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Les data centers : quand la face cachée d'Internet devient un problème public

Publié par Jonathan Lafont, le 23 novembre 2018   6.6k

Le lundi 19 novembre le bâtiment Alpilles 1 au campus de l’université Grenoble Alpes a accueilli Clément Marquet (doctorant en sociologie à Telecom ParisTech) pour présenter les travaux de sa thèse intitulée : Ce nuage que je ne saurais voir. Promouvoir, contester et réguler les data centers à Plaine Commune.  Durant sa présentation il a pu raconter comment les data centers, des structures invisibles et secrètes, ont pu devenir quasiment un problème public. Son étude se base sur l’histoire du territoire Plaine Commune au nord de Paris, de 1990 à 2015 ce dernier a connu une importante implantation de data centers.

Tablettes d'équipement de télécommunications
Par Contributed and licensed under the GFDL by the photographer, Gregory Maxwell., GFDL 1.2

La face cachée d’Internet

Aujourd’hui avec la démocratisation d’Internet on entend du plus en plus parler de la numérisation des données, on parle aussi de dématérialisation. Il s’agit du remplacement des supports d’informations matériels par des données informatiques, qui peuvent circuler sur les réseaux numériques ou être stocker en ligne (le Cloud, "nuage" en bon français). Mais en réalité toutes ces données informatiques nécessitent une part matérielle pouvant jouer un rôle non négligeable dans l’aménagement des villes. Et c’est là qu’on arrive au sujet des data centers.

Ce sont des espaces physiques regroupant des équipements qui permettent le stockage de données informatiques. Ces bâtiments, parfois de taille très importante, bénéficient pourtant d’une certaine invisibilité.

En général, les utilisateurs des équipements informatiques ne sont pas conscients de cet aspect qui s’éloigne des discours autour de la dématérialisation des données et de l’image du Cloud. Les data centers sont aussi discrets dans le paysage des villes, certains sont implantés dans d’anciens immeubles ou entrepôts reconfigurés. L’architecture des bâtiments est générique et ne donne pas d’indice sur leur activité.

Data center de l'agence Reuters à Londres


Le territoire de Plaine Commune et les data centers

De 1990 à 2015, le territoire de Plaine Commune va connaître un réaménagement important dû notamment à la préparation de la coupe du Monde 1998. L’état français va alors faire de grands investissements, suscitant un regain d’intention pour le territoire. Plaine Commune bénéficie de certains avantages pour l’implantation de data centers : proximité d’alimentation électrique (postes sources), accès aux réseaux des télécommunications, facilité d’accès (RER et autoroutes) et absence de risques majeurs.

Le territoire va jouer un rôle très actif dans sa promotion en tant que « capitale européenne des data centers ». Les data centers apportent aussi certains avantages pour le territoire : ils permettent de lutter contre l’implantation d’entrepôt de stockage qui pourraient générer un trafic important de camions, ils jouent un rôle de « police urbaine » avec les dispositifs de sécurité entourant ces bâtiments.

Les élus politiques se sont beaucoup servis de ces arguments pour « vendre » l’implantation des data centers aux riverains. Mais il faut savoir que malgré les discours de promotion il n’y a pas vraiment de connaissance sur ce que sont les data centers et comment ils fonctionnent, que ce soit du côté des habitants ou celui des élus.

salle des serveurs
Par BalticServers.com — Photographie personnelle, CC BY-SA 3.0,


Le basculement

L’implantation des data centers dans le territoire de Plaine Commune ne va pas aller sans problèmes. Elle a pris de cours la planification du gestionnaire du réseau électrique ERDF, qui ne pouvait plus garantir de pouvoir fournir de l’électricité pour les data centers, du moins sans aménagement important du réseau (poste source supplémentaire). Le territoire de Plaine Commune va devenir moins attractif, il subit une chute de la fiscalité divisant par 10 les revenus des data centers.

Différents mouvements d’opposition à ces infrastructures ont commencé à apparaître chez les habitants, notamment à cause des nuisances sonores qu’ils causent et du risque d’explosion (présence de grandes cuves de fioul destinées à alimenter des générateurs de secours en cas de panne électrique). Des rapports pointent les consommations en énergie beaucoup trop importantes par rapport aux bénéfices économiques engendrés par la présence des data centers. Un centre de données de 1000 m² consomme l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants, soit plus que l’ensemble des habitants du territoire.

Enfin les data centers sont la cible de critiques environnementales voulant rendre visible les luttes contre les structures produisant des gaz à effet de serre. Des actions de médiation et de sensibilisation du public sont engagées (collectif Toxic Tour). Mais il n’y a pas vraiment de mobilisation des élus politiques, malgré la conscience de l’impact des activités humaines sur l’environnement (COP21).

En conclusion, l’histoire du territoire de Plaine Commune illustre bien l’impact des technologies numériques sur les villes, les data centers constituent une part matérielle « cachée » de Internet. Ils jouent un rôle important dans l’aménagement des territoires mais très peu de personnes en sont conscientes. L’implantation des data centers est légitimé par les politiques qui y voient des leviers économiques. Dans le contexte du réchauffement climatique, la question de l’empreinte du numérique sur l’environnement que soulève les opposants à ces infrastructures est importante. Malgré les actions de médiatisation de ces questions par ces acteurs, le politique ne semble pas vouloir se pencher sur ces problèmes.

Pour plus d'informations :

_ Texte intégral de l'article "Ce nuage que je ne saurais voir. Promouvoir, contester et réguler les data centers à Plaine Commune" de Clément Marquet.

_ Article du journal Le Parisien La pénurie d'énergie menace les data centers paru le 14 avril 2011.

_ Note d'avis de l'Agence Locale de l’Énergie et du Climat de Plaine Commune (ALEC) Les data centers sur Plaine Commune datant de août 2013.

_ Article du journal Libération sur le collectif Toxic Tour paru le 24 août 2014.