La Nuit des idées 2017 : regards croisés Sfax - Grenoble
Publié par Nathalie Moyon, le 3 février 2017 2.9k
Dans leur pays respectifs, les villes de #Grenoble et de #Sfax sont toutes deux pilotes à leur manière sur les questions de transition écologique. Municipalités, universités et acteurs économiques foisonnent de projets pour mettre en œuvre la "ville verte" de demain. Mais pour être désirable, il reste encore souvent pour ces villes à convaincre les populations que les projets se feront au bénéfice de tous et viendront conforter une cohésion sociale partout à l'épreuve.
C'est autour du thème "ville verte et cohésion sociale" que les sfaxiens se sont retrouvés lors de cette "Nuit des idées", jeudi 26 janvier 2017. A l’initiative de l'Institut Français, l'évènement d'ampleur internationale (voir la carte) a fait salle comble pour sa première édition à Sfax. La Maison de France a permis de rassembler 70 participants environ, pour des échanges riches et constructifs, dans une atmosphère conviviale et musicale.
Deux invités grenoblois - Nathalie Moyon (Ville de Grenoble), et Jean-Michel Roux (Institut d'Urbanisme de Grenoble) - ont contribué encore un peu plus à la coopération entre ces deux villes jumelées depuis 40 ans. Aux côtés des chercheurs et universitaires Khaled Medhioud ( IPEIS), Ali Bennasr ( Université de Sfax) et Robert Arfi (IRD), les présentations des invités ont permis de mettre en exergue les défis actuels mais également des projets ambitieux pour des villes plus vertes et solidaires. Reprenant les points-clés des échanges, l'intervention de Jean-Michel Roux a clos la soirée; retrouvez ci-dessous sa retranscription.
Retrouvez également les VIDEOS du direct : Facebook de la Maison de France à Sfax.
Ainsi que d'autres photos de Sfax : Facebook de Grenoble ville de demain.
Pour en savoir plus sur la coopération Sfax-Grenoble : site internet de la Ville de Grenoble.
Synthèse en direct par J.-M. Roux, urbaniste, Directeur de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble
Les présentations des quatre intervenants et les débats qui en ont découlé ont permis d’évoquer une évolution des rapports entre l’homme et son environnement sur le temps long. Un temps en trois grandes séquences :
- le temps préindustriel, depuis la « nuit des temps » jusqu’à la révolution industrielle, et qui se caractérise par la figure du cercle ou du cycle . Le monde était alors en capacité de se réguler tout seul, de se régénérer, sur des temps plus ou moins long. Il y avait à l’échelle du climat, l’ alternance cyclique des périodes de glaciation et de réchauffement. A l’échelle urbaine, les villes étaient closes, entourées de murs, séparant nettement un dedans (urbain) d’un dehors (rural) et ordonnant les activités. La ville s’arrêtait aux murailles de la Médina à Sfax, de l’ enceinte romaine à Grenoble. A l’échelle de la végétation, les cycles végétatifs assuraient un entretien autonome des plantes. Les feuilles tombaient, se décomposaient et nourrissaient à leur tour l’arbre.
- Le temps de la Révolution industrielle au XIXe siècle et le temps du progrès au XXe, ont rompu définitivement l’équilibre. Notre monde n’est plus clos, unitaire, cyclique. Il prend la figure de la ligne infinie. Ce monde est marqué par la fuite, fuite des réseaux (gâchis de l’eau) ou fuite en avant de l’humanité qui refuse de voir les dégâts irréparables qu’elle commet. Le climat se dérègle et ne reviendra plus en arrière. Les réseaux, infrastructures hautement techniques, ne fonctionnent plus sur l’idée du cycle des ressources mais sur celle du rejet ultime en bout de chaîne. On déverse les eaux usées ou les déchets industriels dans la mer ou la nappe, avec conséquences mortifères pour les milieux aquatiques. On remplit de 500 tonnes de déchets/jour les casiers de la décharge de Sfax. La ville n’a plus de limite. Elle s’étale à l’infini, franchissant allégrement les limites physiques de la Médina puis celles, plus symbolique, de la rocade du km 11.
- Le temps d’aujourd’hui et si possible de demain pourrait être celui de la transition écologique. Les hommes ont, semble-t-il, conscience que le 2 e temps a fait son temps et qu’il convient d’essayer de remédier à la situation bien que nous sachions déjà que nous ne pourrons tout au plus que limiter les hausses de température. Nous cherchons à revenir à la figure du cercle ; à la figure du cercle vertueux . Mais comment passer du rejet au recyclage, à la réinjection, à la redynamisation ? Comment considérer qu’il n’existe pas de déchet mais une ressource qu’on ignore ? Comment faire du déchet une ressource, c’est-à-dire à la fois un bien (commun ?) mais aussi un retour à la source ?
Intervenants et participants ont évoqué que la transition écologique ne sera possible que si, les hommes, individuellement, prennent conscience de ce qui se passe et se lancent dans une introspection salutaire. Collectivement ils devront faire appel à leur raison et au bon sens. Le « pessimisme actif » de certains leur fait dire que la raison n’y suffira pas et que les États devront garantir un droit à un environnement sain au nom de la justice climatique.
Intervenants et participants ont fait appel à l’invention de nouvelles formes de gouvernance des villes, les modèles hiérarchiques et fonctionnalistes ne fonctionnant plus. Ces nouvelles formes de gouvernance impliqueraient que nous soyons en capacité de travailler de manière transversale, horizontale, réticulaire. La coopération internationale des villes entreraient pleinement dans cette logique. Ces nouvelles formes de gouvernance impliqueraient aussi des attitudes d’entrée en action : l’acceptation de la controverse et du débat sur les enjeux sociétaux et de la transparence et de l’évaluation au fil de l’eau des projets.
Les projets qui ont été exposé (grenoblois de la mission « Ville de demain », sfaxiens sur le compostage des déchets industriels et ménagers) relèvent de ces nouvelles formes de gouvernance. Ils montrent qu’une réduction massive de la production de déchets est possible et que leur valorisation sous forme de compost ou de biogaz est à portée de main. Ils montrent aussi les injonctions paradoxales de la transition écologique : chercher à valoriser le déchet d’un côté… tout en essayant de le faire disparaître de l’autre !