[Interview] Aurores polaires : Objectif Sat & Light* avec Mathieu Barthélémy !
Publié par Sandy Aupetit, le 2 juin 2016 5.2k
Mathieu Barthélémy, astrophysicien à l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG-OSUG) et directeur du Centre Spatiale Universitaire de Grenoble (CSUG) a accepté notre invitation dans le magazine des sciences sur RCF Isère. Il nous parle de son travail autour des aurores polaires et des futurs projets émergeant avec le CSUG.
Interview réalisée par Julien Ridouard et Sandy Aupetit,
chroniqueurs hebdomadaires du Magazine des sciences.
Quelques généralités pour commencer !
Qu’est-ce qu’une aurore polaire ?
Les aurores polaires sont des émissions lumineuses que l’on observe dans le ciel nocturne, souvent dans des pays où il fait froid. C'est parce que ces émissions se produisent à haute latitude, près des pôles. Et on a donc tendance, presque à tort, de lier les aurores polaires au froid, mais c’est juste une question de localisation géographique !
D’ailleurs on dit parfois aurores boréales, cela fait référence au nord, mais on peut dire aurore polaire, parce qu’il y en a en fait autour des deux pôles. Le phénomène existe aussi au sud, on parle alors d’aurores australes, mais il y a en général moins de gens pour les observer !
Ces aurores sont en général vertes, parfois rouges, et il y a également d’autres couleurs qui peuvent apparaître. Ce sont des lumières qui donnent l’impression de rideaux ondulants. Ce phénomène se produit entre 100 et 300 km d’altitude environ.
Mathieu Barthélémy lors de l'interview, au studio du RCF Isère
A quoi correspondent les couleurs observées ?
Les coloris sont assez riches, mais la couleur dominante est le vert. Il s’agit en fait d’une émission due à l’oxygène qui est dans la haute atmosphère.
En fait le soleil envoie en permanence des particules, en plus de la lumière. On appelle ça le vent solaire. Et ces particules, en arrivant près de la Terre, sont piégées par le champ magnétique terrestre et conduites vers les pôles. Les aurores sont produites sur des sortes d’ovales centrés autour des pôle magnétiques, au nord et au sud (et qui ne sont pas tout à fait équivalents aux pôles géographiques).
Ces particules viennent alors taper, exciter la haute atmosphère. L’émission lumineuse que l’on observe, c’est tout simplement la relaxation de l’atmosphère, après l’impact des particules. Ainsi ce qui produit le vert et le rouge des aurores polaires, c’est en particulier la relaxation des atomes d’oxygène de l’atmosphère. Et cet oxygène se trouve sous une forme un peu particulière. L’oxygène que l’on a au sol, on appelle ça le dioxygène, c’est en fait deux atomes d’oxygène liés l’un à l’autre. A haute altitude, pour des raisons physiques un peu particulières, ces deux atomes d’oxygène ne sont plus liés, et on les retrouve tout seul. On parle d’oxygène atomique, et c’est cet oxygène qui émet le vert et le rouge. On peut avoir d’autres couleurs, comme le violet par exemple, produit par l’azote.
Les aurores polaires dépendent-elles de l’intensité de l’activité solaire ?
Oui, il y a un lien entre l’activité solaire, l’intensité des aurores polaires, et même leur position géographique. En fait, le soleil envoie un flux continu de particules de vent solaire. Mais de temps en temps, il y a des éruptions solaires, qui font qu’il y a un gros paquet de particules qui partent d’un seul coup.
Ces particules arrivant sur Terre vont alors augmenter la quantité de particules qui entrent habituellement dans l’atmosphère. On va donc avoir des aurores plus intenses lorsque l’activité du soleil est plus forte. Et ce qui est intéressant, c’est que l’on voit l’ovale sur lequel se forment les aurores se déplacer. Il va avoir tendance à s’élargir, et à descendre vers le sud (pour la partie boréale), ou à remonter vers le nord (pour la partie australe).
Et il y a eu un cas extrême, un événement qui s’est produit en 1859. C’est un peu notre événement de référence, qu’on appelle “événement de Carrington”, où il y a eu une éruption solaire extrêmement forte. Des aurores polaires ont été vues à Bombay par exemple, à Cuba, donc sous des latitudes tropicales ! La quasi-totalité du globe était éclairé par ces aurores polaires ! Ce sont des événements qui se produisent rarement mais par exemple l’année dernière, en 2015 au mois de mars, il y a eu une éruption solaire assez forte et des aurores ont été vues depuis la France, en Normandie et en Alsace.
Ovale auroral observé le 17 Mars 2015 (Source)
La météorologie de l'espace
Peut-on prédire l'apparition d'aurores polaires ?
Et bien c’est tout un domaine d’étude, ça s’appelle la météorologie de l’espace. Parce qu’en fait ces particules arrivant sur Terre, elles créent des aurores, c’est très beau, mais elles créent aussi des perturbations sur les systèmes technologiques. Elles peuvent endommager les grands réseaux électriques et les satellites.
Et donc oui, il faut essayer de prévoir ces perturbations, et par extension l’activité solaire. Mais c’est compliqué, on est beaucoup moins avancés que les météorologues classiques ! On a beaucoup moins de points de mesures et effectivement on a du mal à prévoir à long terme par exemple, si le soleil va avoir des éruptions fortes.
Mais on sait tout de même des choses, il y a un cycle à 11 ans par exemple. C'est-à-dire que tous les 11 ans, l’activité solaire est plus forte, puis redevient plus calme après. On est capables aussi de repérer certains points sur le soleil, qu'on appelle taches solaires, et qui sont susceptibles de générer des éruptions. Donc on a des éléments indicateurs, mais il est assez difficile de prédire le moment exact où une éruption solaire va avoir lieu. Donc pour l’instant on parle en terme de probabilités, on dit “là il y a plus de chances d’avoir une éruption solaire”, mais on ne sait pas dire “à cet instant il y aura une éruption solaire”.
Par contre une fois que l’éruption solaire est partie, on commence à savoir calculer le temps qu’elle va mettre pour arriver sur Terre. C’est typiquement 3 jours pour le vent solaire classique, et c’est moins dans le cas d’une éruption car le vent solaire est alors un peu plus rapide. Il y a des éruptions qui sont par exemple arrivées 20h après avoir été émises.
Peut-on prévoir les effets des éruptions solaires ?
On commence à être capable de prévoir les effets. Ce qui est délicat c'est que quand on voit une éruption solaire importante partir, on ne sait pas dire si c’est une "grosse éruption" que l’on peut voir de temps en temps ou si c'est une éruption d’ordre exceptionnel comme l’événement de Carrington. Et cela a des implications qui ne sont pas négligeables.
On estime par exemple qu’en terme de radiations, sur un événement comme celui de 1859, il y aurait des dangers pour les passagers des avions, et donc il faudrait arrêter une grosse partie du trafic aérien, notamment tous les vols qui passent au dessus des pôles.
Malheureusement on n’est pas encore capable de dire au moment où elle part si c’est quelque chose de "très fort" ou quelque chose "d’exceptionnel", on est seulement capable de le dire quand elle arrive au voisinage de la Terre. Et dans ce cas là, il nous reste une demi-heure, il est donc trop tard pour arrêter le trafic aérien ! On a encore des progrès à faire sur ce plan là.
Aurore boréale en Norvège, près du glacier Steindalen. Le 14 mars 2010, à environ 70° de latitude nord, dans la région de Tromsø, Alpes de Lyngen. ©Jean MOUETTE / CNRS Photothèque (Source)
La polarisation de la lumière
Vous travaillez plus particulièrement sur la polarisation de la lumière. Qu'est-ce qu’est cette polarisation, et quel est le lien avec les aurores polaires ?
Alors effectivement pour faire le lien avec ce qui précède, ce qu’on essaie de comprendre c’est quels sont les effets des aurores sur la haute atmosphère, et c’est une zone où l’on manque d’informations. On est entre 100 et 300 km d’altitude, et on est trop haut pour les expériences en ballons, et trop bas pour les satellites. Donc il faut qu’on cherche des sources d’information supplémentaires. Et la polarisation, c’est une source d’information supplémentaire qu’on est en train d’étudier.
Alors qu’est ce que c’est ? Et bien vous savez que la lumière, c’est une vibration qui se propage. Par exemple, votre oeil reçoit la vibration issue de la zone où il y a des aurores polaires. Cette vibration, elle peut se produire de différentes manières. On imagine par exemple une flèche, qui oscille. Cette flèche, que l’on appelle un vecteur en général pour les physiciens, peut osciller horizontalement, mais aussi verticalement, peut décrire un cercle, ou même une ellipse. La vibration, c’est en fait une vibration électromagnétique, et la flèche que je viens de décrire c’est ce qu’on appelle le champ électrique.
La polarisation, c’est la direction préférentielle de cette vibration, c’est-à-dire qu’il y a une direction qui est privilégiée par la lumière, qui est en général perpendiculaire à la direction de propagation. Donc vous imaginez que quand la vibration vient vers vous et bien c’est perpendiculaire à la direction où vous regardez. Et vous pouvez avoir une polarisation verticale, horizontale ou oblique.
Cette polarisation nous apporte des informations sur les processus qui ont créé de la lumière. En fait on imagine bien que s’il y a une direction préférentielle dans la lumière, c’est qu’au moment où la lumière s’est créée, il y a aussi eu une direction préférentielle.
Et cette direction préférentielle, dans le cas de la Terre, c’est en général le champ magnétique. Les particules qui arrivent sont en fait conduites par le champ magnétique, et on peut ainsi obtenir des informations sur un certain nombre de processus qui se produisent, à l’endroit où la lumière est créée. Donc ça peut être la direction du champ magnétique, éventuellement la variation de cette direction, l’énergie des particules qui arrivent... C’est pour ça qu’on étudie la polarisation de la lumière depuis maintenant une dizaine d’année à Grenoble.
Pour étudier la polarisation, êtes-vous régulièrement amené à partir sur le terrain pour faire des observations, des mesures ?
Oui, on va très souvent en Norvège puisque c’est finalement l’endroit le plus simple pour atteindre des aurores polaires depuis la France. On va dans le nord de la Norvège, autour de la ville de Tromsø, au delà du cercle polaire ; ou alors sur des îles qui sont “au nord du nord” de la Norvège, à 1000km à peu près au nord, qui s’appellent le Svalbard ou le Spitzberg.
On a là-bas des instruments fixes, comme des radars, et on emmène aussi nos instruments qui étudient la polarisation. On y va à des périodes où en général il y a peu de touristes, il faut qu’il fasse nuit pour observer les aurores boréales donc on y va l’hiver car on a plus de temps d’observation. Et il y fait froid ! Au Svalbard en plus, il y a quelque chose qui est un peu difficile quand on travaille, nos instruments sont dehors, or c’est un endroit où il y a des ours polaires ! Donc quand on travaille là-bas il faut absolument qu’on soit armés, pour pouvoir se protéger des ours polaires, au cas où l’un d'eux nous attaquerait ! Heureusement ça ne nous est jamais arrivé, et je n’aimerais vraiment pas que ça nous arrive ! Mais c’est une précaution supplémentaire à prendre lorsqu’on est là-bas.
Le Centre Spatial Universitaire de Grenoble
Vous êtes directeur du Centre Spatial Universitaire de Grenoble, où vous travaillez sur des satellites, vous pouvez nous en dire un peu plus ?
En effet on travaille, on construit avec les étudiants des satellites, et plus exactement des petits satellites. On parle de “nanosatellites” ou de CubeSat. On travaille avec des étudiants de tout niveau, de l’IUT, des masters, des écoles d’ingénieurs, pour construire ces satellites. Et il se trouve effectivement que le premier satellite qu’on est en train de construire (le centre spatial a été inauguré au mois de septembre en 2015) est un satellite qui va faire l’observation des aurores boréales et des aurores australes, et donc depuis l’espace.
Cela a plusieurs avantages, et notamment on évite la couverture nuageuse ! Là on est au dessus des nuages donc il n’y a pas de problème. En plus, au lieu de voir les aurores d’en dessous comme quand on est au sol, et bien avec un satellite on peut les voir de côté. Et en les voyant de côté on peut réussir à reconstituer comment elles sont "étagées" en quelque sorte. C’est-à-dire comment à différentes altitudes les différentes émissions, on pourrait dire les différentes couleurs, se produisent. Et ça c’est une information extrêmement importante pour nous, on peut dire que c’est le deuxième volet de notre recherche après la polarisation, c’est d’étudier l’étagement et l’intensité des différentes couleurs émises.
Ré-écoutez l'intégralité de l'émission ici :
En exclusivité sur Echosciences, nous n'avons pas résisté à lui poser des questions supplémentaires à propos des nanotallites !
Que sont les nanosatellites ?
Alors ce sont vraiment des petits satellites ! On les conçoit presque comme des briques de Lego, c’est-a-dire qu’on a une unité de base de ces satellites, ce qu’on appelle un satellite 1U pour 1 unité, et qui correspond à un cube de 10cm de coté. Donc c'est un cube qui tient a peu près dans la main, et qui fait un litre. Et ensuite on assemble ces unités pour faire des satellites 1U, 2U, 3U, il y a même des 6U ! Le premier satellite sur lequel on travaille justement, et qui va observer les aurores boréales, sera un satellite 6U. Imaginez un satellite qui représente a peu près une feuille A4 sur 10cm d’épaisseur. Et c’est donc avec ce satellite qu’on va faire l’étude des aurores boréales depuis l’espace.
Pour donner une idée c’est une expérience qui a été faite de manière similaire il y a une vingtaine d’années, et qui avait volé à bord d’une navette spatiale. Cette expérience pesait 950kg, et là on va arriver à quelque chose qui ne pèse que quelques kilos, disons 5kg tout compris. Donc on a un facteur supérieur à 100, presque 200 sur la masse ! Et ces satellites, bien que petits sont de vrais satellites, qui font des observations !
La spécificité à Grenoble, c’est qu’on collabore avec les étudiants pour faire les phases d’étude, les phases de développement ou encore les phases de test. Il y a aussi des laboratoires dans la boucle, le principal étant l’IPAG (Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble), mais un autre projet va apparaitre et sera sans doute mené par le LiPhy (Laboratoire Interdisciplinaire de Physique).
C’est très intéressant car c’est extrêmement formateur pour les étudiants, ils apprennent les difficultés liées à l’environnement spatial. C’est un endroit où il faut bien imaginer qu’une fois que le satellite est lancé on ne peut pas retourner avec son tournevis resserrer un boulon ! Donc il faut absolument être extrêmement rigoureux dans l’ingénierie de ces objets !
Illustration d'un nanosatellite en orbite (Source)
Quand le premier nanosatellite du CSUG sera-t-il lancé ?
On espère un lancement en 2020, typiquement on les développe en 5 ans. Ce sera lancé à bord d’une fusée russe a priori, car on a une collaboration avec une Université russe, à Zelenograd dans la banlieue de Moscou. Comme on veut aller voir les aurores boréales, il va falloir que notre satellite passe à assez haute latitude. Le site de lancement sera donc probablement positionné assez au nord, contrairement aux lancements interplanétaires qui peuvent utiliser la rotation de la Terre pour faire un effet fronde et où il vaut mieux être près de l’équateur. Là on a intérêt à être plutôt près des pôles.
Combien de temps durera la mission ?
On a une mission qui devrait durer 2 ans, on espère pouvoir l’étendre à 5 ans. Mais vous imaginez qu’un satellite qui est autour de la Terre, qui va voler à environ 600 ou 650 km d'altitude, reçoit pas mal de radiations, justement des particules de vent solaire dont je parlais tout à l’heure. Les électroniques sont donc soumises à rude épreuve, et on ne peut pas garantir à l’heure actuelle que l’instrument durera plus de 2 ans.
Où seront reçues les informations collectées ?
On aura nos propres antennes à Grenoble, on est en train de les construire, pour tout dire j’avais même une réunion ce matin pour définir le cahier des charges de la première antenne ! Donc il y aura une antenne à Grenoble et il y aura ce qu’on appelle un centre de mission qui controlera le satellite et qui récupèrera les données.
Une fois qu’on aura traité les données et qu’on aura commencé à faire de la science avec, elles seront mises à disposition du public au bout d’un certain temps, probablement au bout de 6 mois environ. Il y aura des collègues de tous les pays qui pourront donc aussi travailler dessus. On se réserve une petite exclusivité car on a fait l’effort de construction, mais après on veut que la communauté puisse travailler aussi sur ces données !
Les données que l'on va récolter, ce sont en fait des spectres, qui vont nous permettre de décomposer la lumière des aurores, les couleurs. On va prendre un spectre par seconde pendant 2 ans, ce qui va faire une quantité de données énorme ! On va essayer de trier quelle sont les données les plus intéressantes, mais il y aura a mon avis du travail pour de nombreuses années et pour de nombreuses équipes scientifiques !
Pour donner une idée, des gens travaillent encore sur les données de l’expérience Voyager, une sonde américaine qui a traversé le système solaire et qui est passée autour de Neptune en 1989 !
Des photos des aurores seront-elles transmises ?
En parallèle de l’instrument principal, le spectromètre qui fournira donc les spectres, il y aura un petit imageur, une sorte d'appareil photo. Cela aura plusieurs buts, déjà un but scientifique, qui est d’être capable de localiser où est-ce qu’on va viser pour faire les mesures. Est ce qu’on vise dans une aurore, ou juste à coté ? Ca va être une information importante pour nous. Et puis aussi de temps en temps, on transmettra une image en haute résolution, pour pouvoir communiquer avec le grand public sur ce qu’on fait ! Le problème, c’est qu’une image en haute résolution représente beaucoup de données et qu’on est assez limité en volume de données à transmettre, donc on ne pourra pas en transmettre une toutes les secondes ça c’est sur !
* Retrouvez toutes les actualités des projets menés par le Centre Spatial Universitaire de Grenoble sur la communauté "Sat & Light", et (re)découvrez les aventures en Norvège de Mathieu Barthélémy et son équipe avec le dossier "Chroniques des chasseurs d'aurores" !
En photo de couverture : Aurore boréale, prise au lac glaciaire Jökulsárlón, en Islande. © Stéphane Vetter (Source)