De la fidélité et du risque associé
Publié par Jean Claude Serres, le 29 mars 2022 2.7k
Deux articles, celui-ci et le prochain compléteront les questionnements induits par le livre "Eloge du risque". Il n'est pas étonnant que ce livre me titille au vu de l'importance de l'analyse et la maîtrise des risques qui ont irrigué toute ma vie professionnelle et sportive.
De la fidélité et du risque associé
A partir du livre « Eloge du risque " de Anne Dufourmantelle [suite], le chapitre "Inguérissables (in)fidélités” m’ inspire les réflexions suivantes :
Quand un jeune couple s'engage à vivre ensemble, pour fonder un ménage, une famille, chacun abandonne un peu de son "moi" historique pour bifurquer vers un "moi" transformé et dans le meilleur cas en créant un "nous" partagé.
L’engagement est pris pour inscrire cette rencontre initiale dans la durée. C'est l'engagement de fidélité. Un "jeune couple" peut se construire à tout âge. C'est la “mise à couple” (métaphore marine) qui est jeune. La fidélité est relative à ce nouveau "nous" et ces "moi" en évolution. La rencontre initiale se transforme en rencontre continue dans un couple bien vivant.
Le risque de la fidélité est du côté de l'opportunité, celui de vivre et de développer une bienveillance réciproque dans la joie d'un amour profond et partagé. Du côté des menaces, chacun peut courir le risque d'un étouffement du "soi" ou d'un amour plus grand plus proche de ses aspirations profondes. A contrario, le risque d'infidélité inverse les facteurs. Très souvent, trop souvent, l'infidélité se réalise dans une vie parallèle dévastatrice pour le partenaire délaissé. Les enfants en sont les plus grandes victimes.
Il peut arriver qu'une rencontre fortuite et magique produise un coup de foudre irrésistible mettant en péril les engagements initiaux. Ce n'est pas, de loin, le cas le plus fréquent. L'engagement dans une vie parallèle résulte le plus souvent d'une dérive de réalisation de soi, d'un éloignement trop grand par rapport à l'engagement initial, de la routine, de l'ennui et de la perte de la joie de vivre à deux.
Dans la majorité de ces cas, la personne en quête d’un plus de réalisation de soi, pourrait devenir plus respectueuse de ses proches et de son partenaire en engageant une autre démarche. Pratiquer un bilan personnel, ou mieux à deux, permet d’évaluer les écarts, les insatisfactions et aussi ce qui continue à aller bien. Rechercher à donner un autre souffle à la vie en couple et si cela ne convient pas de s’engager dans la séparation. Le désaccord peut être dur à encaisser mais sera toujours moins humiliant, moins dévastateur que les effets d’une vie double qui perdure et trompe l’autre dans son amour, sa confiance et sa raison de vivre à deux.
Ce faisant le roi ( la reine) est nu, prenant peut être le risque d’une solitude qui perdure. Cependant la richesse de cette démarche consiste à produire un travail sur soi, dans l’analyse des risques globaux de son projet de vie, dans la réalisation d’un “soi” plus désirable, plus authentique, plus épanouissant. La recherche d’un nouveau partenaire en sera facilité, plus honnête et plus éthique, pour l’ancien comme pour le nouveau.
L’essentiel me paraît de devenir fidèle à son “soi” désiré. Se détacher de la zone de confort précédente est certes difficile et plus courageux. Ce projet de réalisation d’un “soi” futur implique un éloignement, un vide par rapport au "soi'' précédemment accompli. Cela ouvre les portes de l'inattendu, des possibles non imaginables, de sortir de soi. L’histoire, le passé de la personne ne sont pas les seuls ferments de la construction d’un soi futur”. Le contexte présent et l’environnement peuvent engendrer des bifurcations imprévisibles. La rencontre amoureuse se révèle parfois le facteur prépondérant de la métamorphose à venir. C'est comme partir en voyage à la recherche de l’étrange, d’un futur étranger. La rencontre projetée n’en sera que plus fructueuse quand elle se réalisera.
L’évaluation des risques globaux dans le questionnement et l’évolution de la fidélité à soi peut prendre en compte les différents registres d’un amour profond. L’amour profond constitue un système vivant toujours en déséquilibre (ou équilibre dynamique) dans une évolution permanente et contextuelle qui s’inscrit dans la durée. Quatre grands pôles interagissent dans ce système : celui de l'attirance charnelle (sexuelle, sensuelle et esthétique), celui de la confiance réciproque (confiance, lucidité, complicité, responsabilité partagée) celui de l'appétit de vie (les projets partagés) et enfin celui du don de soi à l’autre (souci de soi et souci de l’autre en miroir). Cela n’efface pas la nécessité de garder en chacun un jardin secret qui permet d’accepter les différences et les dissonances qui se manifestent et enrichissent le quotidien. Ces dissonances, la part d’étranger en soi comme en l’autre, sont le ferment d’une rencontre joyeuse et toujours vivante.