Tensions individuelles et collectives autour de la vaccination : des controverses publiques aux expériences ordinaires
Publié par Wendy Laperriere, le 11 octobre 2019 2.2k
(Crédits photo : REUTERS/Eric Gaillard)
Le troisième séminaire “Sciences, Société et Communication” de l‘édition 2019, animé par Jérôme Gaillaguet, doctorant en sciences sociales à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), s’est tenu à la MSH-Alpes ce lundi 7 Octobre 2019. Le sujet portait sur les tensions publiques autour de la vaccination en France.
Des controverses modulent l’opinion publique sur les vaccins
La population maintient un taux de confiance dans les vaccins en général favorable, mais variable : en 2005, les français étaient 90% à être favorables aux vaccins, tandis qu’ils ne sont plus que 60% en 2010, puis 75% en 2016. Il existe donc des personnes qui peuvent changer d’avis sur ce qui est pourtant admis comme un consensus scientifique. Mais quelles sont les raisons de ces changements ?
Un petit historique des controverses de ces dernières années est nécessaire pour le comprendre. La large campagne de vaccination contre l’hépatite B lancée en 1994 donne d’excellents résultats et amène la France en tête des pays ayant une couverture vaccinale forte. Cependant, l’année suivante, Bernard Kouchner, alors Ministre de la Santé, stoppe cette campagne suite à des suspicions de liens entre vaccination et sclérose en plaques (liens qui n’ont par la suite jamais été démontrés). Parallèlement, l’adjuvant utilisé dans les vaccins, l’aluminium, est lui aussi soupçonné de provoquer des lésions musculaires.
En 2008, le retrait du vaccin DTP (Diphtérie-Tétanos-Polio) et son remplacement par un vaccin hexavalent (qui protège de six maladies dont les trois précédemment citées) permet l’éclatement de la polémique et la montée de la méfiance envers les vaccins. Ce mouvement informel compte notamment dans ses rangs le Pr Henri Joyeux, qui a gagné sa notoriété en lançant la pétition contre ce remplacement et en donnant une exposition médiatique aux inquiétudes du public.
Enfin, en 2009, lors de la propagation mondiale de la grippe H1N1 la Ministre de la Santé commande 94 millions de doses d’un vaccin développé en seulement quelques mois. La méfiance est telle qu’à peine 8% de la population se fera vacciner… Pour un coût total de 400 millions d’euros.
Ces différentes polémiques ont sans doute joué un rôle dans les questionnements du public face à la stratégie de vaccination française.
C’est au cours de l’expérience du vaccin que surgissent les questionnements
Au travers de discussions informelles et de témoignages, Jérôme Gaillaguet tente d’expliquer comment les trajectoires de pensées peuvent évoluer et bifurquer, sur la controverse du vaccin.
Un individu est sous l’influence de plusieurs facteurs conduisant à un intérêt plus ou moins marqué pour la vaccination. Le doctorant constate qu’il y a dans les expériences de chaque personne des dimensions de leur identité qui surgissent. Par exemple, être une jeune maman induit un intérêt soudain pour les avantages et inconvénients de la vaccination. De même, le partage d’expériences de la vaccination dans les médias fait écho aux expériences individuelles des personnes qui les suivent. C’est alors qu’au cœur de l’expérience ordinaire va naître un questionnement sur la controverse: “Et si en fait c’était le vaccin qui était responsable de mon mal être/de mon bien être ?”
Tenter de comprendre d’où viennent les doutes, l’expérience de l’incertitude
Le doctorant rappelle que ce n’est pas parce qu’un discours domine qu’il ne faut pas prendre les autres discours moins au sérieux. Ceux-ci viennent du monde sensible, où chacun cherche à légitimer son ressenti. Le monde sensible faisant écho à l’ensemble des perceptions et croyances d’un individu, c’est en confrontant ce monde à celui d’un autre individu qu’une personne va tenter d’expliquer ses doutes. Les personnes peuvent aussi les expliquer en établissant des correspondances entre les événements passés (comme la prise d’un médicament) et les effets néfastes qu’elles ressentent. L’explication peut également prendre naissance dans la comparaison avec d’autres personnes n’ayant pas fait la même chose par le passé (comme n’ayant pas pris de médicament).
En plus du fait que ces explications manquent de preuves tangibles, d’autres facteurs peuvent empêcher de leur donner un statut concret et cohérent. En effet, les débats, enquêtes et discussions ordonnées par l’Etat ou par des dispositifs et réseaux d’acteurs influents sont susceptibles d’être biaisés par des conflits d’intérêt.
La problématique surgit donc souvent de la même manière chez les personnes enquêtées, par une expérience très singulière. En effet, selon le début de l’étude, les individus ne s’investissent dans la controverse que lorsque celle-ci entre dans leur quotidien. Ils se forgent ainsi une attitude.
Des trajectoires et des bifurcations de trajectoires face à la vaccination
Lors de ses enquêtes, Jérôme Gaillaguet a pu définir ces cinq attitudes vis-à-vis de la vaccination :
l’adhésion totale : pleine confiance envers les institutions et la science, le rapport bénéfices/risques prime et les effets secondaires sont minimisés
l’adhésion sous réserve : opinion sans réelle remise en question mais avec des zones d’incertitudes (parfois liées à la corruption des industries pharmaceutiques et de l’Etat)
l’indifférence : positionnement sans questionnement, qui va suivre les recommandations
l’hypersensibilité : refus plus souvent dû à de mauvaises expériences personnelles suite à une vaccination que par idéologie
le rejet total : qualification des vaccins inefficaces, inutiles voire dangereux.
Elles peuvent varier au cours du temps du fait de situations, de dispositifs ou encore de réseaux d’acteurs différents. Le doctorant nomme ces évolutions des bifurcations de trajectoires.
Marjorie, une jeune mère enquêtée par Jérôme Gaillaguet, raconte qu’il est difficile d’avoir des certitudes face à la controverse du vaccin, lorsque l’on fait des recherches pour soi. « On n’est jamais sûr à 100% de son choix. ».
Il faut savoir que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) place la méfiance à l’égard des vaccins comme l’une des dix préoccupations majeures de l’année 2019*. Cette méfiance se fonde souvent sur l’expérience personnelle mais aussi en réponse à des incompréhensions. Des doutes qui proviennent du nombre d’acteurs trop importants autour de la production et de la diffusion des vaccins par exemple, des acteurs ayant des motivations plus économiques que sanitaires, ou bien encore d’une confiance aveugle dans les propos scientifiques…
Une controverse s’intègre donc dans le quotidien d’une personne de manière soudaine ou progressive, via une expérience singulière. Cette personne se forge une attitude qui peut évoluer au cours du temps. Le rôle de cette étude sociologique permettra alors de mieux comprendre les trajectoires des acteurs impliqués.
Wendy LAPERRIERE (@W_Jbbrwck), Marie ARTHUIS (@ArthuisMarie) et Mathilde SIVIGNON (@MathildeSivi), Etudiantes en M2 Communication et Culture Scientifique et Technique, Université Grenoble Alpes
*https://www.who.int/fr/emergencies/ten-threats-to-global-health-in-2019