Du politique, du scientifique et du citoyen
Publié par Jean Claude Serres, le 16 juin 2020 1.9k
Le long feuilleton à propos de hydroxychloroquine a mis en évidence les failles des processus décisionnels. Je n’ai aucune compétence pour porter le moindre jugement sur l’efficacité ou non de cette molécule à propos du traitement des personnes atteintes du virus du Covid.
Mon propos est de traiter à partir de cet exemple précis des difficultés de décider dans l’incertitude et en particulier d’entrer en dialogique. Cet exemple révèle les biais cognitifs, les failles logiques entre les décideurs politiques et scientifiques et surtout des contempteurs médiatiques. Ce feuilleton illustre différents articles et leur interdépendance :
Biais cognitifs dans les décisions complexes
Dialogue entre raison et intuition
De la reliance et de la dialogique
Dans cet article je n’aborderai pas les dérives complotistes qui ont été alimentées par ce roman feuilleton, ni les fondations des partisans de Pierre Paul ou Jacques…Je vais cerner quatre acteurs typiques : le médecin en prise avec le malade qu’il faut soigner et surtout sauver, le chercheur scientifique qui se doit de valider ou infirmer un protocole médical, le gouvernement qui doit endiguer l’épidémie et enfin les acteurs médiatiques qu’ils soient qualifiés de scientifiques ou journalistes.
Le contexte de décision est de type complexe : incertitude de la propagation, épuisement des ressources médicales, effets sociaux économiques, incertitudes médicales à propos du virus, des phénomènes de contagion et de traitement. Ces niveaux d’incertitude et de complexité organisationnelle ont fortement évolué entre début mars et début juin.
Entre Mars et Juin les laboratoires de recherche médicale ont eu du temps pour progresser dans leurs analyses, le gouvernement a pu constaté les effets positifs du confinement pour circonscrire l’épidémie sans pour autant pouvoir apporter la preuve de son bien fondé.
Revenons au début Mars quand les membres du gouvernement et les médecins ont du faire face chacun dans leur métier, à un grand manque de compétence opérationnelle. Ils ont du prendre des décisions stratégiques (à haut risque, ruse, pari et essentiellement non scientifiques). Par contre les chercheurs scientifiques n’étaient pas en posture d’aider ces décideurs, de manière scientifique, mais seulement par analogie, au vu de leur expérience passée, c'est-à-dire encore des recommandations empreintes de doutes. Par contre ces derniers ont pu engager des protocoles de recherche scientifique qui amènent ou amèneront de nouvelles connaissances dans les mois qui suivront.
Les contempteurs médiatiques n’ont pas su prendre de la hauteur, montrer l’impossible dialogique initiale entre « décisions scientifiques » et « décisions stratégiques ». Par contre ils ont usé et abusé de leur pouvoir médiatique en fausse « posture de sachant ».
Chacun de ces acteurs, est resté un être humain dans sa dimension globale aux prises avec ses émotions, ses affects, ses logiques et le sens qui donne à ses actions, c'est-à-dire ses convictions. La communication contagieuse de la peur, a peut être été le moyen le plus efficace pour engager massivement une modification du comportement social.
Cette peur est probablement devenue rapidement contre productive (retards des soins, perte de repères et d’espoirs, difficultés à sortir du confinement etc.)
En trois mois, les contempteurs n’ont pas su informer le public ni les acteurs : les protocoles de recherche étaient ils cohérents avec les protocoles mis en œuvre par les praticiens de la santé sur le terrain ?
Il en résulte que les émotions et affects de bien des citoyens ont pris le contrôle de leurs décisions et de leurs engagements individuels.
Aujourd’hui il serait temps de prendre en compte la dialogique indispensable à la reconstruction de notre société qui sort d’une catastrophe socio-économique comparable à 1945. Les différents articles sus-cités apportent quelques clés à la compréhension de la dialogique. C’est un chemin long, difficile et probablement utopique d’éducation à la citoyenneté.