"Il était une fois..." ou la coopération chez les chasseurs-cueilleurs - par Océane Bartholomée
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 12 mai 2018 2.7k
Chronique rédigée et présentée par Océane Bartholomée pour le MagDSciences
>> Chronique ré-éditée pour Echosciences par Mathilde Chasseriaud <<
Nous nous sommes quittés sur un conte pour Noël, les aventures d’Orion le petit électron. Rien qu’une histoire pour enfants diront certains. Des histoires à dormir debout pourront dire d’autres. C’est souvent ainsi. En vieillissant on a tendance à oublier l’amour enfantin pour les contes, voire à déprécier les récits de fiction. Mais si ces histoires avaient un rôle ? Si leur unique but n’était pas de faire rêver les tout petits ?
Les contes : des médiateurs innocents de messages
La narration est universelle : tous les enfants racontent des histoires. L’ancienneté de la présence d’histoires dans la culture pourrait indiquer que les contes sont une importante adaptation humaine. Par exemple, les sociétés de chasseurs-cueilleurs possèdent de fortes traditions orales qui permettent la transmission de valeurs sociales à travers la narration. Ces histoires permettraient de coordonner les comportements de groupe et de faciliter la coopération. Il est en effet courant que la nourriture soit partagée entre les membres d’un camp ou qu’aient lieu des rituels pour la résolution de conflits.
L’exploration de cette hypothèse commence comme un film d’aventure. Des chercheurs ont travaillé avec une population de chasseurs-cueilleurs des Philippines : les Aetas, vivant dans une zone de forêt protégée, accessible uniquement par avion, bateau ou une randonnée de trois jours. Ils ont travaillé avec deux groupes de 1000 et 250 individus. Ces populations vivent essentiellement sur les bords de rivière ou sur la côte. Ils consacrent une grande partie de leur temps à la recherche de nourriture par la pêche, la chasse et la récolte de miel et de plantes sauvages qu’ils échangent parfois contre du riz aux populations locales pratiquant l’agriculture. Les camps peuvent aller de 7 à 156 individus et ont une taille moyenne de 49 individus.
Les chercheurs ont commencé par étudier les contes peuplant le folklore des Aetas. Un exemple d'histoire : le récit de la dispute opposant le soleil et la lune. Les deux se battent pour savoir qui éclairera le ciel. Mais il s’avère qu’ils sont aussi forts l’un que l’autre. Après discussion, ils décident de se partager la tâche : le soleil éclairera pendant la journée et la lune pendant la nuit.
Cette histoire innocente véhicule de nombreuses normales sociales telles que l’égalité des sexes – le soleil étant de sexe masculin et la lune de sexe féminin – mais aussi la coopération entre les sexes. Le message est transmis via le calcul et la comparaison des avantages de la coopération par rapport à la compétition.
D’autres contes, mettant souvent en scène des animaux ou des astres humanisés, véhiculent des valeurs sur l’amitié, la coopération, l’égalité sociale et la cohésion de groupe. Souvent, les contes terminent sur la réconciliation des intérêts individuels et des différences. Ils illustrent des mécanismes de renforcement des normes sociales.
L'importance des contes pour développer la coopération
Des chercheurs ont observé que les camps d’Aetas avec une plus grande proportion de conteurs doués étaient aussi les camps où les niveaux de coopération entre les individus sont les plus élevés. La qualité des conteurs a été estimée sur leur réputation. Dans 18 camps, les chercheurs ont demandé aux habitants qui étaient selon eux les conteurs les plus habiles. A partir de ces observations, la qualité d’un conteur était considérée comme le pourcentage de ses nominations par rapport au nombre total de nominations faites dans le village. La coopération était estimée à travers la réalisation d’un jeu sur la distribution des ressources basé le choix de donner ou garder des parts de riz. Les observations faites vont dans le sens que les bons conteurs favorisent la coopération dans les camps.
Les bons conteurs bénéficient de certains "avantages". Les conteurs doués sont des partenaires sociaux préférés par rapport à des conteurs moins habiles. Si les membres des groupes d’Aetas devaient choisir 5 personnes avec qui vivre dans leur camp, les bons conteurs avaient deux fois plus de chance d’être nommés que les conteurs moins doués. Les bons conteurs étaient plus souvent nommés que des individus réputés être habiles à la chasse, à la pêche ou à la récolte de tubercules, ce qui met l’accent sur le rôle central de l’art de la narration, qui occupe une place plus centrale encore que les compétences de recherche de nourriture.
Les conteurs habiles ont également un succès reproducteur plus élevé. Ils ont en effet généralement plus d’enfants que les conteurs moins doués. Certains blagueurs noteront peut-être là les avantages d’être beau parleur. Également, dans le jeu de distribution des ressources, les bons conteurs étaient plus susceptibles de recevoir du riz que les autres participants, ce qui peut être interprété comme une récompense de leur public.
Ainsi, la narration pourrait jouer une importante fonction adaptative dans les populations de chasseurs-cueilleurs en organisant la coopération entre les individus. La valeur des bons conteurs est reconnue par la haute appréciation qu’ont pour eux les membres de leur camp.
Visuel principal et illustrations : Pixabay