#AveCent : "Que sait-on vraiment de l'expression faciale des émotions ?"
Publié par Maison des Sciences Humaines Alpes (MSH-Alpes), le 16 février 2018 6.1k
Pour la 5ème conférence du cycle Avenue Centrale, la MSH-Alpes recevait Anna Tcherkassof, spécialiste des émotions (intervention filmée, disponible à la fin de l'article).
De récentes études remettent en cause une des théories de base (P. Ekman) sur les émotions, selon laquelle il n'existerait que 6 catégories d'expressions faciales. Mais alors si ce n'est pas 6, combien y en aurait-il ? Plus ? Moins ?
La chercheuse Anna Tcherkassof étudie ce sujet depuis plusieurs années, comme le montre son parcours universitaire et académique :
[ressource] #AnnaTcherkassof est docteur, maître de conférence (MdC) au laboratoire de #psychologie de #Grenoble. Elle étudie ls #émotions et ls #ExpressionsFaciales (#EFE). Sa thèse portait sur "La perception des expressions émotionnelles faciales" --> https://t.co/9wa47TVTEc
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[ressource] #AnnaTcherkassof est aussi membre de la Société Internationale de Recherche sur les #Emotions (The International Society of Research on Emotion) #ISRE https://t.co/OVWYqwV95O 👩🏫👩🔬👩💻
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Imaginez-vous : vous voilà en situation d'entretien pour un emploi. Le recruteur vous questionne, vous répondez... Mais vous ne pouvez vous empêcher d'examiner ses mimiques, à la recherche d'un signe ou d'une quelconque réaction positive ou enthousiaste. Vous espérez pouvoir "déchiffrer ses émotions" sur son visage. Pensez-y pour une prochaine fois : cette technique n'est pas valable. C'est ce que révèle la chercheuse dès le début de sa présentation.
A l'origine de cette "croyance" ; une théorie, d'après laquelle, il y a un circuit neuronal propre à chaque émotion, avec des effets physiologiques spécifiques et une réaction physique particulière. Par exemple : un ensemble de neurones fait ressentir la joie, entraînant alors une augmentation du rythme cardiaque et un sourire se dessine sur le visage.
Qui n'a pas vu le fameux film d'animation Vice-Versa de Disney (2015) https://t.co/9VXgunyPrM Dans ce film, 1 #émotion = 1 circuit cérébral dédié = 1 ressenti particulier = réponses physiologiques spécifiques = 1 comportement facial particulier. Mais est-ce aussi simple....?
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L' équipe d'Anna Tcherkassof s'est attelée à décrire l'activité faciale de plusieurs sujets pour les 6 émotions de base (colère, joie, tristesse, surprise, peur, dégoût) afin d'extraire toutes les manifestations qu'elles pouvaient prendre. En parallèle, les chercheurs ont distribué à des "observateurs" des photographies et la liste des 6 émotions de base : les participants devaient indiquer quelle émotion de la liste correspondait à l'expression faciale qui leur était présentée.
Résultat : les émotions sont correctement associées, et ce dans des cultures différentes (de sujets européens à des Papous de Nouvelle-Guinée).
Où est le problème alors ? Pourquoi douter de ces évidences ? Certaines anomalies lors des expériences ont amené les scientifiques à questionner leur protocole de recherche, à vérifier si celui-ci n'induisait pas involontairement des biais... notamment le fait de proposer des termes émotionnels à l'observateur. C'est comme si le chercheur proposait déjà des solutions et guidait la réponse du sujet. Cette même expérience a donc été refaite mais sans donner de liste.
Il a été demandé aux observateurs de dire si des visages de personnes différentes présentés par paires exprimaient la même émotion (Lindquist et al., 2006). Seules 42% des paires présentées ont été correctement appariées.
Autre expérience (Lindquist et al., 2014) : les participants devaient trier des photographies en autant de piles qu'ils le souhaitaient selon les émotions qu'ils observaient (normalement 6 pour les 6 émotions de base). Or, seules 3 piles ont été formées ; une pour les expressions faciales positives (joie), une autre pour les émotions neutres et une troisième pour les expressions faciales négatives (peur, colère, tristesse et dégoût).
En 2005, Anna Tcherkassof et son équipe ont demandé à des observateurs d'associer à des expressions faciales soit une émotion soit un comportement. Par exemple : soit cette personne "a peur", soit cette personne "a un mouvement de recul". Les chercheurs sont désormais fixés : le protocole dit "classique", à savoir proposer une liste d'émotions en même temps que les expressions faciales, biaise les réponses des sujets. Cet accès au savoir détermine en quelque sorte la reconnaissance des émotions de base. Si l'observateur ne dispose pas de noms d’émotion, il ne reconnaîtra pas aussi bien les expressions faciales.
Pas de nom = pas de reconnaissance ! (comme les bras & le 🍫) pic.twitter.com/4dL9TKLcUi
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Mais un autre biais est possible : les expressions faciales utilisées lors des expériences. Les chercheurs demandent à des sujets "acteurs" d'exprimer de la colère, de la joie, de la tristesse ; ces émotions sont donc "mimées idéalement" et les "comédiens" ne ressentent pas l'état émotionnel qu'ils émettent sur leur visage. Or, dans la vie quotidienne, observons-nous des archétypes d'émotions ou des expressions faciales spontanées ?
Des études portant sur des expressions faciales émises lors de situations réelles ont montré que les représentations que nous nous faisons des émotions de base sont largement erronées : une personne peut pleurer de joie (là les pleurs ne sont pas associés avec la tristesse), un sportif peut hurler de joie lorsqu'il inscrit un nouveau record (et non de rage).
Anne Tcherkassof a aussi démontré en 2013 qu'en situation réelle, nos visages émettent des comportements en continu. Or, cette cinétique est encore négligée par la recherche scientifique. La conception émotionnelle s'est focalisée sur des expressions faciales statiques et non dynamiques. Les mouvements et les postures sont également des éléments à prendre en compte dans les analyses d'expressions et d'émotions (lever les bras, taper du pied, tourner le visage, serrer les poings...).
Le contexte est aussi un facteur essentiel dans la compréhension des expressions faciales des émotions. Les rapports sociaux dans la vie réelle sont multiples (hiérarchiques, séduction, parental...) et ceux-ci vont affecter les expressions faciales. Par exemple, un représentant des forces de l'ordre sera certainement moins enclin à afficher un sourire de par son statut envers ses concitoyens qu'un commerçant.
[ressource] En 2014, #AnnaTcherkassof a co-écrit un article sur les #émotions dans la revue l'Année Psychologique « Les émotions : une conception relationnelle » --> https://t.co/ikf7lv3Lt5 @cairninfo 📚
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CONCLUSION en 3 points :
- Les émotions ne s'affichent pas de façon prototypique.
- Une émotion n'est pas produite par un circuit neuronal particulier.
- Il ne sert à rien de relier des mouvements physiques à une émotion : les mouvements n'ont pas de signification unique (cf. contexte).
Malgré ces avancées de la recherche, des pays et de grandes entreprises (Facebook, Google...) investissent des millions de dollars dans la recherche en reconnaissance automatique, d'autres vous proposeront des formations pour "décoder" les expressions faciales émotionnelles... Le "langage" corporel et émotionnel ne se décrypte pas. Mais que cela ne vous empêche pas d'apprécier encore des séries comme Lie to me par exemple ! Tout reste possible dans une fiction !
Public, fait attention 💢‼️: certains charlatans peuvent essayer de nous faire croire que l’on peut apprendre à décrypter le « langage » corporel émotionnel. Or, cela est TOTALEMENT faux comme l'a montré #AnnaTcherkassof 💵💸💸🛒 pic.twitter.com/KourBpeCRe
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Rédacteur : Mathilde Chasseriaud, pour la MSH Alpes
Visuel principal : Wikimedia Commons