Anne-Marie Lagrange et Cecilia Ceccarelli : femmes et astrophysiciennes

Publié par Marion Sabourdy, le 22 juillet 2013   7.4k

Rencontre avec deux astrophysiciennes qui allient carrière scientifique brillante et vie de famille épanouie.

On peut réussir à la fois sa vie de femme, de chercheuse et de mère. Les astrophysiciennes Cecilia Ceccarelli et Anne-Marie Lagrange, toutes deux membres de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG - CNRS / UJF), en sont un bel exemple. Elles ont reçu le Prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie « Femme scientifique de l’année », respectivement en 2006 et 2011.

Quand avez-vous décidé de devenir chercheuses ?

A.-M.L. : J’aime les sciences depuis mes plus jeunes années. Au lycée, j’hésitais entre les maths, la physique et la médecine. En fait, je voulais faire médecine, pensant que j'y ferais beaucoup de maths et de physique. Lors de mes études à l’école Polytechnique, j’ai découvert l’astronomie. J’ai tout de suite aimé ces cours qui mélangeaient de nombreux thèmes et laissaient place à l’intuition et la découverte. A vrai dire, l’astronomie est un des derniers domaines de la science où on a encore la possibilité d’observer des lieux totalement inconnus.

C.C. : De mon côté, je souhaitais être astronome depuis toute petite. Au lycée, j’ai pourtant fait des études littéraires puis je me suis orientée vers la physique. J’ai eu ensuite une carrière en zigzag, avec une thèse sur la cosmologie, un premier travail dans l’industrie aéronautique en Italie puis la recherche.

Sur quels sujets travaillez-vous actuellement ?

C.C. : Je travaille sur la formation stellaire et l’astrochimie, c’est-à-dire les premières phases de la création des étoiles et de leurs planètes. Mon travail est focalisé sur Hershel, le grand télescope de l’ESA qui fonctionne dans l’infrarouge lointain [ndlr : Hershel a fait l’objet d’une récente conférence à l’office du tourisme de Grenoble].

A.-M.L. : Je m’intéresse à la formation des planètes à partir de disques de poussière et de gaz. Je recherche aussi des exoplanètes et des systèmes planétaires proches du nôtre [ndlr : Anne-Marie est notamment à l’origine de la première image directe d'une planète dans le disque de l'étoile Beta Pictoris]. Je participe actuellement du projet instrumental SPHERE. Il est dédié à la recherche en imagerie des exoplanètes et leur caractérisation et implique une dizaine de laboratoires européens. Nous l’installerons, si tout se passe bien, à la fin de l’année dans le désert de l’Atacama, au Chili, sur le Very Large Telescope de l’ESO.

Observatoire des sciences de l'univers de Grenoble (OSUG)

Les femmes souffrent-elles d’une forme de discrimination dans le monde de la recherche ?

C.C. : La discrimination n’est pas vraiment présente à l’embauche, mais plutôt à la promotion. C’est ce qu’on appelle le « plafond de verre ».

A.-M.L. : Il y a sans doute également une forme d’autocensure car les femmes ne représentent qu'une petite part des chercheurs dans les domaines de la physique dure ou de l’ingénierie. En astrophysique, c’est plutôt de l’ordre de 30%.

Comment avez-vous réussi à allier vie de chercheuse et vie de mère ?

A.-M.L. : J’ai eu ma fille pendant mes études à Polytechnique et mon fils pendant le DEA. J’ai donc fait ma thèse et mon post-doctorat avec des enfants. Cette situation est différente de la moyenne des chercheuses mais même avec du recul, je trouve que c'était bien.

C.C. : Plutôt courageux ! Pour ma part, j’ai eu mes enfants plus tard, mais j’ai démissionné de mon poste en Italie pour suivre mon ex-mari. Pendant deux ans, j'ai travaillé à Bordeaux deux jours par semaine tandis que mon ex-mari et mes enfants étaient à Grenoble. A 7 ans, ma fille m'a demandé pourquoi je devais m'absenter toutes les semaines, à la différence de toutes les autres mères... J'ai finalement obtenu ma mutation pour Grenoble.

A.-M.L. : C’est vrai que les femmes qui travaillent se sentent souvent coupables. Ce n’est pas facile par exemple de quitter ses enfants un mois pour le travail, et la société vous le fait sentir. Mais la relation avec eux n’en est que plus forte.

Voir le portrait de Cecilia Ceccarelli à partir de la 3ème minute de la vidéo

Que vous a apporté le prix de « Femme scientifique de l’année » ?

A.-M.L. : C’est gratifiant à titre individuel, d’autant plus qu’il est interdisciplinaire. Pour les femmes, il y a encore des moments difficiles dans une carrière scientifique, et ce prix porte un message.

C.C. : Lors d’une table ronde, j’ai discuté avec des filles convaincues qu’il était impossible de faire de la recherche et d’avoir une famille. C’est faux ! En fait, enfant ou pas, recherche scientifique ou non, l’important est de faire ce que l’ont souhaite et de ne pas se mettre de barrière.

>> Illustrations : montage de une par F. Esposito avec photos CNRS - P.Natalini et C. Ceccarelli, photo de l'OSUG par M. Sabourdy pour Echosciences Grenoble