Quand les ados font des vagues
Publié par Mariana Rocha, le 14 octobre 2018 1.4k
C’est toujours intéressant de changer de perspective dans la vie. Ancienne doctorante au LEGI (Laboratoire d’Écoulements Géophysiques et Industriels, pour ceux qui ne connaissent pas), je me suis trouvé cette année du côté des élèves du master de CCST (Communication et Culture Scientifique et Technique) à devoir faire la communication sur une visite de labo pendant la Fête de la Science sur le campus de l’UGA (Université Grenoble-Alpes). Bien évidemment, je me suis tout de suite dit : « Tiens, c’est l’opportunité parfaite d’aller voir comment va se débrouiller le doctorant qui travaille actuellement avec mon canal à houle pour montrer aux jeunes que c’est effectivement le plus magnifique canal à vagues au monde. ». Il n’y a plus le sable rouge qu’on pouvait regarder à travers les énormes vitres de 150 kg se faire bouger par les trains de vagues (c’était quand même le plus beau, au final!), il y a du bruit de machines de partout dans le hangar et les ados, il faut l’avouer, n’ont jamais été un public facile. Voyons donc ce qui s’est passé.
La visite d’une classe de troisième du Collège Jeanne d’Arc arrive. Ils sont 23 et naturellement blasés, ce sont bien des vrais ados. Ivan, le fameux doctorant, est assis en équilibre sur un bord du canal à environ 2 m d’hauteur. Bien joué, tout le monde le voit et en plus il a l’air cool. Les ados se disent que ça veut peut-être la peine d’entendre ce qu’il y a à raconter. Profitant de cet intérêt initial, Ivan leur parle des vagues, de comment elles se forment et pourquoi on s’y intéresse. Au bout de quelques minutes, il a gagné une bonne partie de son audience et c’est enfin le moment de montrer ce qu’on peut faire avec un super canal à houle de 36 m, qui faute de ne plus avoir les beaux sédiments rouges, a maintenant un batteur sur chaque extrémité plus une machine qui souffle du vent pour créer des vagues autrement. Il montre les sondes qu’il utilise pour mesurer la hauteur des vagues et l’ordinateur avec lequel il décide le type de vague à créer : des vagues irrégulières (différentes hauteurs et longueurs), et des monochromatiques (toutes les vagues du train se ressemblent) passeront à son tour devant les yeux curieux des élèves. Il peut faire varier la hauteur et aussi la période des vagues (l’intervalle de temps entre le passage de deux crêtes consécutives). Les jeunes ont aussi l’opportunité de tester eux-mêmes l’effet des vagues sur les sédiments en laissant tomber progressivement des grains de sable rouge sur l’eau et en observant leur mouvement au passage des vagues. Pour les moins proactifs, il y a toujours le petit canard jaune et l’orque qui flottent : les flotteurs parfaits pour comprendre qu’au passage d’une vague un objet qui flotte en surface se déplacera principalement de forme circulaire et se trouve donc à sa position initiale une fois la vague passée.
Si maintenant le canal a deux batteurs, ce n’est pas pour rien ! Ivan explique aux jeunes qu’il travaille sur l’interférence entre différentes vagues. Ça veut dire quoi ? Que quand deux vagues qui ont des vitesses différentes se rencontrent elles peuvent générer une autre vague plus importante. À quoi ça sert ? À comprendre et prévoir les mythiques vagues scélérates, des vagues géantes (d’une vingtaine de mètres ou plus !) qui font les cauchemars des marins depuis le début des temps et qui ont un riche palmarès en navires chavirés. Ah ! On parle de catastrophe, ça intéresse tout de suite les ados. Ils observent donc avec intérêt le point de convergence le long du canal, où deux vagues se propageant vers des directions complètements opposées se retrouvent, ce qui provoque une vague déferlante en pleine eau profonde. Ah ! C’est donc comme ça que ça se passe dans les océans…
Comme on ne peut pas parler de vagues spectaculaires sans parler de tsunami, Ivan fait descendre une plateforme-plage improvisée exprès pour l’occasion. Les jeunes ont l’opportunité d’observer comment un tsunami, qui finalement est une vague de très petite hauteur en eau profonde, a une hauteur plus importante et représente surtout une masse d’eau considérable sur la côte, à cause de sa longueur d’onde (distance entre deux crêtes consécutives) très importante (supérieur à la centaine de kilomètres!).
Comme il n’a pas (heureusement !) que des tsunamis qui déferlent sur les côtes, on observe aussi comment et pourquoi une vague déferle sur une plage : en arrivant dans une zone moins profonde, elle ralenti d’abord sa vitesse proche du fond, ce qui fait que le haut de la vague se précipite vers l’avant « et tombe », se transformant en vague déferlant puis en rouleau. On s’aperçoit que chaque vague qui déferle engendre une montée d’eau sur la plage, qui redescend après, entraînant un courant de retour sous les vagues qui continuent d’arriver.
Pendant la visite, les jeunes ont donc pu observer comment marche un canal à houle, ce que les chercheurs en font (et pourquoi !) et la dynamique des vagues. Ils ont même eu la chance de visiter le bureau d’Ivan, preuve absolue de l’amour d’un chercheur à sa recherche : il est installé dans la caféterie-underground du bâtiment, alors qu’il aurait pu avoir un vrai bureau plus loin. Mais il s’est dit que comme ça il est juste à côté de son canal et il peut donc surveiller ses caméras de plus près et les vagues qui passent devant.
J’ai eu la chance de parler avec quelques élèves et, comme pour tout bon groupe d’ados, les opinions couvrent un large spectre. Je suis contente de voir que le bas du spectre reste sur l’indifférent (ça aurait pu être l’horrible !) et que la moyenne et le haut du spectre penchent plutôt vers le « C’était intéressant » ou « C’est bien de pouvoir sortir et c’est mieux que les cours », ou même « C’est bien d’avoir un peu de culture générale et d’apprendre des choses différentes » … et bien évidemment « On a bien aimé voir le tsunami! ». Le professeur a avoué que c’était très intéressant, surtout que le sujet en question c’est un petit plus par rapport aux programmes classiques de sciences physiques qui étudient rarement ces phénomènes, et qui peut-être en classe il sera possible de rebondir là-dessus.
Selon deux élèves et le professeur, si on devait résumer la visite en une phrase ce serait :
Le fonctionnement des vagues.
Comment les vagues bougent t'elles?
Agréable et enrichissante.
Je crois donc que le bilan global de la rencontre entre chercheurs et jeune public est surtout positif et j’espère que de plus en plus de chercheurs accepteront ce défi : l’époque de la boîte noire de la recherche est finie, il faut l’accepter, et tant mieux.