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Mémoires du Futur

Du rapport au vide et à la beauté

Publié par Jean Claude Serres, le 15 août 2024   580

De François Cheng à Nathalie Cabrol, en passant par
He Yifu, Zao Wou Ki, Ikebana, Fabienne Verdier

et le télescope James Webb

Le vide comme la beauté ne se laissent facilement utiliser. Mettre en relation le vide et la beauté ne va pas de soi : chacune des notions se trouve très connoté culturellement.

Si la beauté objective ou subjective permettait de caractériser le but et la réussite d’une œuvre d’art, pouvant toucher au sublime, à l'émerveillement et au sacré jusqu'à la fin du XVIII siècle, ce n'est plus systématiquement le cas, depuis, en occident. Depuis le XIX siècle, la recherche de la beauté reste l’un des moyens parmi d’autres, d’expression esthétique pour réaliser une œuvre d’art. 

En réfléchissant au rapport entre la beauté et le vide nous allons envisager ce questionnement dans la différence entre les cultures occidentales et d'extrême orient.

La notion du vide est beaucoup plus polysémique. Faire le vide dans son espace de travail ou d’habitation comme dans sa tête relève de l’action de se débarrasser de ce qui encombre, surcharge ou nous fatigue, nous oppresse. Une belle expression : effectuer un désherbage, aracher les mauvaises herbes au sens propre, consiste à supprimer nombre de livres secondaires dans une bibliothèque surchargée.

En science et en particulier dans la cosmos, le vide n’est pas le néant mais l’absence d'éléments que l’on recherche, de ce que l’on est capable d’observer. Dans le micromonde de l’infiniment petit, le vide quantique est sans doute empli d’énergies (sombre ou noire), de tensions qui expliquerait peut-être pourquoi notre univers est en expansion et que cette extension augmente. Ce n’est pas le fait de la dynamique des galaxies, mais de l'évolution de notre espace temps lui-même. Si le big bang date de quelques 13,7 milliards d’années, notre horizon cosmique observable actuellement est de l’ordre de 46 milliards d’années lumière. Le vide intergalactique est rempli d'inconnu !!! Il n'existe pas de vide absolu. 

En philosophie occidentale le vide est souvent associé au néant, à l’absence d'existence, l'absence de sens, à l'angoisse existentielle. Tout au contraire, en extrême orient, le vide est chargé de potentialités, d'énergie, de souffle vital. Un contre sens occidental concerne l’interprétation de la pratique méditative de pleine conscience par exemple. Le méditant ne recherche pas le vide mais bien au contraire, se pose (comme une caméra cachée) en une conscience silencieuse qui observe des flux de pensées internes, les flux émotionnels, les désirs comme l’environnement externe dans lesquels ils se produisent. 

Dans la dimension artistique, le rapport de la beauté et du vide diffère fortement  entre les deux cultures françaises et chinoises. Nous allons explorer cela à partir des apports de François Cheng et de François Jullien 

Rapport entre le vide et la beauté d’un paysage en occident

Ma photographie en entête est prise au col de champs dans les alpes du sud

L' exemple du paysage est très explicite pour comprendre les différences. Pour l occidental, le paysage est un pays, un extérieur  doté de frontières. L' observateur n’en fait pas parti. Il est plein, sans vides. Quelques espaces blancs, sans peinture, ne laissent aucun message autre qu' inachevé. Natures mortes ou bouquets floraux sont chargés

Quelques règles simples organisent le tableau : position du sujet décentré, position de la ligne d' horizon, échelle et perspective. Même en abstrait figuratif comme chez N De Staël on retrouve cela. 

Rapport entre le vide et la beauté d’un paysage en chine  

Le terme "paysage" en Chine est un idéogramme exprimant une tension entre deux extrêmes, la montagne rigide qui tend vers le haut et l'eau fluide qui descend.

Entre les deux, le vide de peinture, le blanc représente la mise en tension de ces deux extrêmes, le souffle vital. L' observateur fait corps avec le paysage. François Cheng illustre ce propos dans un petit livre Vide et Plein

Fabienne Verdier réalise ses tableaux en faisant Corp et dance avec ses pinceaux (60kg) suspendus à des palans.

François Jullien nous invite à découvrir l'inouï

Rapport entre le vide et la beauté dans l’observation du cosmos avec Nathalie Cabrol   

Les photographies du dernier télescope situé à 10 000 km de la terre nous offrent des images numériques, véritables tableaux qui nous font plonger dans l' incommensurable si l' on prend en compte les échelles de temps et de distance. Véritable mystère du vivant et de la vie de la matière qui nous a engendré. Le vide s’y trouve en pleine puissance mais il n' est pas absolu, seulement relatif à nos moyens de mesure. 

Pour approfondir ce questionnement relatif à la beauté et à la place du “vide” dans ce dernier, voilà quelques références passionnantes à découvrir 

François Cheng : Vide et plein ; Œil ouvert et cœur battant

François Julien : Dé coïncidence ;  L’inouï 

Fabienne Verdier : Passagère du silence ;

Fabienne Verdier et Alain Berthoz : une séance de peinture, entre cerveau, art et science 

He Yifu : le voyage d’un peintre chinois dans les alpes

Zao Wou Ki : découvrir sur Internet 

Ikebana : art traditionnel japonais et techniques à rechercher sur internet 

Nathalie Cabrol : l'énigme cosmique de la vie