La controverse du loup sous l’oeil d’une étudiante
Publié par Aymane Hedaraly, le 14 novembre 2019 4.9k
Comment mieux comprendre la controverse du loup que d’être au coeur des montagnes de Belledonne et partir à la rencontre des acteurs concernés ?
C’est ce que j’ai eu la chance de faire avec ma promo dans le cadre de ma deuxième année de master de Communication et Culture Scientifique et Technique à l’Université Grenoble Alpes.
Retour sur une semaine d’enquête, d’écoute, de réflexions et de discussions constantes sur la controverse du loup, parce que oui, c’était constant. Du fait que nous étions toujours ensemble coincés au milieu des montagnes, que ce soit pendant les pauses, au dîner ou le soir dans les chambres et mêmes plusieurs jours après, toutes nos conversations ou presque portaient sur la question du loup. Chaque jour, nous avons rencontré différents acteurs mis en jeu dans la controverse : des bergers, des scientifiques mais aussi des politiques et des membres de la MSA (Mutualité Sociale Agricole) afin d’alimenter nos connaissances sur le sujet et nos pistes de réflexions.
“Ah super, vous avez discuté avec des acteurs pro-loups et anti-loups” pourriez-vous vous réjouir. Oui mais non, c’est plus compliqué que ça !
Avant d’être sur place, je connaissais ce sujet de controverse mais sans m’être plus renseignée de ce que j’ai entendu parler rapidement aux infos. Difficile de vraiment s’intéresser à une question et de se positionner lorsqu’on ne se sent pas concerné. Mais au travers des témoignages, l'intérêt s’est accru et très vite, j’ai compris que le débat n’était pas si binaire qu’il y paraissait (ou plutôt que les médias classiques font paraître ?).
Plus que le loup en lui même, ce sont d’autres mots qui revenaient à chacune des rencontres : “Biodiversité”, “Territoires”, “Indemnités”, “Économie”. Ces quelques mots résument la multitude d’enjeux liés à cette controverse du loup. En effet, les attaques de prédation ne sont pas nouvelles. Tous les ans, pendant les alpages qui se déroulent de juin à octobre, plusieurs centaines d’animaux, notamment ovins sont tués, blessés ou égarés lors des attaques. Cependant, depuis une dizaine d’année, la pression monte de plus en plus face à l'inefficacité des solutions et aux moyens inadaptés mis en place par l’Etat pour pallier à la situation.
Selon Marie et Michel, un couple d’éleveurs que nous avons rencontré, leur profession est “sacrifiée”, “maltraitée”. Ils sont revenu plusieurs fois sur cette notion de solitude, de désarroi face aux systèmes d'indemnisation qui, en plus d’être particulièrement lents, ne prennent en compte que les animaux tués par le loup, pas ceux blessés ou disparu et ne se soucient pas des conséquences psychologique de cette prédation. Pourtant, “le stress en tout temps”, “les nuits blanches”, “la peur”, “la solitude”, “le traumatisme” de voir leurs bêtes mortes ou agonisantes sont une réalité et peuvent présenter un choc post traumatique.
Ce ressenti par les éleveurs et bergers, jamais je ne l’avais perçu dans les reportages que j’avais pu voir auparavant. Leurs témoignages a été l’un des plus touchant de cette semaine d’enquête. Les entendre de vive voix, voir les émotions pour ne pas dire la détresse qui se dégagent de leurs visages et pouvoir discuter avec eux ont été très instructifs sur cette face cachée de la controverse.
Au fil des discussions, j’ai réalisé que le problème des éleveurs n’est pas le loup qui mange les brebis en lui même mais, mais toutes les conséquences que cela amène, indirectement ou non et tous les acteurs qui y sont liés. La lenteur administrative qui précarise leurs situations en cas d’attaques, les touristes parfois agressifs qui se plaignent des patous imposés par l’Etat, la remise en question des alpages et du partage de territoires qui rend incertain le futur de la pratique du pastoralisme et bien d’autres choses encore, c’est tout cela que dénonce les bergers et éleveurs.
Le loup ne serait donc qu’une partie infime de la controverse du loup, que la partie émergée de l'iceberg...
Pendant notre enquête, s’était posée la question de la légitimité de notre présence, de ma présence. Qu’est ce qui est attendu de moi ? Quelle est ma place dans la controverse ? Quelle position adopter face aux personnes en face ?
Finalement, les réponses à ces questions se sont faites naturellement lors des différentes rencontres. J’étais là pour entendre, écouter et me poser des questions.
Après chaque exposé, les intervenants ont fait part de leurs appréciations de notre écoute et des échanges qui ont eu lieu. Peut-être que ce serait ça la solution à cette controverse, aux controverses : le respect, la communication et l’écoute.
photo : steffiheufelder de Pixabay