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Le Master CCST

Le loup, la peur et la peur du loup

Publié par Malithévy Chung, le 15 novembre 2019   4.7k

La saison des pâturages s’est terminée plus tôt que prévu dans certains alpages en Belledonne. Le loup n’a cessé de faire parler de lui, en bien ou en mal, mais un sentiment subsiste, du côté pro ou anti. La peur.

Depuis quand avons-nous peur du loup ? Depuis les contes que nous racontaient nos parents avant de nous coucher ? Depuis les histoires qu’on se racontait au coin du feu ? En réalité, bien avant cela. C’est quand l’homme a arrêté de chasser et a transformé ses proies en bétail. C’est quand le loup s’est vu offrir un garde-manger sur un plateau. C’est quand l’homme s’est rendu compte que le loup lui échappait. C’est quand l’homme a pris peur pour lui, mais aussi pour ses bêtes.

On peut expliquer la peur du loup de deux façons. Une peur irrationnelle, inspirée des contes pour enfants ou d’anecdotes, parfois ressentie par les gens qui ne vivent pas à leur contact. Que « le grand méchant loup » va venir nous croquer dans la nuit, qu’il prend l’apparence d’une grand-mère ou encore qu’il puisse souffler d’un coup d’un seul notre maison de brique. Et une peur rationnelle, car le loup est un prédateur, un vrai. Des grandes dents, une discrétion à toute épreuve, un flair exceptionnel et une stratégie de meute. Un prédateur presque l’égal de l’homme. Insaisissable, les louvetiers mettent des jours, parfois des semaines pour pister un loup avant de l’abattre.

Dans les pâturages, le loup instille la peur, et les éleveurs la ressentent au quotidien. Ils craignent pour la sécurité de leurs troupeaux à toute heure de la journée et de la nuit. D’où le fait que les périodes de pâturages se raccourcissent. Ils ont peur pour leurs troupeaux, certains seraient capables de mettre leur vie en jeu si cela pouvait protéger leurs troupeaux. C’est donc une peur viscérale non pas du loup, mais une peur qu’il arrive quelque chose aux bêtes.

Malheureusement, ce n’est pas la seule chose que craignent les éleveurs. Ils craignent et abhorrent l’inaction, ou la très lente prise de décisions dans les politiques générales. Il s’agit là d’un problème de référentiels. Les différentes institutions en prises avec le problème et la controverse du loup n’agissent pas à la même échelle. Prenons par exemple la Convention de Berne, qui a été mise en vigueur en 1982. Elle déclare que le loup est une espèce « strictement protégée » en Europe. Cette convention est issue d’une directive européenne qui ne prends donc pas en compte les difficultés locales. L’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage) donne des quotas de tirs de prélèvement, mais une fois atteints, les éleveurs doivent se débrouiller avec la présence du loup qui rôde, toujours invisible.

En revanche, comme on pourrait le penser d’un premier abord, les éleveurs ne sont pas pour l’éradication du loup. Ils reconnaissent que l’animal met en danger les troupeaux et de facto les mettent en danger. Cette controverse autour du loup ne peut pas se lire uniquement à travers le prisme « pro-loups VS anti-loups ».

Les « pro-loups » peuvent être des personnes aux profils divers : des amoureux de la nature, des chercheurs, des photographes, ou encore des fervents défenseurs de la biodiversité. Eux aussi ont des peurs en rapport avec le loup. Ils ont peur de voir l’espèce décroître, ou voir même disparaître sous les coups de feu des « anti ». Ils prendront l’exemple de la réintroduction du loup dans le parc naturel américain de Yellowstone. En effet, la réintroduction de cette espèce a permis de faire refleurir la biodiversité, réinvestir certains espaces, faire revenir et revenir d’autres espèces encore. Mais chaque espace et chaque espèce dépendent de la localisation, du contexte, des parties prenantes locales.

La peur du loup est donc une des composantes de cette controverse. Ressentie par tous ou presque, elle guide les actions (ou les inactions) de chacun. Faut-il avoir peur du loup ? Peut-on avoir une peur rationnelle du loup, ou bien est-elle forcément viscérale ? Cette controverse est complexe, et ne peut être lue uniquement par le prisme « pro-loups VS anti-loups ». On pourrait l’aborder par tant de différentes entrées : la détresse des éleveurs, les actions gouvernementales, la parole des « pro-loups », comment le sujet est abordé ailleurs, en Europe (toujours sous la convention de Berne), ou plus loin encore.

Toujours est-il que cette controverse est ravivée à chaque nouvel incident, à chaque nouvelle attaque. Pour le moment, les troupeaux sont rentrés, combien de temps le resteront-ils ?



Crédit photo : Malithévy Chung