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Mémoires du Futur

De l'emprise et autres formes de harcèlement

Publié par Jean Claude Serres, le 29 octobre 2022   3.4k

Au même titre que le stress, l’emprise est une relation de domination d’une personne, le dominant sur une autre personne, le dominé. Les bénéfices pour le dominant ne sont pas toujours explicités. Dans la plupart des cas d’emprise négative, les bénéfices se réalisent au détriment de la personne dominée, la transformant en personne-objet, l'empêchant de s’épanouir, d’exister par elle-même et de se développer. Le dominé, sous emprise, le reste par peur, par admiration, et parfois pour des bénéfices secondaires (les amours béquilles). Suivant l’intensité de la peur, celle-ci peut générer des phénomènes de sidération, d'humiliation, de culpabilisation et d’impuissance à réagir. Cela ne touche pas que le domaine de l’amour, de la vie conjugale mais aussi du monde du travail, de la politique , du sport et bien d’autres.

 La relation d’emprise s'installe progressivement dans le temps, parfois indolore et surtout indécelable au tout  début. Dans le phénomène d’attirance amoureuse des neurotransmetteurs effacent de la conscience les signaux négatifs provenant du partenaire parfois pendant 3 à 4 ans. Des signaux faibles existent chez la victime, mais elle ne peut les prendre en compte, au nom du doute, des possibles et du mythe ancien caractérisant la relation entre femmes et hommes. La relation d'emprise peut évoluer au fil du temps d'une caractéristique positive acceptable pour les deux partenaires à différentes formes négatives plus ou moins conjoncturelles ou continues. Dans le cas d’un couple, l’emprise peut s’étendre à différents membres de la famille et en particulier sur les enfants.

Les situations d'emprise peuvent conduire à des actes de violences physiques, psychiques et sociales. Le harcèlement et la manipulation en sont des formes graves (cf. du conflit conjugal à la violence ordinaire). Mais nous ne devons pas confondre l’emprise et la violence. L’emprise peut avoir des effets dévastateurs  sans exercer aucune violence directe. C’est souvent au moment de la lucidité, quand la victime demande la séparation, que la violence explose. Quand des enfants sont en jeu, suite à la séparation, la vie peut devenir un véritable chemin de croix.

Des personnes dominantes dans d’autres contextes peuvent se retrouver dominées dans le contexte d’emprise. Prenons comme définition qu'une personne “dominante” est une personne capable de se manager, de s'autodiscipliner  et de manager ses relations aux autres de façon humaine et respectueuse. Face à une situation d’emprise, elle se retrouve impuissante à exercer cela.

  

Sur l’autre versant celui qui exerce l’emprise est un “dominant”  qui exerce une relation de domination sur l’autre sans contrepartie. Il possède très souvent, des failles psychiques qui en font un “dominant dominé” ou petit chef, c’est fréquent, sur le plan des relations sociales, professionnelles et associatives. Dans les cas les plus problématiques, celui qui exerce l’emprise est un dominé, un faible sur le plan psychique. Il cherche à compenser cette fragilité par l’usage de la manipulation mentale puis par la violence. Bien souvent, il ne conscientise pas cette incapacité de maîtrise de soi, d’autodiscipline et de relation respectueuse de l’autre.

L’une des stratégies pour lutter contre, pour sortir d’une relation d’emprise est d’identifier cette faille, cette fragilité, d’en prendre conscience. Cela peut permettre de rétablir un rapport de force plus équilibré quand la violence reste sur un plan psychique. Le mérite de cette prise de conscience est principalement de pouvoir sortir du rôle de victime, de supprimer les effets néfastes de culpabilisation ou de sidération et de consacrer son énergie à mettre en œuvre des stratégies plus pertinentes et surtout à se faire aider. Sortir de la peur permet de devenir plus résilient et plus lucide.

Dans le tracts N°25, “Ce que nous cherchons” excellent des éditions Gallimard, Alessendro Baricco s'éloigne de sa posture de romancier chevronné pour nous faire réfléchir aux “créatures mythiques” du monde actuel. Si un virus est un virus, une pandémie est une pandémie dans le monde médical, il faudrait envisager aussi la pandémie en tant que créature mythique. Les créatures mythiques seraient des productions humaines organisant de manière chaotique peurs, rêves, convictions. Le mythe est ce qui organise le réel qui se diffuse de façon virale. Le mythe dynamise la vie. Son élaboration reste un grand mystère. Plusieurs mythes organisent la société : le mythe de l’inconscient, le mythe de l’amour et particulièrement inquiétant celui du refus de la modernité, de la virilité, de la xénophobie et du repli identitaire. Le mythe de la pandémie a produit l’impensable : l'arrêt de la mondialisation économique. Elle a permis de produire le cri de l’absurdité, de l'aliénation au travail, de la nécessité de détruire et de reconstruire un monde autre.

Dans le propos de cet article, le mythe à l'œuvre est celui de la domination masculine, de la toute puissance de la virilité et machisme et du patriarcat. Comment détruire cette hydre à multiples têtes ?

Les multiples mouvements féministes, MeToo, sont des moyens indispensables pour libérer la parole des femmes pour rendre visible et problématiser. Il n'y a pas d'omelette sans casser des œufs. Des erreurs, des excès sont commis. Le tribunal populaire n’est pas loin. Cependant ce chemin reste indispensable.

Par contre, détruire cette hydre impose d’autres chemins qui concernent directement les hommes et aussi les femmes qui souscrivent à ce mythe. C’est au cœur des rencontres masculines, dans cet entre soi anodin que doit s’exercer la ringardisation des adeptes du machisme. les regards, les petites paroles blessantes, les jeux de séduction pour compléter les tableaux de chasse. Tout cela  doit sortir de l’univers masculin. Le chemin sera très long.

Il est nécessaire que la langue évolue aussi. Elle porte en elle un ADN machiste. Il nous manque des mots, beaucoup de mots. De même que MeToo, l’écriture inclusive est un moyen fort de rendre visible le problème sans pour autant être une solution d’avenir.  Prenons des exemples concrets à propos du terme virilité. que j’ai utilisé en fin d’article “Le Changement Permanent”. Suivant le Larousse virilité signifie :

1 - Ensemble des caractères physiques de l'homme adulte ; ce qui constitue le sexe masculin : Les attributs de la virilité.

2 - Capacité d'engendrer ; vigueur sexuelle.

3 -  Mâle, énergie, courage

Le mythe de la virilité s’appuie sur les images de la force, de la vigueur, de la combativité, du courage et de la maîtrise. La virilité serait la panacée des hommes, en pratique des dominants, des mâles alpha.

Quand je pense aux grandes alpinistes comme Chantal Mauduit, Christine Janin et dernièrement Elisabeth Revol qui  a survécu au Nanga Parbat, en plein hiver avec des températures entre - 50 et - 60 degrés. Le seul terme qui convient d'utiliser est celui de virilité exceptionnelle.

En fait, il nous suffit de supprimer la relation au “mâle” pour donner une acception non sexuée à ce terme. 

1 - Ensemble des caractères physiques et psychologiques de la personne humaine. Les attributs de la virilité : la force, de la vigueur, de la combativité, du courage et de la maîtrise"
Cela concerne toute personne en autonomie de décision

2 - Capacité d'engendrer : vigueur sexuelle des mâles et femelles. La question est d’importance. Bien des hommes et des femmes en âge de procréer ont perdu de la fertilité. Cela n’engage en rien leur capacité de virilité  et de libido pour autant.

3 -  Posture : énergie, courage, détermination, sens de l’engagement et des responsabilités, être conséquent par rapport aux décisions prises : en assumer les conséquences. Une des facettes du faible engagement à la vie en couple et à la procréation est le retard de l'arrivée du premier enfant et de l'âge de mise en couple ou de mariage. On peut ainsi identifier une perte de virilité particulièrement forte chez les hommes.

Par ce changement, virilité et féminité ne s’opposent plus mais caractérisent deux dimensions de la nature humaine qui peuvent cohabiter au sein d’une même personne. Sexualité, genre, virilité, féminité peuvent ainsi apparaître comme des spécificités secondes  de toute personne humaine. Le mythe amoureux s’en trouvera transformé. Celui du mâle conquérant une femme protégée dans une citadelle qui sera ou non consentante, sera peu à peu ringardisé ainsi que celui du séducteur ou de la séductruice. Combien notre société est encore prisonnière du mythe ancien machiste ! Pourquoi parler de “consentement” dans un texte législatif en place d’exprimer clairement  un besoin ou un désir partagé plaçant les deux protagonistes sur le même plan.