Communautés de territoires - Communautés de destins
Publié par Jean Claude Serres, le 26 février 2016 2.9k
La préparation du prochain Forum de la luciole est entrée en résonance avec le dernier article de GEM sur la géopolitique de l’imaginaire
Commentaires à propos de l’article publié par GEM, interview de Michel Maffesoli (CLE HS52 de février 2016)
Quelques points essentiels relevés :
- L’imaginaire s’opposerait au rationalisme, une spécificité française
- Le propre de ’imaginaire serait d’être lié à un territoire
- L’un des passages de la modernité du XX siècle à la postmodernité du XXI serait de remettre en question les trois dimensions de la rationalisation, de l’individualisme et du progrès continu par les jeunes : besoin d’être dans l’instant, de faire la fête, de vivre en commun de tribus et de communautarismes.
- A contrario l’alliance de ces nouveaux besoins et de la technologie numérique, de la toile, développerait de nouvelles possibilités relationnelles déconnectées des territoires géographiques.
L’être-ensemble-rationnel encore porté par les élites de droites comme de gauche ne sait plus comment faire face à la monté rapide de l’irrationnel dans tous les horizons, fait regrettable peut être, mais incontestable.
Cet article qui pose un regard surplombant caractérisé par le terme de « géopolitique » pourrait très bien lui aussi porter une clôture culturelle : celle de la bi polarité, celle la même qui est à l’œuvre dans les remises en questions évoquées ci-dessus et qu’il dénonce.
La richesse de cet article est d’ouvrir la discussion sur le champ essentiel du « vivre ensemble aujourd’hui. »
Comment aborder cette problématique posée :
Pour cela il nous faut revoir le champ lexical dans un premier temps et le préciser. La « géopolitique » caractérise l’interdépendance des stratégies ou « politiques » mises en œuvre dans les différentes strates territoriales de la mondialisation, stratégies majoritairement portées par les développements économiques des nations, des multinationales et des systèmes mafieux.
Nous sommes confronté, dans une prise en compte globale (celle du penser agir en complexité) à quatre dimensions : celle des espaces, celle des temporalités, celle des mouvements et celle des identifications. Ces 4 dimensions indépendantes permettent de mieux saisir les dynamiques communautaires actuelles.
Les communautés de destin caractérisent des familles de groupes sociaux partageant une même idéologie intégrant de façon spécifique : rationalités, progrès, croyances, dogmes et clôtures militantes. Ces communautés de destins peuvent être closes ou ouvertes à des volontés de domination ou d’universalisme. La gauche, la droite libérale, les extrêmes, les chrétiens, les catholiques, les musulmans peuvent illustrer ce que j’entends par communautés de destins.
Les communautés de territoires (géographie des espaces) caractérisent le vivre ensemble et les frictions générées par les communautés de destin partageant un même territoire. Les luttes de pouvoirs dans le cadre démocratique actuel s’inscrivent dans une dynamique majoritaire voulant imposer sa culture aux communautés de destin minoritaires. Par exemple la communauté catholique désire faire respecter son refus de « l’avortement », du « mariage pour tous » ou de la « GPA » à l’ensemble des communautés de destin par l’intermédiaire de la loi dans le cadre d’une nation. Mais ces luttes de pouvoirs dépendent des mouvements démographiques des communautés de destin (taux de natalité, migrations, conversions etc.) dans le cadre de la démocratie comme des pressions fondamentalistes ou intégristes rejetant l’idéal démocratique.
La temporalité est une autre dimension à prendre en compte, beaucoup plus délicate à cerner. Dans le cadre d’un petit territoire donné : la cité, le travail ou la famille, chaque personne vit dans un imaginaire temporel singulier, souvent caractérisé par l’usage de ses prothèses technologiques et de ses pratiques culturelles. Aujourd’hui, 20 ou 30 années peuvent séparer les imaginaires respectifs de chacune des personnes qui se côtoient au quotidien.
Chaque personne s’identifie plus ou moins fortement à des communautés de destins, de territoires et de temporalités technologiques, de façon fortement singulière. Par exemple j’utilise les ressources et outils numériques disponibles sur la toile mais je refuse l’utilisation du mobile en interconnexion permanente, ce qui me parait indispensable pour maîtriser mon temps, c’est à dire mon projet de vie et ne pas être continuellement sollicité par mon entourage.
Comment faire communauté de territoires pour améliore le vivre ensemble (dynamique de progrès) !
Le chemin n’est pas facile, il est semé d’embûches et s’inscrit dans le temps long, celui des processus éducatifs, au sens large, celui aussi de plusieurs générations. Dans le court terme, il parait nécessaire de sortir du cadre des institutions de toutes sortes : publiques, privés, confessionnelles, militante, associatives, pour pouvoir rencontrer l’autre en tant qu’être singulier doué de raison, de logique, de croyances et d’un imaginaire spécifique. Cela ne peut se réaliser que dans des espaces-temps informels et inscrits dans un temps long, celui du cheminement, de la discussion profonde. Et par ce cheminement chacun pourra envisager de sortir de la logique d’opposition, puis de la logique d’acceptation et d’association pour investir dans le champ de la logique de transformation mutuelle de l’un par l’autre. La plateforme Echoscience peut abriter une sorte d’espace temps informel numérique. Le projet de la « Chimère citoyenne » en est un autre, en présentiel, cette fois.
Pour aller plus loin :
Article racine : pour de nouvelles formes d'actions collectives