Le talent est-il une illusion ?
Publié par Jean Claude Serres, le 30 septembre 2024 700
Ce titre provocateur est tiré du livre de Samah Karaki, neuroscientifique, maintenant consultante œuvrant dans les méthodologies d’apprentissages et d’adaptation comportementales. Il est évident que les Demoiselles d’Avignon de Picasso, l’église de St Hugues en Chartreuse décorée par Arcabas, tout comme l’invention de ChatGPT, celles de Bill Gate dans l’informatique, l’invention du moteur à explosion ou encore les performances de Benjamin Védrines dans les alpes ou l'himalaya révèlent des productions talentueuses incontestables.
L’illusion n’est pas dans le constat de l'existence de talents conduisant à ces productions mais dans l’explication simpliste et justificatrice de talents potentiels, préexistants et essentialisant leurs auteurs dotés de don, de génie. Le talent n’est pas lié à une simple prédisposition génétique. Le talent ou compétence résulte d’un développement lié à des causes multifactorielles et collectives issues d’un environnement complexe. Le cerveau est génétiquement câblé pour s’adapter à l’environnement. Les facteurs socioculturels, l'héritage parental, le contexte socio-économique, contribuent de façon majoritaire à l’élaboration ou pas de talents plus ou moins remarquables. Le potentiel génétique sera plus ou moins exploité en fonction des facteurs liés aux acquis. La mesure du QI, capacité d'abstraction très réductrice des facultés intellectuelles de chacun est objective, mais elle n’est pas un invariant collectif. En effet, le niveau de QI moyen progresse de façon significative année après année comme il évolue pour chacun en fonction de la durée des apprentissages. C’est une mesure essentiellement socioculturelle.
Les talents résultent de processus d'apprentissages et d’expérimentations complexes combinant les facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et les dispositifs d’apprentissages institutionnels, familiaux et environnementaux. A chaque stade d’apprentissage, qu’il soit en enseignement initial ou en formation continue, l’évaluation des acquis ne concerne pas l’apprenant mais l’ensemble des facteurs dont l’efficacité des dispositifs. Chaque apprenant possède une histoire, un itinéraire de vie singulier qui met à mal l’idéal d’égalité des chances. Le droit à la prise en compte de la différence de chacun est balayé au nom de l’égalité illusoire des chances, comme de l’efficacité très sélective des dispositifs éducatifs. L’éducation nationale privilégie deux formes d’intelligence : la logique conceptuelle mathématique et les facultés langagières au détriment des autres types d'intelligences multiples identifiées par Howard Gardner.
Les facteurs socio-éducatifs qui favorisent les facultés d’apprentissage et surtout les capacités d’apprendre à apprendre obéissent à des lois ago antagonistes d’un environnement complexe. La recherche de causalités directes n’a pas de sens. Aucune discipline scientifique ne peut s’arroger le droit de régir les dispositifs d'apprentissage, ni la sociologie, ni la psychologie, ni les neurosciences et la biologie. Les approches se doivent d'être multidisciplinaires et dotées de beaucoup d’humilité. Les critères favorables à une bonne faculté d'apprentissage seraient par exemple :
- Vivre dans un environnement de bien-être confortable
- posséder une faculté d’attention focalisée sur une mono activité
- avoir acquis les caractéristiques du fonctionnement cérébral
- s’engager sur des objectifs atteignables et valorisant de petits succès
Hors des personnages illustres ont développé des talents sans disposer de ces critères. Tout au contraire des situations de mal-être conditionnent la réalisation d'œuvres artistiques remarquables. Une succession d’échecs non gratifiants ont conduit au bout d’un certain nombre d’années à un renversement de situation et à une reconnaissance sociale importante. Il n'existe pas de déterminisme simple conduisant ou pouvant expliquer des catastrophes -métamorphoses exemplaires.
A - Apports neuroscientifiques (Grégoire Borst - Olivier Oudet - Marie Létang)
La plasticité neuronale induit que le cerveau se transforme en permanence en phase d'apprentissage et peut se reconditionner tout au long de la vie. Il existe cependant des fenêtres temporelles plus efficientes pour certains apprentissages. Apprendre aujourd’hui ne consiste plus à mémoriser un tas d'informations disponibles sur internet mais demande à mieux comprendre les informations disponibles et à analyser leur pertinence.
Les facteurs favorisant les apprentissages :
capacité d’attention limitée et de concentration focalisée sur les infos pertinentes
qualité du sommeil
mémorisation et remémoration séquentielle
apprentissage à partir des erreurs
Utilisation des acquis : pertinence des prises de décision - les 3 systèmes
Le système 1 relève de la routine. Il est très efficient et souvent efficace pour les décisions simples et rationalisables
Le système 2 permet de fiabiliser la décision après la prise de recul du système 3 inhibiteur du système 1 . Les systèmes 2 et 3 permettent de réduire les effets négatifs des biais cognitifs de confirmation, les biais sociaux de conformisme.
Un exemple : Quel est le prix d’un étui de protection si le prix de la tablette et de l’étui vaut 240 euros et si la tablette coûte 200 € de plus que l’étui ?
le système 1 donne prix de l’étui = 40 €
le système 2 raisonne : X (étui) + X +200( tablette ) = 240 L’étui coûte 20 €
B - Apports du Penser Agir en Complexité
Les décisions complexes sont par nature non rationalisables car trop de facteurs sont à prendre en compte. Le système 2 de raisonnement logique se limite à une prise en compte très limitée de facteurs de risques ou paramètres.
Le système 3 inhibiteur du système 2 conscientise l’indécidabilité logique (problème à solution unique) pour faire appel à l’écoute des signaux faibles et des intuitions intégratrices des différents facteurs de complexité. Le système 3 inhibe les émotions et la peur qui empêchent la délibération consciente ou intuitive.
Le système 1 de routine et d’automatisme résulte d’un apprentissage de procédures logiques simples. A l’inverse, le système 4 s’appuie sur les performances cérébrales non conscientes et massivement parallèles qui résultent de la prise en compte de cartes mentales de types paysages.
La phase d’apprentissage implique une autre fonction inhibitrice du système 3. Il s'agit d’engager une métacognition questionnant le comment je pense ce que je pense. L’apprentissage et le retour d’expériences de mémorisation de cartes mentales synthétiques complexes accroît par maturation successive la pertinence des intuitions.
Exemple: la prise de décision d’un changement majeur de vie professionnelle ou familiale nécessite la prise en compte de multiples facteurs . Le contexte n’est plus d’ordre scientifique mais stratégique. Une acquisition lente des cartes mentales sectorielles et des facteurs de risques prenant en compte les facteurs de méta cognition permettra de prendre le jour J une décision de type système 4, le système 3 ayant placé le système 2 en mode d'indécidabilité consciente (mise à égalité des facteurs + et -) et des facteurs d’inhibition émotionnelle négative.
En synthèse : les approches rationalistes scientifiques sûr-valorisent les problématiques à solutions objectives mobilisant l’intelligence conceptuelle et l’intelligence langagière démonstrative (pensée récit), au détriment des autres approches. Ces autres approches mobilisent les intelligences multiples et en particulier l'intelligence logico-spatiale (pensée paysage), plus adaptée aux problématiques complexes, à forte incertitude et multifactorielle. Les différentes formes d’IA seront sans doute indispensables pour le commun des humains, doté de capacités intellectuelles limitées dans les contextes complexes et d’incertitudes, pour l’aider à prendre des décisions de type complexes.
Jean Claude Serres
Références
Samah Karaki
conférence sorbonne https://www.youtube.com/watch?v=oPkFKMyM0Cg 1heure
Le talent est une fiction https://www.youtube.com/watch?v=Y-FN71SEvCo&t=11s 20mn
L’intelligence n’est pas un talent inné https://www.youtube.com/watch?v=GfNKrvZfrag 11mn
Bruno Hourst
les intelligences multiples https://www.youtube.com/watch?v=gQLitHPA9Zg 16mn
Grégoire Borst
apprendre à comprendre https://www.youtube.com/watch?v=RU_DHhB_5YU 33 mn
temps d’écran et qualité des contenus : https://www.youtube.com/watch?v=SOlQsuCYPGc
9 mn
3 techniques pour apprendre à apprendre : https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/FMfcgzQVzXdJQqNZMLRVZwvrPGwJKbbh?projector=1 3mn
apprendre à apprendre https://www.youtube.com/watch?v=qfMqiXPgeGI 1h
Olivier oudet gregoire borst https://www.youtube.com/watch?v=HsCWE5sOEpE
Luc Julia L’intelligence artificielle n’existe pas https://www.youtube.com/watch?v=yuDBSbng_8o&t=10s 55mn