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Le Master CCST

Des fluides complexes dans nos assiettes

Publié par Jessica Scholle, le 18 mars 2013   4k

Le 12 octobre 2012, la Fête de la science de Grenoble m’a offert l’occasion de rencontrer Delphine Debarre, chargée de recherche pour le CNRS au Liphy (Laboratoire interdisciplinaire de physique) et spécialiste des fluides complexes.

Le stand que vous animez se nomme « Fluides complexes : liquides ou solides ? ». Qu’est-ce qu’un fluide complexe ?

Delphine Debarre : Pour faire simple, un fluide complexe est un liquide habituel dans lequel des objets ont été rajoutés. Ces corps sont généralement plus petits qu’à l’échelle humaine mais plus gros qu’à l’échelle de la molécule. Cela confère au fluide des propriétés spécifiques et modifie son comportement. Dans le cas du mélange eau-Maïzena, les objets rajoutés sont des grains d’amidon. Contrairement aux fluides classiques dont la résistance est proportionnelle à la contrainte appliquée, le mélange eau-Maïzena possède un comportement liquide lorsque la contrainte est faible, par exemple si on enfonce délicatement un objet à l’intérieur, mais se comporte comme un solide si l’on frappe dessus. La résistance du mélange augmente donc avec la force appliquée. A l’inverse, le Ketchup devient de plus en plus liquide à mesure que la contrainte augmente. Dans ce cas, les objets rajoutés sont des polymères, des grosses molécules qui créent une cohésion au sein du fluide.

Les deux exemples précédents sont d’ordre alimentaire. Trouvons-nous beaucoup de fluides complexes dans nos assiettes ?

On trouve des fluides complexes dans de nombreux domaines et à différentes échelles. Les fluides présentés sur le stand sont des exemples de la vie quotidienne et, effectivement, l’industrie alimentaire regorge de fluides complexes. Les produits gélifiés comme la confiture, les yaourts et les crèmes dessert en font partie. La confiture, par exemple, possède un comportement semblable au mélange eau-Maïzena. Elle est solide lorsqu’elle tient seule sur le couteau mais s’étale très facilement, comme un liquide, lorsqu’on l’applique sur une tartine. Les mousses alimentaires sont le mélange d’un liquide, d’un gaz et de corps gras. La chantilly, si elle est très bien montée, présente un comportement solide lorsqu’elle n’est pas sollicitée. En revanche, lorsqu’on lui applique une contrainte elle coule comme un liquide et peut prendre la forme du récipient qui la contient.

Vous êtes venue prêter main forte à vos collègues pour l’animation du stand mais le secteur alimentaire n’est pas votre spécialité de recherche. Sur quels sujets portent vos travaux ?

Mes recherches actuelles portent sur la biomécanique, un domaine interdisciplinaire à l’interface de la biologie et de la physique. J’étudie les propriétés mécaniques d’objets biologiques, comme par exemple les raisons pour lesquelles la peau peut être très élastique et extrêmement résistante à la fois. Le devenir des cellules souches dépend également de propriétés mécaniques. En effet, des cellules souches se développant sur un support mou se différencieront en cellules graisseuses tandis que les mêmes cellules souches en contact avec un support dur donneront naissance à des cellules d’os. Ces observations pourront être appliquées à l’étude des métastases et permettront de mieux comprendre les raisons pour lesquelles des cellules cancéreuses se déplacent. Mes travaux sont également tournés vers l’étude du sang, un fluide biologique composé de liquide et de globules rouges. Ce mélange de deux objets aux tailles et aux propriétés différentes fait du sang un liquide complexe.

>> Infos : cet article a été rédigé dans le cadre du cours de journalisme de Muriel Jakobiak aux premières années de Master en communication scientifique à l'Institut de la Communiction et des Médias de l'Université Stendhal. Retrouvez "Le goût des sciences", le journal conçu par Jessica en PDF en bas de l'article.

>> Illustrations : Ilan Ginzburg (Mur blanc), Jessica Scholle