Linky à la une ! : La création d’un objet connecté ou les smarts grids comme processus d’Innovation
Publié par Guillaume Poncelet, le 8 novembre 2019 2.3k
Dans le cadre du séminaire Sciences, Société, Communication 2019, Aude Danieli, chercheure au LATTS à l’Université Paris-Est Marne-la-vallée, puis chercheure au CERLIS à l’Université Paris Descartes, a présenté les résultats de sa thèse autour de la stratégie du déploiement du compteur Linky, et de la controverse qui en a suivi.
Cette thèse en CIFRE s'est déroulée chez EDF. Autrement dit, Aude Danieli a travaillé en tant que chercheure d’université mais également en tant que chercheure dans une équipe d’EDF. Cette double casquette a nécessité une certaine souplesse, mais a pu lui permettre de mener l’enquête au plus proche des différents acteurs du sujet.
C’est pourquoi les résultats de cette thèse portent sur la manière dont les professionnels, et les avis radicaux contre Linky se sont appropriés ce nouveau compteur Linky pour entrer dans la controverse. Mais avant de parler de la controverse, rappelons rapidement l’historique des compteurs de France.
Les compteurs électriques apparaissent en 1880, pendant la révolution industrielle. C’est la naissance de la distribution à grande échelle. Ils sont à l’origine développés pour des réseaux de courant continu. Mais la technologie évolue rapidement pour passer au courant alternatif ; des modèles sont mis en place dès 1887.
Ces premiers modèles utilisent une technologie électrolytique, rendant très peu fiable le relevé de quantité de courant utilisé.
Au XXème siècle, le décompte se fait de manière électromagnétique, bien plus précis, puis les compteurs électroniques apparaissent finalement en France dès 1990.
Dès le départ, la question de la fiabilité du relevé de consommation est au centre des préoccupations des consommateurs. C’est une problématique qui a été au cœur de l’évolution technologique des compteurs électriques. On note que cette fiabilité a été grandement améliorée à chaque nouvelle technologie déployée. Il ne faut cependant pas négliger la question de la lutte contre la fraude des usagers dans ce développement, prioritaire pour EDF.
En 1980, EDF expérimente le déploiement de compteurs fonctionnant selon une méthode de prépaiement pour tenter d’enrayer la fraude, relativement étendue sur les compteurs électromagnétiques (proportion estimée à 10% des usagers par le fournisseur). Cette tentative, en plus de montrer rapidement des limites face à la fraude, déclenche une levée de bouclier en faveur des ménages les plus modeste, susceptibles de se priver eux même d'électricité, et ne sera donc pas menée à terme.
Dans un même temps, EDF commence à changer les consommateurs en “consom’acteurs”. L’objectif est d’accompagner les usagers dans une auto-régulation de leur consommation. Des stratégies émergent de concertations, comme la politique tarifaire des heures pleines et creuses. Faire de ses clients des “smart consumers” est le leitmotiv qui a guidé EDF dans la conception du dispositif Linky, imaginé comme un outil d’aide à la consommation.
La conceptualisation d’un compteur intelligent a démarré vers 2005, dans une logique orienté sur une économie de monopole d’EDF. Le concept évolue au moment de l’ouverture des marchés, et voit alors s’affronter deux logiques de développement, entre la filière commerciale et la filière technique (Enedis).
Un espace de consultation publique est créé autour de la création de Linky. Y interviennent les industriels, la CNIL et des agences pour l’environnement.
La représentation de Linky en tant qu’outil au service du consom’acteur prend alors une dimension écologique liée à l’enjeu de réduire sa consommation énergétique. Par ailleurs, le déploiement du compteur intelligent est promise comme “indolore” pour les clients par le gouvernement. L’avancé majeure de ce dispositif réside dans l’absence de nécessité d’intervention sur place pour les opérations courantes.
Le déploiement est orchestrée en plusieurs phases, dont une de test, débutée en 2013, puis plusieurs phases d’installations programmées en zones géographiques, à partir de 2015.
Pour la phase de test, le compteur est déployé uniquement en Indre-et-Loire et à Lyon. Les réactions y sont mitigés, très différentes entre les deux régions. La presse lyonnaise parle d’une opportunité de progrès technologique, mais les choses sont moins bien perçues en Indre-et-Loire, probablement du fait d’un saut technologique plus important (la majorité des habitants passent directement de la technologie électromagnétique au Linky, contrairement aux lyonnais, bien plus souvent équipés de compteur électroniques).
Toutefois, les réactions négatives sont plus mesurées en phase de test, pour finalement gagner en volume durant le déploiement général.
Cette protestation ne vient pas des fraudeurs, comme supposé par EDF. Elle est donc imprévue pour le grand groupe qui s’aperçoit pour la première fois que le compteur intéresse les utilisateurs. Les domaines de la santé, de l'économie et du social vont entrer, avec plus ou moins d’entrain suivant le territoire, dans le débat. Il existe une peur que la santé des usagers pâtisse des ondes produites par la machine. Certains foyers se retrouvent avec une mise à niveau des prix de l’énergie, d'où une augmentation de la facture. La possibilité de la coupure de courant à distance effraie également, ce qui pourrait donner un accès plus compliqué à l’énergie aux familles en difficulté financière. Et pour terminer, la controverse de qui et comment on utilise les données recueillies des utilisateurs par ces compteurs s’ajoutent à notre première controverse. D’autres protestations apparaissent aussi localement comme le sentiment du monde rural d’être délaissé en perdant un service de proximité. Le fait marquant dans ces contestations est quelles sont solidaires. Aude Danieli se souvient que lors des réunions anti-Linky, on éteignait son téléphone portable par respect envers les personnes électrosensibles dans la salle. Elle témoigne également du fait qu’il n’existe pas de profil type de contestataire.
Du côté des professionnels, il est aujourd’hui difficile de dire que ce compteur ne s’est pas éloigné de sa pensée originale vu qu’il permet difficilement aux utilisateurs de regarder leurs données. Néanmoins, le compteur est un pari pour l’innovation et il est toujours possible de le connecter à des applications, technologies nouvelles et bien d’autres choses que seul le futur peut imaginer.
Ecrit par Guillaume Poncelet et Paul Savary, étudiants en master 2 de Communication et Culture Scientifique et Technique de l’Université Grenoble-Alpes.