Pourquoi mettre en avant ses bénéfices pour la santé ne suffit pas à promouvoir une activité physique régulière
Publié par Echosciences Grenoble, le 17 juillet 2023 830
Silvio Maltagliati, Doctorant - Agrégé d'Éducation Physique et Sportive, Université Grenoble Alpes (UGA); Boris Cheval, PhD. Neuropsychologie de l'activité physique, Université de Genève; Layan Fessler, Doctorant au Laboratoire Sport et Environnement Social (Université Grenoble Alpes), Université Grenoble Alpes (UGA); Maël Lebreton, Senior research associate, Docteur, Université de Genève et Philippe Sarrazin, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA) - Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Le constat n’est, certes, pas nouveau : l’activité physique est bénéfique pour notre santé… Dès 1953, l’épidémiologiste britannique Jeremy Morris apportait les premiers éléments de preuve à ce sujet. Il démontrait en effet que les conducteurs des bus rouges londoniens, assis durant 90 % de leurs trajets, présentaient un risque d’attaque cardiaque environ deux fois supérieur à celui de leurs collègues contrôleurs, qui eux, se déplaçaient entre les étages des fameux véhicules.
Depuis, les études épidémiologiques n’ont cessé de confirmer cette relation positive entre activité physique et santé – une association pouvant en partie s’expliquer par le rôle anti-inflammatoire et immunoprotecteur de l’exercice. Une augmentation de seulement 10 minutes d’activité physique d’intensité modérée à vigoureuse par jour pourrait sauver la vie d’environ 100 000 habitants des États-Unis chaque année.
Un remède « miracle » ? Oui, mais…
S’appuyant sur ces solides arguments, de nombreux messages de santé publique exhortent la population à être plus active physiquement, à l’instar du fameux slogan « manger, bouger ».
De prime abord, ces campagnes semblent efficaces : la plupart des personnes disent aujourd’hui connaître les bénéfices d’une activité physique régulière et déclarent avoir l’intention d’adopter un mode de vie physiquement actif.
Pourtant, en France, comme dans la plupart des pays du globe, les niveaux d’activité physique n’ont jamais été aussi bas et le temps sédentaire (activités réalisées en position assise ou allongée, avec une dépense énergétique équivalente à celle au repos) grimpe en flèche, chez les plus jeunes notamment. Aujourd’hui, 80 % des adolescents sont insuffisamment actifs à travers le monde et la durée quotidienne consacrée aux activités sédentaires a augmenté de 30 minutes par jour au cours des 15 dernières années.
Ce décalage entre louables intentions et actions véritables nous amène à l’interrogation suivante : vanter les bénéfices de l’activité physique pour la santé constitue-t-il un moyen efficace pour changer les comportements des personnes ?
La prise de décision, cause de tous nos maux
Comme dans les autres domaines de la vie, le choix d’aller courir plutôt que de regarder la télévision repose sur des processus décisionnels complexes que notre équipe de recherche multidisciplinaire tente de mieux comprendre.
En économie comportementale, en neurosciences ou en psychologie, la plupart des modèles théoriques s’accordent sur l’idée que nos décisions reposent sur la valeur subjective attribuée aux alternatives comportementales qui s’offrent à nous. Ainsi, plus la valeur attribuée à une alternative est élevée, plus la probabilité de la sélectionner augmente. L’utilisation des escaliers, dont les retombées pour la santé semblent évidentes, devrait constituer une option plus attractive que celle des escalators toujours encombrés… La santé n’est-elle pas notre bien plus précieux ?
Trois facteurs impliqués dans la prise de décision nous mènent à un tout autre constat. La quantité d’effort à fournir (effort-discounting) et le temps qu’il faut attendre (delay-discounting) pour obtenir ces bénéfices, ainsi que les biais cognitifs de distorsion des croyances (belief distorsion), diminuent de manière drastique la valeur subjective attribuée aux bienfaits de l’activité physique.
- Premier paramètre : les bénéfices sur la santé ne sont obtenus qu’après avoir investi une quantité importante d’effort tout au long de sa vie. Or, en suivant la loi du moindre effort, un tel niveau d’investissement risque de fortement dévaluer la valeur attribuée aux bénéfices attendus. Une estimation rapide l’illustre bien : pratiquer les 150 minutes d’activité physique hebdomadaire préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au cours de sa vie d’adulte (entre 20 ans et 80 ans) reviendrait à passer environ 325 jours (nuits incluses) à courir après une meilleure santé. Un effort que d’aucuns pourraient trouver « excessif » pour espérer gagner entre 0,4 à 4,2 ans d’espérance de vie.
- Second paramètre : la valeur subjective attribuée aux bénéfices de l’activité physique est réduite en raison de leur nature différée dans le temps et intangible. Depuis le test du marshmallow réalisé par Walter Mischel en 1972 auprès d’enfants, on sait que la perspective d’obtenir une récompense immédiate et tangible est souvent plus attractive que la perspective d’une gratification plus importante et différée dans le temps. Cette tendance s’applique aux différents âges de la vie, mais on imagine particulièrement mal un adolescent s’engager durablement dans une pratique physique si sa seule source de motivation consiste en de meilleures capacités respiratoires ou en la préservation de ses fonctions cognitives futures.
- Troisième paramètre : les effets de l’activité physique sur la santé ne sont pas à l’abri de biais cognitifs susceptibles de réduire leur valeur subjective. En particulier, les mécanismes de distorsion des croyances font que nous avons tendance à traiter les informations en désaccord avec nos préférences ou croyances avec un « scepticisme motivé ». Emblématique de ces biais, une étude révèle que sur 16 fumeurs souffrant d’un cancer des poumons, seulement 2 attribuent la cause de leur maladie au tabagisme. On peut supposer l’existence d’un phénomène identique pour l’activité physique : une tendance à sous-estimer ses bienfaits sur la santé et à considérer, avec optimisme, que quelques heures supplémentaires passées devant la télévision n’auront que peu d’influence. La probabilité d’attribuer rétrospectivement la survenue d’un problème de santé à un manque d’activité physique semble aussi plutôt mince.
Ces trois paramètres fondamentaux affaiblissent la valeur subjective attribuée aux bénéfices sur la santé, expliquant en retour la faible efficacité des messages ciblant uniquement ces bienfaits. Développer ce motif comme seule raison de pratique risque de susciter un engagement fragile, car seulement tenu à la force d’une volonté que l’on sait faillible…
Les bonnes résolutions du 31 décembre sont un exemple concret : pratiquer un sport pour ses bienfaits ou soigner son apparence physique n’empêche pas les salles de fitness de se vider dès le mois de février… D’autant que les tentations sédentaires, omniprésentes, offrent à l’inverse des récompenses certaines, immédiates, et n’exigeant aucun effort.
Le plaisir, principe actif de la décision
Le modèle que nous avons développé insiste sur l’importance d’intégrer, dans les campagnes de promotion de l’activité physique, d’autres conséquences positives que les bénéfices sur la santé.
Le plaisir procuré par l’activité physique est notamment identifié comme un élément clé d’un engagement pérenne. Il est pourtant oublié lorsqu’il s’agit d’inciter la population à bouger davantage. Illustrant parfaitement ce point, les recommandations de 2020 de l’OMS en matière d’activité physique mentionnent le mot « santé » plus de 200 fois… et « plaisir » zéro fois !
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Reprenant les trois facteurs clés de la prise de décision, prendre du plaisir en courant, pédalant, nageant ou en sautant pourrait pourtant susciter des modes de vie physiquement actifs, maintenus dans le temps et à travers les contextes.
Vivre des expériences affectives positives en pratiquant de l’activité physique permet d’abord de diminuer le coût de l’effort perçu. Les alternatives dans lesquelles les individus se sentent immergés ou qui sont en harmonie avec leurs valeurs sont perçues comme moins coûteuses en termes d’effort à fournir. De plus, le plaisir que peut procurer l’activité physique constitue une récompense immédiate dont les effets tendent à se prolonger dans une fenêtre affective courte (diminution de l’anxiété, amélioration de la vitalité, de la qualité du sommeil).
Enfin, à mesure que se développe une relation de plaisir avec l’activité physique, les croyances concernant ses bénéfices peuvent se renforcer. Moteur d’un cercle vertueux, il semble davantage tenable de croire en des bienfaits possibles lorsque le comportement qui en est la cause est perçu comme agréable.
En somme, éprouver (ou s’attendre à éprouver) du plaisir en étant actif réduit la perception de l’effort, offre une récompense immédiate et consolide les croyances positives à l’égard de l’activité physique. En ajoutant le plaisir dans la balance décisionnelle, la valeur subjective associée à l’activité physique devrait être augmentée et ainsi favoriser l’alignement entre intention et action.
Soignons la qualité de notre activité physique
Il peut cependant sembler naïf de considérer que tous les individus, indépendamment de leur trajectoire de vie, éprouvent du plaisir en étant actif physiquement.
Mais le fait que les expériences affectives procurées par le mouvement soient, pour partie, sous le contrôle des personnes donne de bonnes raisons d’espérer. Par exemple, une étude montre que le simple fait de rappeler aux participants de « maximiser » le plaisir ressenti lors d’une session de marche sur tapis permet de vivre un moment plus positif.
De même, une session d’activité physique offre une multitude de paramètres sur lesquels il est possible de jouer pour ressentir des affects plus positifs. Se mouvoir dans un environnement cher à nos yeux, en bonne compagnie et au moment où le soleil se couche, écouter une musique entraînante, sélectionner un type d’exercice physique et une intensité qui nous soient agréables : autant de paramètres à soigner pour vivre une activité physique qui ne se résume plus à ses bienfaits pour la santé ! Les professionnels de l’exercice physique (enseignants d’éducation physique et sportive et d’activité physique adaptée) jouent ici un rôle capital pour accompagner chaque personne dans la recherche d’émotions plaisantes.
Silvio Maltagliati, Doctorant - Agrégé d'Éducation Physique et Sportive, Université Grenoble Alpes (UGA); Boris Cheval, PhD. Neuropsychologie de l'activité physique, Université de Genève; Layan Fessler, Doctorant au Laboratoire Sport et Environnement Social (Université Grenoble Alpes), Université Grenoble Alpes (UGA); Maël Lebreton, Senior research associate, Docteur, Université de Genève et Philippe Sarrazin, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.