Ce que le tourisme scientifique fait à la patrimonialisation de la nature et réciproquement
Publié par Lionel Favier, le 12 décembre 2020 4k
L’atelier 4 des journées d’étude « Culture scientifique et transition touristique : quels enjeux pour les territoires alpins ? » nous fait naviguer entre les étoiles et la Terre dans un voyage réflexif sur les effets mutuels générés entre tourisme scientifique et patrimoine naturel montagnard. Nos guides de l’après midi sont Bruno Charlier, Maître de Conférences et géographe de l’environnement au laboratoire PASSAGES (Université de Pau et des Pays de l’Adour), et Yannick Vialette, doctorant au laboratoire PACTE (Université Grenoble Alpes).
Participation des citoyens à la labellisation « Réserve de Ciel Étoilé »
A l’évocation du mot patrimoine, on peut penser à la célèbre liste de l’UNESCO qui permet à tant de lieux de la Terre d’être l’objet d’une protection environnementale. Mais le patrimoine peut également contenir des objets ne reposant pas sur notre planète. Il s’agit des étoiles, ou plus précisément les ciels étoilés. Bruno Charlier, premier intervenant de l’après midi, est chercheur et géographe de l’environnement et l’un des artisans de la création de la Réserve Internationale de Ciel Étoilé (RICE) du Pic du Midi, en 2013.
« J’ai
commencé par faire de la recherche appliquée et impliquée »
Bruno Charlier
La labellisation RICE est décernée par l’International Dark-Sky Association (IDA), qui est la plus grande et la plus ancienne de ce type d’organisation. Pour accéder à ce type de labellisation, des mesures doivent être prises pour minimiser la pollution lumineuse, quelle que soit l’origine du label. De manière générale, ce sont des espaces déjà bénéficiaires d’autres statuts protecteurs, Parc Nationaux ou Réserves, qui tendent à demander ces labels. D’après Bruno Charlier, de 44 parcs et réserves de ciel étoilé de par le monde en 2013, nous sommes passés à 231 en 2020, ce qui montre un intérêt certain pour la pureté de la voûte céleste.
Parmi
les motivations à la patrimonialisation des ciels étoilés, il y a
des enjeux de biodiversité, sur laquelle la pollution lumineuse a un
impact négatif, des enjeux paysagers, mais également
des enjeux culturels par rapport à un bien commun partagé avec les
premiers humains.
Si ces réserves de ciel étoilé existent, c’est aussi parce que des bénévoles, des astronomes amateurs, sous l’impulsion d’acteurs concernés par l’amélioration des conditions nocturnes, ont contribué à montrer la dimension de ciel étoilé de ces endroits. Bruno Charlier nous donne des exemples de programmes de science participative visant à évaluer la qualité nocturne d’un ciel. Avant 2013, le projet Gardien d’Étoile avait déjà permis au Pic du Midi d’accéder au label RICE. Plus récemment, c’est le projet Veilleurs d’Étoiles qui pourrait mener le Parc naturel régional de Millevaches en Limousin au même succès. Les deux autres lieux ayant bénéficié de cette appellation en France sont les parcs nationaux du Mercantour et des Cévennes.
Il s’agit là de science participative qui mène à la reconnaissance patrimoniale de ces sites d’exception qui se font de plus en plus rare. Dans l’autre sens, la patrimonialisation permet à une région d’accroître son rayonnement et d’attirer toujours plus d’amateurs astronomes.
Retour sur Terre et reconnaissance du patrimoine montagnard
Mais revenons les pieds sur Terre. Le deuxième intervenant, Yannick Vialette, est doctorant au laboratoire PACTE. Il aborde la thématique sous la forme d’un questionnement : celui de la place de la médiation scientifique dans les pratiques de tourisme scientifique en montagne.
Laissons le nous raconter l’histoire entremêlée de la science et de la montagne. La montagne a tout d’abord existé grâce à la science, il s’agit même d’une invention scientifique, nous dit-il en citant « L’invention du Mont Blanc » de Philippe Joutard. Sans les expéditions originelles et les connaissances qui en découlent, il serait difficile de la définir, ce qui n’est pas sans rappeler le lien très fort entre le chercheur Genevois Horace Bénédict de Saussure et le Mont Blanc, plus haut sommet d’Europe. Mais tandis que De Saussure s’intéressait plus à la montagne comme objet physique, régit par des lois physiques comme par exemple la diminution de la pression avec l’altitude, le milieu montagnard est également un construit social dont l’étude scientifique fait appel aux sciences sociales.
Yannick Viallet situe l'apparition du tourisme scientifique à la fin du 19ème siècle, lorsque des publicités pour participer à des voyages scientifiques commencent à apparaître. A cette époque, de tels voyages étaient réservés à la haute bourgeoisie. Cette notion de tourisme scientifique n'est vraiment théorisée qu'à partir de 1989, lorsque deux universitaires effectuant leur recherche au Costa Rica réalisent qu'ils ne sont plus seulement des scientifiques, mais également des touristes scientifiques (Laarman et Perdue, 1989).
Aujourd’hui, quatre types de tourisme scientifique co-existent (Mao et Bourlon, 2011) : le tourisme d’aventure à dimension scientifique, le tourisme culturel à contenu scientifique, l’écovolontariat scientifique et le tourisme de recherche scientifique. Toutes ces formes de tourisme scientifique sont associées à différentes formes de médiation et de diffusion des connaissances rapportées par les touristes scientifiques, contribuant d’une manière ou d’une autre à la diffusion de la connaissance dans la population.
Dans sa thèse de doctorat, Yannick Viallet étudie l’impact du tourisme scientifique sur la perception de la montagne, de sa faune ou de sa flore, sur ces mêmes touristes d’un genre un peu particulier. Ses conclusions sur ces pratiques sont tout a fait positives, notamment que le tourisme scientifique permet de vivre une expérience qui développe la curiosité de ceux qui le pratiquent, mais que surtout il permet de mieux comprendre un territoire.
Article
rédigé par Lionel Favier, étudiant en master 2 de communication,
cultures scientifiques et techniques de l’Université Grenoble
Alpes.
Crédits photo:
Plus
d’informations sur les journées d’étude « Culture scientifique
et transition touristique : quels enjeux pour les territoires alpins
? » : https://maestro.hypotheses.org/1027
Quelques ressources complémentaires
Joutard P., « L'invention du Mont Blanc », 1986
Laarman G et Perdue R, « Science Tourism in Costa Rica », Annals of Tourism Research, 1989
Mao P et Bourlon F, « Le Tourisme Scientifique : un essai de définition », Téoros, Revue de recherche en tourisme, 2011