spectateur peut se perdre dans ces mondes illusoires, si extraordinairement présentés. Les personnages se mélangent, l’histoire semble parfois devenir prétexte à la mise en scène.

Peut-être alors faut-il mettre de côté l’histoire et comme dans les mondes de Samuel Beckett laisser libre cours à son imaginaire et apprécier pleinement la nature incertaine de ces espace-temps. Néanmoins, l’illusion est tellement forte qu’une question reste en suspens jusqu’à la fin du spectacle : combien de comédiens jouent sur scène ? Seul le salut final répondra.

Notes

  1. D’après le site de l’Hexagone, scène nationale de Meylan
  2. Le titre initial de l’œuvre de Philip K. Dick est « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? »
  3. La technique du « Pepper’s ghost » employée dans ce spectacle a été mise au point par John Henry Pepper à la fin du XIXème siècle. Elle utilise le reflet d’une image sur une vitre avec un éclairage particulier afin de créer des illusions d’optique, de faire apparaitre et disparaitre des images.

>> Pour aller plus loin : "Le troublant théâtre optique de Joris Mathieu au chevet de Philip K. Dick" (article de JP Thibaudat publié sur Rue89, blog Théâtre et Balagan, le 21 février 2012)
>> Illustrations : Siegfried Marque