FDS 2024 - Houle, onde de Yanaï, tsunami… Quelle onde de l’océan êtes-vous ?
Publié par Marion Sabourdy, le 26 novembre 2024 480
Pour la Fête de la science 2024, les chercheurs grenoblois de l’équipe Modélisation des écoulements océaniques multiéchelles (MEOM) et plus largement de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) se sont mobilisés, avec divers ateliers de médiation à destination des scolaires et du grand public, dans le cadre du festival Eclats de sciences, porté par l’Université Grenoble Alpes. Parmi ces animations figure une proposition étonnante : un quiz pour découvrir l’onde de l’océan qui correspond le plus à votre personnalité ! Rencontre avec Valentin Bellemin Laponnaz, doctorant dans l’équipe MEOM et concepteur du quiz.
Quel est ton parcours et ton sujet de thèse Valentin ?
J’ai fait l’école d’ingénieurs ISAE-SUPAERO à Toulouse où je me suis spécialisé en ingénierie spatiale pour l’observation de la Terre. Je suis actuellement en thèse au sein de l’équipe MEOM, sur des questions de cartographie de la dynamique de l'océan de surface. En effet, Grenoble a une spécialité autour de l’observation des océans par satellite, qui s’avèrent être des outils exceptionnels pour surveiller notre planète Terre.
Pour ma part, je travaille sur la marée interne, ce mouvement présent dans les océans qui se produit par interaction entre la marée barotrope, celle qu’on connaît, et le relief sous-marin. Sous l’action de la marée interne, les masses d’eau de l’océan se déplacent verticalement et cela crée des échanges verticaux de chaleur et de CO2. En ce sens, comprendre ce phénomène est primordial pour étudier l'impact du réchauffement climatique sur les océans.
Je m’intéresse notamment à la reconstruction des signaux de cette marée interne à partir de données satellite de hauteur de surface de mer, obtenues via la mission spatiale SWOT (Surface Water Ocean Topography).
Le satellite SWOT mesure la hauteur de surface des océans. Néanmoins ces données sont lacunaires et nécessitent d’être interpolées. Crédit : Nasa / JPL-Caltech
Comme les mesures par satellite sont toujours lacunaires, si on souhaite étudier une zone complète de l’océan ou bien l’océan en entier, on doit interpoler la donnée, c’est-à-dire la déduire là où elle n’a pas été mesurée. Le défi majeur est de réussir à séparer le signal de marée interne du reste des signaux de l’océan, qui se matérialisent sous la forme de tourbillons et de méandres.
Pour ce faire, je m’appuie sur les différentes caractéristiques des ondes de l’océan, comme leur vitesse ou leurs différentes longueurs d’onde. Car oui, il existe un grand nombre d’ondes dans l’océan et on a des modèles pour chacune d’entre elles, afin de les reconstruire de manière optimale. Mieux connaître pour mieux reconstruire, telle est ma devise !
Les cartes du mouvement de surface de l’océan sont d’ailleurs publiées chaque jour sur le site de Copernicus (le programme européen d’observation de la Terre), avec d’autres variables d’intérêt majeur (température, salinité…). Ces données intéressent tous les acteurs du monde marin : les capitaines de bateaux, les pêcheurs, les sauveteurs en mer et bien sûr les chercheurs scientifiques, comme les climatologues par exemple.
La Fête de la science 2024 était-elle ta première expérience de médiation ?
Pas vraiment ! Petit, j’ai souvent pris part à des projets de médiation scientifique, lors de la Fête de la science ou avec les Petits Débrouillards, c’est ce qui m’a donné goût pour la vulgarisation. En 2020, j’ai eu la chance de participer à une mission analogue martienne dans un cadre étudiant. Pendant trois semaines, on a vécu avec mes camarades comme des potentiels participants à une mission martienne. A cette occasion, on a fait beaucoup de vulgarisation sur l’exploration spatiale auprès d’établissements du réseau d’éducation prioritaire de l’académie de Toulouse. Cela a été par exemple l’occasion d’évoquer la mission InSight, centrée sur l’écoute des séismes sur Mars.
Arrivé dans l’équipe MEOM, j’ai eu envie d’en faire de nouveau. J’ai commencé par un atelier sur la visualisation de données océanographiques grâce à des capteurs embarqués sur des animaux, auprès de collégiens qui viennent faire leur stage de 3ème. J’ai pris ça de plus en plus au sérieux. Avec d’autres personnes de l’équipe, on a créé des expériences, comme notre cuve à ondes, qui représente les ondes de marée interne dans l’océan.
Valentin en pleine médiation avec une maquette réduite du phénomène de marée interne, lors de l’événement Éclats de sciences, par l’Université Grenoble Alpes. Crédit : Visée.A pour la Fête de la science AURA
La vulgarisation au sein de l’IGE est assez présente, de part l’intérêt croissant du public pour le réchauffement climatique. Mais jusque-là, les océanographes étaient un peu en retrait par rapport aux glaciologues, qui ont plein de maquettes sympas à présenter.
On avait le projet de développer un peu plus la vulgarisation au sein de l’équipe et la thématique “Océan de savoir” est venue dynamiser tout cela et nous a entrainés à être créatifs. Je me suis impliqué dans cette dynamique, qui est tout aussi importante pour moi que mon travail de thèse. Je suis reconnaissant envers mes encadrants de thèse Emmanuel Cosme et Eric Blayo, qui me permettent de m’impliquer dans ces projets, qui donnent un sens à mes recherches.
Parmi les nouveaux formats que vous avez développés en 2024, il y a donc un quiz autour des ondes de l’océan. D’où t’est venue cette idée ?
Alors je tiens à préciser tout de suite qu’on n’a rien inventé ! Ce quiz existait déjà pour les particules élémentaires, en physique. Il s’agit du quiz “Particles identities” créé par le CERN. Le format est simple : le participant répond à une série de 4 ou 5 questions sur sa personnalité, qui permettent de déterminer la particule qui lui “correspond” le plus. Une équipe de physiciens d’Annecy était venue présenter ce quiz aux élèves lors des Tribulations savantes, il y a 2 ans. L’année dernière, j’ai entendu parler d’un autre quiz : “Quel type de dinosaure êtes-vous ?”, alors je me suis dit qu’on pouvait réaliser l’équivalent pour l’océan, car le contenu physique s’y prête vraiment.
Cliquez sur l’image pour faire le quiz !
Pourquoi ce format ?
L’approche du quiz permettait, notamment pour un public jeune, d’aborder nos thématiques sous le prisme du jeu et de trouver un prétexte pour parler des ondes de l’océan, de la diversité de leurs dynamiques et de notre travail en tant qu’océanographe..
En animant ce quiz, on tire un parallèle entre la complexité des ondes de l’océan et celle des profils psychologiques des participants. Les participants s’identifient à une onde rapide, une onde cachée, une onde influencée par la météo… Ça permet de leur parler plus facilement des ondes, de leurs caractéristiques, des influences qu’elles subissent comme le vent et de la manière dont on les observe par exemple avec les satellites, comme dans le cadre de ma thèse.
Comment s’est passée la conception de ce quiz ?
J’ai présenté l’idée lors de notre séminaire d’équipe annuel. Il y avait une session sur la vulgarisation scientifique et sur la manière d’expliquer notre métier d’océanographe à Grenoble, ce qui mérite d’être souligné. L’idée a pris et on a commencé à travailler dessus au début de l’été 2024 avec trois collègues, dont un motivé notamment par le côté ludique et graphique du projet, qui a réalisé les dessins des ondes.
Cela n’a pas été simple de choisir les ondes qu’on gardait pour le quiz (11 parmi de nombreux types), de les caractériser et de faire le parallèle avec un profil psychologique. On a décidé de partir des caractéristiques physiques des ondes, pour ensuite les transposer à des profils psychologiques qui nous paraissaient évidents.
Pour son quiz sur les particules, le CERN faisait la distinction sur les niveaux d’énergie ou la polarisation. Nous nous sommes concentrés sur la vitesse, la taille des ondes, sur le fait qu’elles soient observables ou non ; une onde cachée pouvait être assimilée à de la timidité.
On a rédigé les questions et les réponses du quiz, les fiches qui présentent chaque onde et mon collègue Hugo Jacquet a dessiné les logos [retrouvez les fiches et les illustrations ici].
Fiches récapitulatives des différents types d’ondes proposés dans le quiz. Crédit : Marion Sabourdy
J’ai ensuite réfléchi à la manière de réaliser concrètement le quiz. Au départ, je pensais coder moi-même une application dédiée et l’héberger sur le site de notre équipe… mais ça m’aurait pris énormément de temps. Et en participant aux portes ouvertes du tiers-lieu Le Shadok à Strasbourg, j’ai découvert la plateforme Moiki, qui permet de créer et d’héberger des histoires interactives, du type “histoire dont vous êtes le héros” et qui a été une vraie aide pour la réalisation du quiz. Par chance, l’éditeur se prêtait bien au test de personnalité.
Comment le quiz a-t-il été reçu ?
On a d’abord fait un bêta-test auprès de nos collègues, pendant notre séminaire d’équipe hebdomadaire. Ils ont été très réceptifs. Ils ont passé le test une première fois de manière sérieuse puis, chose amusante, tout le monde l’a refait, parfois 2 ou 3 fois d’affilée, pour tenter d’obtenir un profil psychologique particulier.
Je pense que c’est lié à notre démarche scientifique : vouloir tout tester pour comprendre le mécanisme derrière le quiz, comment il a été conçu. Cela nous a permis de vérifier si le quiz était bien équilibré et de retravailler certaines questions que les collègues ne trouvaient pas forcément appropriées.
Le vrai grand test, c’était pendant la Fête de la science, auprès des scolaires les jeudis 10 et vendredi 11 octobre, ainsi que le grand public sur la pause déjeuner. En général, le quiz en lui-même prenait 3 minutes et on leur parlait pendant 3 à 5 minutes, on commentait leurs résultats et on leur offrait un pin’s correspondant à leur onde.
La question incontournable : quel type d’onde es-tu ?
Je suis une onde sonore ! Ce n'est pas le type d’onde dont on entend le plus parler dans l’océan mais il y en a partout, des cris des mammifères marins aux bruits des bateaux, en passant par les vibrations générées par les éoliennes offshore qui impactent tristement la faune marine. L’onde sonore est rapide, cachée, elle a une petite longueur d’onde.
Certaines personnes ont fait le test plein de fois pour pouvoir être des tsunamis et avoir le badge, sans même savoir au préalable si cette onde était prévue dans le quiz !
Pin’s représentant les différents types d’ondes proposés dans le quiz. Crédit : Marion Sabourdy
Et quel type d’onde apparaissait le plus ?
Finalement, le profil qui ressortait le plus, c’était l’onde de Yanaï, une onde complexe à observer et catégoriser. Les chercheurs les plus expérimentés, ceux qui s’y connaissent le plus en dynamique de l’océan ont eux-mêmes parfois du mal à expliquer ce qu’est ce type d’onde. Alors quand les ados avaient ce résultat, ils étaient amusés et n'arrêtaient pas de répéter à leurs professeurs en brandissant leur pin’s : “vous avez vu, je suis une onde de Yanaï, j’ai une personnalité complexe !”. C’est ce qu’on cherchait : les intéresser de manière ludique. Ça montre qu’ils avaient retenu le message principal, à savoir que les ondes sont multiples et variées… un peu comme nous tous !
Pour aller plus loin :
- Pour en savoir plus sur le sujet de thèse de Valentin : “Cartographie globale et méso-échelle de la dynamique de l'océan de surface”
- Emission le Mag des sciences, sur RCF-Isère du 16 octobre avec Valentin
- Lire aussi l’article “Fête de la science 2024 - Eric Blayo, un océan de calculs”
Crédits illustration principale : Photo par Matt Hardy / Unsplash, illustrations ondes par Hugo Jacquet (équipe MEOM)