De l'imaginaire de la rencontre - V
Publié par Jean Claude Serres, le 5 mars 2024 1.2k
Suivant Spinoza, il est des rencontres positives qui grandissent la personne et d’autres au contraire qui ont un effet négatif, qui réduisent ou amoindrissent la vie. Cependant la rencontre initiale ne permet pas de détecter cela. La rencontre peut être réfléchie comme une rencontre ponctuelle unique ou au contraire comme. Les deux peuvent être transformatrices. Une rencontre peut concerner multiples domaines, je vais me focaliser sur la rencontre amoureuse dans le projet de “faire couple”
On peut mettre toute une vie à rencontrer une personne que l'on aime ou que l'on apprécie . La rencontre initiale que l'on désigne souvent par la rencontre amoureuse se réalise à travers des modalités bien différentes suivant les motivations de chacun, la classe sociale, la tranche d'âge et bien d'autres paramètres encore.
Le partenaire, une personne à part entière, ne se laisse pas découvrir du premier coup. La rencontre devient un processus continu. Vivre en couple de façon harmonieuse et stimulante nécessite une présence attentive pour découvrir l'autre sur ses multiples facettes. La rencontre initiale devient ainsi le point de départ d’une rencontre continue à deux, à partager, qui enrichit notre quotidien.
La relation d’'amour dans ses multiples polarités cesse quand on pense avoir fait le tour de l'autre : les mots clé révélateurs de la situation de fragilisation de la relation sont : habitude, lassitude ou encore indifférence.
Dans son livre ou une excellente vidéo sur Youtube, le philosophe Charles Pépin décrypte le processus de rencontre et identifie des critères d’évaluation de la rencontre.
Critères d’une rencontre positive et épanouissante à partir des propos de Charles Pépin :
- préparation à une rencontre initiale : se rendre disponible en sortant du cadre des attentes initiales tout en établissant les attentes initiales qui seront moteur à l'énergie nécessaire à la rencontre. L’autre ne correspondra pas ou peu à ces attentes.
Il est nécessaire de savoir se laisser surprendre par le réel. Pour cela un travail sur soi de réflexion et d'introspection (cf. vivre avec son passé de Charles Pépin) permet
d’analyser ses freins ou échecs passés indispensable pour apprendre à devenir disponible à l’imprévu.. - identifier la profondeur d’une rencontre initiale (positive ou nocive) :
- Ressentir le trouble dû à l'écart entre les attentes et le réel
- Sentir l’évidence du rapprochement
- Désir de cheminer ensemble
- Accepter la fissure identitaire : cela va me changer
Ces critères sont ambivalents. Ils peuvent autant caractériser une rencontre positive que nocive. Cependant ils indiquent qu’une rencontre s’est effectivement produite. Son prolongement en processus de rencontre continu deviendra probablement transformateur. - Quand la relation s’est établie, la rencontre initiale devint un processus de rencontre continu car la part de l’étranger de l’autre est sans cesse à découvrir (d’autant plus vrai en étant âgé, en ayant des parcours de vie différents et longs). Les critères d’évaluation de la pertinence de la rencontre peuvent se ressentir en quelques mois :
- expérience de l'altérité : je vois aujourd’hui le monde autrement, vivre en couple m’ a fait grandir
-devenir deux entités différentes garantissant une altérité symétrique dans la rencontre (voire trois : l’autre, moi, le couple)
- je suis changé
- de l’autre je me sens devenir responsable (l’amour “agapè” comme posture de don, d'acceptation de la différence et soucis de l’autre )
Quelle est la part du hasard dans une rencontre amoureuse ?
Par hasard on entend la survenue d’un évènement imprévisible mais déterminé par une multitude de causalité directes ou indirectes. C Pepin distingue les rencontres initiales soudaines et les transformations silencieuses ( processus d'initialisation lente). En fait, toute rencontre véritable tient à une part de hasard seulement. L’un ou les deux protagonistes ont élaboré une intentionnalité flottante non fixée sur une personne en particulier.
Le cerveau conscient ou inconscient est en attente d’une rencontre potentielle, d’une préparation par anticipation. On pourrait même penser qu’il n’existe pas vraiment de rencontres initiales mais que dans le cerveau de chaque personne il existe depuis la petite enfance une transformation silencieuse à la rencontre amoureuse en parallèle de multiples rencontres “initiales” soudaines qui vont conjointement à un moment donné générer un désir partagé (la rencontre initiale) qui pourra se transformer en rencontre continué, désir continué de relation.
La reconstruction des puzzles de domaines d’activité
Rencontrer une personne pour vivre en couple pleinement implique de s’y préparer mentalement : caractériser ses attentes et se rendre disponible, pouvoir faire un deuil de la vie d’avant : il s’agit de reconstruire à deux un autre puzzle de sa vie et non de trouver la pièce manquante du puzzle actuel. Se rendre disponible, lors de la recherche, à prendre des risques importants dont celui de l’échec.
Quand on prend conscience de la multipolarité de sa vie passée, des multiples domaines visités, explorés, exploités, on peut par métaphore en imaginer une carte, les positionnant entre eux avec des limites, des formes, les pièces du puzzle passé. Chaque pièce est un domaine d’activité, de pensée imposé ou choisi. Il existe des pièces sans enjeux, mais d’autres sont importantes, voire essentielles au chemin de vie. “Prendre sa vie en main” consiste à repérer les domaines de ces pièces essentielles qui par leur interactions, leurs formes donnent le sens de cette mélodie qui caractérise ce chemin. Cette mélodie est un invariant constitutif à la fois de mon chemin de vie et de ma posture actuelle.
Le processus de rencontre va permettre de modifier de transformer cette mélodie.
Dans la figure suivante (Fig 1) les puzzles jaune et bleus des deux partenaires laisse une grande place au puzzle reconstuit en vert du couple. Quatre grands domaines (essentiels ) sont partagés. des domaines nouveaux sont explorés. Chacun garde cependant des domaines essentiels ou importants et peuvent cultiver leur jardin secret.
Dans la seconde figure (Fig 2)la configuration est bien différente. Le puzzle en vert est bien plus petit et ne révèle qu’un seul domaine important ou essentiel. Il n’y a pas de pièce ou domaine nouveau exploré. Le puzzle de chacun reste dominant.
Ces deux couples ne fonctionnent pas de la même façon. Le second paraît plus fragile à tenir dans la durée et beaucoup moins inventif et exploratoire. Le puzzle commun, au centre du schéma, n'est pas forcément vécu avec la même intensité par les deux partenaires. Il n'y a pas exigence de mêmeté mais droit à la différence, à la singularité.
La figure 2 représente plus souvent des relations d’amitiés ou alors des relations amoureuses sans véritable rencontres transformatrices.
figure 1
figure 2
La rencontre : une prise de risque à assumer
La prise de risque résulte de la modification de chaque puzzles et de l'expérimentations de domaines nouveaux.
Le risque est la probabilité que des opportunités se révèlent ou soient perdues et que de même des menaces se fassent jour ou se réduisent par la vie en couple. Ce qui est une quasi certitude est que la vie en couple induit la confrontation à des conflits de besoins, d'intérêts ou de valeurs. La première difficulté rencontrée à chaque conflit est de communiquer et d’arriver à dominer les émotions pour se faire entendre et comprendre.
La prise de risque comme la confrontation à des conflits ouverts, discutés, prouvent dans la durée, que le processus de rencontre est profond, riche d'expériences. Chaque partenaire comme le couple se trouvent grandis et bien vivants.
référence de la vidéo de Charles Pepin https://www.youtube.com/watch?v=91wu1qSamBc