De Freud à Benasayag Partie IV
Publié par Jean Claude Serres, le 25 avril 2022 2.2k
Je poursuis ici mon cheminement à propos de la triple évolution des pratiques psychothérapiques, de la nature des troubles mentaux et de l’environnement techno-culturel. Michael Benasayag Philosophe et Psychanalyste né en Argentine était l’invité de Jean-Michel Besnier et de Anne Dutourmantelle, en 2015, pour la présentation de son livre « Clinique du mal-être ». Il y décrit cette nouvelle cartographie du début du XXI siècle.
Avant de décrire les grandes lignes de cette cartographie, deux pas de coté sont très utiles pour une meilleure compréhension. L’article « Pensées, langues et langages » caractérise l’évolution de notre compréhension du pouvoir des mots grâce aux apports des neurosciences suivant Stanislas Dehaene. Dans un autre article j’ai restitué les apports du Psychiatre Raphaël Gaillard dans son livre « Une hache dans la tête » ( cf. Quels liens entre créativité et troubles mentaux ), à nouveau les apports des neurosciences apportent une nouvelle vision plus objective et scientifique. Enfin un troisième article « les pouvoirs du cerveau » relate une nouvelle façon de penser les modes d’élaboration de nos représentations mentales (en particulier « le cinéma intérieur » de L Naccache).
Reprenons les éléments caractéristiques de la cartographie des troubles mentaux, de leur évolution dans le temps long, et de l’évolution parallèle des ressources de traitements thérapeutiques.
M. Benasayag constate que les psychanalystes freudiens ont manqué trois grands rendez-vous avec l’histoire :
a) celui des contributions issues des neurosciences et des sciences cognitives
b) celui de l’expansion de la mesure et de la modélisation modulaire des fonctions cérébrales
c) celui du changement des comportements humains et de leurs rapports aux machines intelligentes et aux réalités virtuelles.
Les psychanalystes freudiens sont restés fidèles à leur dogme de causalité racine de la petite enfance (l’entonnoir réductionniste) et du refoulé dans les problématiques névrotiques, maintenant le dualisme laïque [esprit- corps] . Aujourd’hui la névrose n’est plus reconnue comme une maladie dans le DSN-V. Les maladies qui ont le vent en poupe sont plutôt d’ordre psychotique, autisme, schizophrénie et dépression, bipolarité. Ces maladies ont des causalités multiples autant génétique que biologique et mentale . Le corps fait un tout dans une modélisation modulaire de fonctionnalités interactives.
La logique dominante de la mesure ( statistiques, imagerie cérébrale, corrélations) fait de l’ombre à tout ce qui n’est pas mesurable (dont la névrose) et aux approches cliniques ( écoute de l’intériorité des patients). Il faut remarquer que le patient du XXI siècle possède un cerveau fonctionnant différemment de celui du XIX. La relation symbiotique de la personne à ses multiples écrans, au numérique, à la réalité virtuelle et aux avatars en tout genre, augmente les compétences délocalisables dans les machines intelligentes (l’homme augmenté) et en perd dans le relationnel et dans son intériorité (l’homme diminué). Le cerveau de l ‘être humain du XXI siècle a évolué, les troubles mentaux qu’il rencontre sont différents.
Les pratiques en psychothérapie ont du évoluer à leur tour pour faire face à ces changements sociaux. Aux approches Freudienne et Lacanienne puis Jungienne se sont substituées les psychothérapies cognitives s’appuyant sur les théories de l’information. M Benasayag propose un pas supplémentaire : la psychothérapie situationniste ( ou contextuelle). La multi-polarité des facteurs à prendre en compte comme des méthodes à mettre en œuvre ont définitivement supprimer la frontière entre corps et esprit des représentations mentales usuelles. Le cerveau, organe en fonctionnement systémique, s’observe suivant plusieurs couches méthodologiques :
a) le biologique à différentes échelles constitue le support matériel de l’information qui circule ou se mémorise ( comme un livre est la représentation matérielle des mots qui le constitue)
b) le traitement informationnel permet le décodage et donne une vie informationnelle à ce support matériel (analogie aux application informatiques qui ne se réduisent pas à la matérialité de la machine).
c) Le niveau symbolique de construction du sens, de la prise de décisions et de l’apprentissage, intègre la dimension externe de la circulation des idées comme des affects avec les autres êtres humains, les groupes sociaux, leur culture et aussi l’environnement.
Ces trois niveaux de représentation du fonctionnement cérébral intègre la totale interactivité entre ces différents étages de modélisation systémique. L’adaptation immédiate comme les apprentissages longs sont produits et se produisent en interaction dans les trois niveaux de modélisation.
La cartographie fonctionnelle du cerveau humain intègre :
- les dimensions temporelles du passé : relations, influences, héritages, traumatismes négatifs (chocs, peurs, violences, pertes, échecs, etc.) et positifs (remise en route, livre d’or des réussites),
- toutes les dimensions géographiques externes et internes du présent ( cognition, émotions, affects, relations)
- les incertitudes de l’avenir (peur de l’inconnu, répulsions du prévisible, ou attractivité, fascination de tous ces possibles qui s’ouvrent aux population WEIRD)
- et enfin les engagements personnels dans un futur à construire, dans sa relation à soi et aux autres, en terme de développement des compétences et des aptitudes (mémoire du futur, apprentissages longs, production de l’imaginaire, « faire œuvre », etc.).
Les pratiques psychothérapeutiques peuvent maintenant s’appuyer sur les apports scientifiques des neurosciences et sciences cognitives pour fiabiliser leurs procédures. La prise en compte de la symbiose « homme-machines intelligentes » paraît essentiel à la compréhension des nombreux troubles mentaux émergeant. Les techniques d’accompagnement des personnes pourront aussi bénéficier des contributions de ces mêmes machines intelligentes. Les domaines à prendre en compte concerne l’ensemble de la cartographie du fonctionnement cérébral tant dans ses dimensions géographiques que temporelles.
L’être humain dans son développement individuel comme dans son évolution générationnelle devra compenser les transformations symbiotiques et mimétiques de « l’homme augmenté – diminué » dans l’usage des machines intelligentes, par une attention aux autres domaines strictement humains : travail sur le corps et sa relation à la nature, approfondissement des moyens de rencontre entre personnes et de façon plus globale dans une pratique « spirituelle » de relation à son intériorité comme à celle des autres personnes. Le processus évolutionniste d’individuation pourra ainsi s’inscrire dans un cadre de valeurs plus humanistes.
Sources :
Frédéric Lenoir : Un voyage vers soi avec Jung
Raphaël Gaillard Psychiatre hôpital St Anne Paris - Un coups de hache dans la tête troubles mentaux et créativité
Michael Benasayag https://www.youtube.com/watch?v=muFSLzWIxDU Michael Benasayag (philosophe psychnalyste) livre « Clinique du mal-être » Avec Jean-Michel BESNIER (philosophe – Neurosciences transhumanisme) et et Anne Dufourmantelle (Philosophe psychanalyste) en 2015