Propranolol : vers un traitement des états de stress post traumatiques ?
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 13 octobre 2016 32k
Mars 2012, Janvier-Février 2015, 15 Novembre 2015, 22 Mars 2016 : ces dates vous signifient-elle quelque chose ? Ce sont les jours où des attentats plus sordides les uns que les autres ont été perpétrés en France et à l’étranger. Pour certains, ces dates sont de tristes rappels des faits, de tristes anniversaires.
Mais pour d’autres, leur simple énonciation donne lieu à des palpitations, une augmentation du rythme cardiaque, des bouffées de chaleur, une spirale de souvenirs infernale apparaît, empêchant de dormir la nuit, la scène se rejoue, les flashbacks se multiplient, l’angoisse monte, n’importe quel bruit devient annonciateur d’un potentiel danger, ce qui engendre une peur de sortir dans de grands espaces, de crainte de revivre le même événement.
Tous ces ressentis sont des symptômes de ce que l’on appelle l’état de stress post-traumatique ou PTSD en anglais. Ils caractérisent ce dont souffrent les personnes ayant vécu un événement traumatique dans leur vie. J’ai parlé des attentats, mais cela peut aussi s’appliquer à des cas d’agression ou encore d’accidents de la route ; c’est-à dire des événements particulièrement stressants.
Question (Q.) : Mais qu’est-ce qui fait qu’un souvenir va déclencher autant d’effets chez une personne ? Nous avons tous des souvenirs de moments peu agréables ; une rupture, un licenciement, une remise à l’ordre par son supérieur… mais en y repensant, nous n’allons pas être pris de panique ou sentir des suées sur notre front. Alors, comment est-ce que cela marche ?
Il faut tout d’abord revenir sur les souvenirs, ou plutôt leur formation lors d’un moment stressant. Imaginons une situation de stress « normal » : vous êtes en train de travailler au bureau et d’un seul coup, vous entendez un bruit assez fort, un gros BOUM. Sans que vous ne vous en rendiez compte, des structures de votre cerveau vont enregistrer et analyser ce qui est en train de se produire.
Ici en l’occurrence, le bruit est entendu, l’information passe par le conduit auditif, le nerf auditif et aboutit à la production d’une hormone que l’on nomme noradrénaline. Cette hormone va aller activer une structure cérébrale que l’on nomme l’amygdale, qui est le siège de la mémoire émotionnelle. L’amygdale va à son tour activer une autre structure cérébrale. Celle-ci est impliquée dans la mémoire contextuelle c’est-à-dire « dans quel contexte, quelle situation ai-je (eu) peur ? » : il s’agit de l’hippocampe.
Une autre structure, le cortex préfrontal (situé à l’avant du cerveau) est spécialisée dans l’analyse et la reconnaissance des faits, c’est-à dire qu’il va analyser la situation en cours, pour évaluer sa dangerosité.
Un autre élément est aussi activé par l’amygdale : « l’axe de la peur ». Composé de plusieurs acteurs, cet axe aboutit à la formation de cortisol, dont l’action sera de réguler l’activité de l’amygdale en agissant au niveau de l’hippocampe et du cortex pré-frontal. Ces deux structures vont « stabiliser», « calmer » l’activité de mémorisation de l’amygdale. Il s’agit d’un phénomène de rétrocontrôle : l’amygdale va activer la production d’une molécule (cortisol) qui pourra contrôler sa propre activité.
Si par exemple, le gros boum est dû à une étagère qui est tombée, le cortex pré-frontal va en déduire que la situation n’est pas dangereuse et ce signal d’absence de danger va aller calmer l’amygdale, afin de faire cesser le signal d’alerte. Mais le souvenir de ce bruit va tout de même être inscrit dans l’hippocampe et le cortex, afin d’en garder une trace. Cela nous permet ainsi de nous souvenir si un événement était ou non dangereux et donc, s’il y a besoin de se sauver ou de réagir dans cette situation si elle était amenée à se représenter. Généralement, un processus naturel d’effacement a lieu quelques semaines après et l’émotion liée au souvenir s’estompe ; c’est ce qu’on appelle la mémoire à court terme (l’information est stockée de façon temporaire).
Q : Et quelle est la différence avec par exemple, si le BOUM est une explosion ou quelque chose d’aussi violent ?
A ce moment-là, le cerveau va traiter l’information d’une toute autre façon ; ce stress violent va engendrer une hypersécrétion de noradrénaline, ce qui va hyper-activer l’amygdale, qui va envoyer encore plus de signaux à l’hippocampe et au cortex pré-frontal. Mais les signaux sont tellement nombreux et forts que ces deux structures ne peuvent plus en retour calmer l’activité de l’amygdale ; c’est la panique dans le cerveau.
L’amygdale, qui fonctionne alors à plein régime (et qui je rappelle est le siège de la mémoire émotionnelle) va enregistrer de manière excessive l’émotion associée au souvenir, tout comme l’hippocampe et le cortex préfrontal, qui vont enregistrer le contexte. Ce souvenir va alors s’inscrire dans la mémoire dite à long terme : l’information est stockée de façon durable. On dit que le souvenir est consolidé.
Ainsi, des semaines et des mois après l’événement, le souvenir sera toujours présent et la simple évocation d’une date, d’une image ou d’un son sera capable de réveiller la mémoire amygdalienne, à savoir la mémoire émotionnelle et faire revivre à la personne l’événement traumatique, accompagné des sentiments de terreur et d’angoisse. Ces personnes sont brisées et leur mode de vie est bouleversé à jamais.
Q : Donc il n’y a plus rien à faire, mis à part vivre avec ce souvenir traumatique ?
Ces personnes ne sont peut-être pas condamnées à vivre torturées toute leur vie. En effet, une molécule fait de plus en plus parler d’elle dans le cas d’un potentiel usage pour traiter les personnes atteintes de PTSD. Vous en avez peut-être déjà entendu parler ou même déjà pris dans le cas d’un traitement contre l’hypertension : il s’agit du propranolol.
Bien que cette molécule ait été découverte en 1960, elle est tout d’abord utilisée en tant que bêta-bloquant dans le traitement contre l’hypertension, car elle empêche la fixation de l’adrénaline et de la noradrénaline sur leurs récepteurs. Du fait que le propranolol bloque la fixation de la noradrénaline, son usage a suscité des questionnements dans le secteur anti-phobique. En effet, il serait intéressant de voir si l’administration de propranolol peu de temps après l’événement traumatique empêcherait ou diminuerait l’action de la noradrénaline et parviendrait à insensibiliser l’amygdale.
Après, une autre théorie au niveau de la mémoire a émergé ces dernières années, à savoir que lorsqu’une personne est de nouveau confrontée au rappel de l’événement traumatique, le souvenir traumatique en question est réactivé et serait alors « malléable » ; ça serait alors le bon moment pour agir au niveau de l’amygdale et réduire l’effet émotionnel associé au souvenir. On pourrait donc changer la valence émotionnelle du souvenir, pas l’effacer mais faire en sorte que repenser à cet événement ne suscite plus de crise de panique ou d’angoisse.
Q : Est-ce qu’il y a déjà eu des essais avec cette molécule ?
Des études concernant l’utilisation de cette molécule existent depuis les années 1980 mais un vrai regain d’intérêt envers le propranolol est né depuis les années 2000. Les études de l’époque montraient déjà de très bons résultats : les sujets traités avec le propranolol présentaient beaucoup moins de symptômes liés à l’état de PTSD et ne présentaient plus de réaction en présence de stimuli rappelant l’événement traumatique vécu.
Le numéro 1338 de Courrier International propose un dossier sur cette molécule, sujet d’une étude menée par une chercheuse en psychologie, Merel Kindt. L’étude est simple : les patients sont amenés à parler et à revivre l’événement qui les a traumatisé, après quoi ils sont invités à prendre une pilule de propranolol. Cette psychothérapie associée au bêta-bloquant a permis aux patients de pouvoir repenser à cet événement sans en ressentir toute l’angoisse qui y était auparavant associée. Des personnes atteintes de phobies ont été aussi incluses dans cette étude et par exemple, un homme atteint de phobie des serpents a pu, après traitement toucher un serpent et même se rendre dans un reptilarium. Ces personnes ne sont donc plus dirigées par leurs souvenirs traumatiques.
Q : Les personnes qui souffraient de stress post traumatique doivent donc être vraiment soulagées ?
Il y a toujours un revers de la médaille. Cette même personne qui avait auparavant peur des serpents explique que « surmonter cette peur n’est finalement pas une grande victoire dans sa vie ». Curieux non, alors qu’avant, il ne pouvait pas approcher un serpent et que maintenant, cela lui est possible. Ce sentiment s’explique par le fait que certains patients n’ont pas l’impression d’avoir réussi à gérer eux-mêmes ce problème, d’avoir opté pour une solution de facilité et que leur victoire sur leur phobie n’est pas légitime.
Q : Mais alors, le propranolol est-il un facilitateur de bien-être ou un réel progrès dans le traitement des états de stress post-traumatique ?
Les chercheurs et psychologues s’accordent sur le fait que la peur n’est pas un mal pour l’être humain lorsqu’elle est raisonnée. La peur permet de comprendre ce qui représente une menace pour nous-même et d’apprendre à l’éviter. Comme le rappelle Merel Kindt : « La peur est une émotion qui a une fonction adaptative très importante. Elle nous permet d’anticiper et d’élaborer une réaction ».
Toutes les peurs n’auraient donc en quelque sorte pas besoin d’être soignées et il ne faut donc pas abuser de cette molécule. C’est contre des abus de ce genre que nous met en garde François Ducrocq, psychiatre du CHRU de Lille, interrogé par le magazine Sciences et Avenir en mai 2006. Il met en avant le fait que les médecins ne doivent pas « céder à la pression de la victime et que la prescription ne veut pas dire qu’on ne doit pas faire face ». Le propranolol devrait être utilisé dans des cas traumatisants et non stressants, comme un examen ou une opération chirurgicale…
Jonathan Lee, psychologue spécialiste de la reconsolidation de la mémoire de l’université de Birmingham déclare que « effacer complètement les souvenirs d’événements traumatisants de la mémoire n’est pas forcément une bonne idée. En revanche, cette méthode pourra redonner aux patients un contrôle de leurs ressentis », et donc, apprécier le rôle positif que la peur peut jouer dans leur vie. On peut comparer la nécessité de la peur à la nécessité de la douleur ; si nous n’avions jamais mal, nous ne serions pas en mesure de savoir que quelque chose ne va pas ou que quelque chose n’est pas bon pour nous. Si je laisse ma main sur une plaque chauffante et que je n’ai pas mal, ma peau va brûler et engendrer des dommages sévères à ma main. En revanche, si j’ai mal à cause de la chaleur, je saurai que cela n’est pas agréable et je ne reposerai pas ma main dessus. Il en est de même pour la peur.
Les émotions donnent de la couleur aux expériences (M.Kindt)
Retrouvez l'intégralité de l'émission en podcast sur le site de RCF Isère .
Sources
* Visuel principal : http://blogs-images.forbes.com (/toddessig/files/2015/12/ptsd_brain1.png)
* Courrier international 1338 – 23-29 juin 2016
* Cours de M1 Biosanté – Neurosciences cognitives – Université Paul Sabatier (Toulouse) Pascal Roullet
* https://fr.wikipedia.org/wiki/...
* Pubmed
* https://papyrus.bib.umontreal....
* http://www.aphp.fr/stress-post...
* http://neuro-psi.cnrs.fr/spip....
* Sciences et avenir, mai 2006