Langage et gènes : sont-ils liés ? - par Océane Bartholomée
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 29 mars 2018 3.1k
- Chronique rédigée et présentée par Océane Bartholomée pour le MagDSciences -
>> Chronique ré-éditée pour Echosciences par Mathilde Chasseriaud <<
Parlez et je lirai dans vos gènes
Tout commence avec la génomique sociale. Ce nom barbare désigne un domaine de recherche qui étudie l’impact de certains facteurs sociaux et environnementaux tels que le statut social ou l’isolation, sur l’expression de certains gènes. L’expression des gènes peut être contrôlée par des protéines appelées « facteurs de transcription » qui vont augmenter ou diminuer l’expression du gène. L’environnement physique et social des humains peut influencer l’expression des gènes. Les changements d’expression des gènes liés au stress social ont été nommés « réponses transcriptionnelles conservées à l’adversité », que nous appellerons CTRA. Ces réactions augmentent le risque de certaines maladies chroniques telles que des maladies cardiovasculaires et d’ordre psychiatrique.
Des études ont montré que les profils d’expression des gènes de CTRA sont plus étroitement liés avec les conditions socio-environnementales des personnes que les conditions affectives (stress, dépression...) qu’elles avaient elles-mêmes décrites. Ceci nous mène aux deux chemins de la gestion des menaces par le cerveau.
Une partie de traitement conscient de la menace par le système cognitif affecte le ressenti et la génération du contenu du langage.
Ces deux éléments peuvent être observés par l’auto-évaluation d’un individu de son état psychologique et par le choix des mots d’usage donnant du sens à son discours, c’est-à-dire les noms et les verbes.
Le second chemin de réponse au stress est son traitement inconscient par le système de défense automatique face à une menace. C’est cette voie de réponse au stress qui semble plus sensible aux mauvaises conditions sociales que la voie consciente. Le traitement inconscient du stress joue sur l’activation de certaines zones du cerveau et la génération de la structure du langage. Ces deux points sont observables respectivement par la régulation des gènes de CTRA et la structure du discours, c’est-à-dire le choix des mots de fonction tels que les adverbes et les pronoms qui sont générés assez spontanément.
Le langage : une fenêtre ouverte sur nos gènes ?
A partir de là, des scientifiques américains ont émis l’hypothèse que l’observation de changements systématiques dans la structure du langage pourrait être un indicateur comportemental indirect sur le système inconscient de réponse à la menace et donc à l’expression des gènes de CTRA.
Les scientifiques ont équipés 143 adultes d’enregistreurs automatiques qui enregistraient des échantillons de 30 à 50s toutes les 9 à 12 minutes durant les heures de réveil pendant deux jours. Cela a généré un total de 22 627 échantillons qui ont été retranscrits afin d’étudier le langage utilisé.
Le langage a été étudié ; nombre moyen de mots prononcés, longueur des phrases... La structure du langage a aussi fait l’objet d’une étude détaillée avec notamment l’étude des catégories de mots employés (adverbes, articles, verbes auxiliaires) ainsi que la présence de cinq sous-catégories de pronoms personnels. Afin d’étudier la relation entre le langage et l’expression des gènes de CTRA, ces différents paramètres du langage ont été reliés au profil d’expression de 50 gènes indicateurs de CTRA.
RESULTAT : le langage joue bien un rôle sur le profil d’expression des gènes. L’expression des gènes de CTRA est influencée par une faible utilisation du pluriel des pronoms de la troisième personne (ils, elles avec un s) et une importante utilisation d’adverbes tels que « tellement, très, vraiment », des pronoms impersonnels tels que « on » et de pronoms de la troisième personne au singulier comme ‘il, elle’ sans s. Quant à l’auto-évaluation de l’état psychologique des participants, seule la solitude a un lien avec l’expression des gènes de CTRA.
Ces résultats mettent en avant une relation entre les différences individuelles dans l’utilisation naturelle du langage et l’expression de gènes dans les cellules du système immunitaires.
Etes-vous plus pronoms ou adverbes ?
La structure du langage permet de mieux prédire l’expression des gènes de CTRA que les auto-évaluations de l’état psychologique. L’importance du nombre de mots prononcés pourrait refléter une manifestation verbale de prudence et une inhibition comportementale générées par le système automatique de réponse aux menaces.
L’utilisation des pronoms est censée refléter le déploiement de l’attention : l’association d’une expression réduite des gènes de CTRA avec une importante utilisation des pronoms pluriels de la troisième personne pourrait donc indiquer une orientation vers l’extérieur du monde social, permettant de réduire la menace pesant sur la personne et donc l’activité du cerveau.
Au contraire, l’utilisation d’adverbes qui jouent souvent un rôle d’ «intensificateurs » est associée avec une augmentation de l’expression des gènes de CTRA ce qui pourrait indiquer une plus grande activation du cerveau.
Ces résultats apparaissent comme prometteurs et excitants : en effet, le concept de lapsus semblerait presque has been avec la possibilité de déduire l’état de stress social d’un individu à partir de la structure de son discours.
Mais il faut néanmoins les considérer avec précaution : il s’agit d’une étude observationnelle menée sur une population urbaine des Etats-Unis. La généralisation de ces observations n’est donc pas possible.
Aucune causalité n’a non plus été démontrée : le langage pourrait affecter l’expression des gènes par exemple en influençant les processus de perception ou d’interprétation impliqués dans la détection des menaces.
Sources
>> Visuels (principal et secondaires) : Pixabay