Expédition 5300, l’étude des effets de l’hypoxie sur l’organisme - La Méthode scientifique

Publié par Marion Sabourdy, le 14 janvier 2020   3.7k

Le 10 janvier dernier, Marion Sabourdy, chargée des nouveaux médias à La Casemate, a participé à l’émission de radio “La Méthode scientifique” sur France culture. Elle y a présenté les derniers résultats de l’Expédition 5300. Découvrez la chronique en podcast et plus d’infos en texte ci-dessous.

Le podcast

La chronique sur Expédition 5300 débute à 33:26 et s’achève à 46:56


Quelques infos sur Expédition 5300

Expédition 5300, pour “5300 mètres”. C’est l’altitude de la ville de La Rinconada au Pérou, dans la Cordillère des Andes, non loin de la frontière avec la Bolivie. La Rinconada est une ville minière située à flanc de montagne et surplombée par un énorme glacier. 50 000 habitants y vivent toute l’année, quasi-exclusivement des mineurs et leurs familles, vivant dans des conditions de vie très difficiles (pas de collecte de déchets, pas d’eau courante ni de tout à l’égout).

Il est normalement impossible de vivre en permanence à cette altitude, où il y a moitié moins d’oxygène qu’au niveau de la mer. A titre de comparaison, en Europe, les plus hauts villages et villes habités toute l’année sont situés en-dessous de 2200 / 2500 m.

Dans le monde, 140 millions d’habitants vivent tout de même au-dessus de 2500 m. On savait déjà qu’une partie de ces populations - les Andins en Amérique du Sud, les Sherpas au Tibet ou encore les Ethiopiens des hauts plateaux - avaient développé des particularités physiologiques pour tolérer le manque d’oxygène (ou hypoxie). Pourtant, à la Rinconada, environ 20 à 25% des habitants souffrent de l’hypoxie et développent ce qu’on appelle le “mal chronique des montagnes”. Ils produisent des globules rouges en grande quantité (on appelle cela la polyglobulie), ce qui rend leur sang trop visqueux et entraîne une ribambelle de symptômes (essoufflement, palpitations, perturbations du sommeil, cyanose, varices, paresthésies, céphalées, acouphènes...).

Ce mal chronique des montagnes est différent du “mal aigu des montagnes” que la moitié des alpinistes expérimentent lorsqu’ils grimpent au-delà de 4000 mètres, même si certains symptômes peuvent être proches (maux de tête, nausées, fatigue, trouble du sommeil jusqu’à œdème pulmonaire ou cérébral…).

L’Expédition 5300, qui a pour but d’étudier les effets de l’hypoxie dans la ville la plus haute du monde est une première mondiale.

La phase 1 de l’expédition - 28 janvier au 3 mars 2019

Cette expédition d’une équipe internationale d’une dizaine d’experts (physiologistes, chercheur sur la drépanocytose, cardiologue, médecin spécialiste du sommeil, interne, médecin et étudiants péruviens) est dirigée par le Grenoblois Samuel Vergès, chercheur au sein du laboratoire “Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaire et respiratoire” (Inserm/Université Grenoble Alpes), un laboratoire leader sur l’étude de l’hypoxie.

Les objectifs de cette première phase de l’expédition sont multiples :

  • Etudier la population la plus haute du monde sur les plans génétique, hématologique et cardiovasculaire
  • Comprendre les mécanismes d’adaptation à l'altitude 
  • Apporter un soutien logistique et médical
  • Trouver des pistes pour guérir les patients souffrant de carences d'oxygène

Pour l’occasion, l'équipe a donc créé un laboratoire éphémère de physiologie et biologie humaine, dans trois lieux différents :

  • Lima, altitude 0 - étude de 20 volontaires (sujets contrôles)
  • Puno, altitude 3800 - étude de 20 volontaires
  • La Rinconada, altitude 5300 - bilan de santé sur plus de 800 personnes et étude plus poussée de 50 volontaires, des hommes âgés de 18 à 55 ans, nés à une altitude supérieure à 3500 m et qui vivent à La Rinconada depuis au moins 3 ans, la moitié d’entre eux développant un mal chronique des montagnes


Les résultats de cette première phase sont impressionnants ! Les chercheurs ont constaté des adaptations sanguines jamais mesurées jusqu’alors chez l’homme :

  • Une quantité de globules rouges et d’hémoglobine exceptionnellement élevées (2 kg de globules rouge dans leur sang contre 600 à 700 g chez nous, une hématocrite - ou volume occupé par les globules rouges dans le sang - pouvant atteindre 85% contre 40 à 45% chez nous en moyenne)
  • Une Viscosité du sang très élevée - 3 fois supérieure à la nôtre (mais étonnamment tolérée), ce qui fait dire à Samuel Vergès : “Si on nous transfusait ce sang, nous aurions un accident vasculaire ou cardiaque en quelques minutes ou quelques heures. Nous avions même du mal à leur prélever le sang de la veine, il fallait l’aspirer ; nos machines se bouchaient
  • Des vaisseaux extrêmement dilatés sans marge d’adaptation supplémentaire
  • Un cœur dilaté faisant face à une charge de travail très élevée
  • Des pressions artérielles pulmonaires moyennes les plus élevées jamais mesurée, en particulier à l’effort
  • Un état d’inflammation et de stress oxydant permanent

La phase 2 de l’expédition - 27 janvier au 28 février 2020

Cette année, une équipe similaire d’une douzaine de chercheurs retourne à La Rinconada. Leurs objectifs : collecter de nouvelles données et proposer un protocole de soins aux habitants présentant le mal des montagnes. Actuellement, aucun soin n’est proposé à ces mineurs, la ville ne disposant pas d’hôpital.

Les chercheurs vont donc mettre en place un essai clinique contrôlé randomisé, c’est-à-dire qu’ils prescriront - à l’aveugle - à un groupe des médicaments habituellement donnés à des personnes qui montent en haute altitude et à un autre groupe un placebo. Ils constateront l’effet (ou non) du traitement après 3 semaines puis dans 6 mois, à l’occasion d’une nouvelle expédition en août prochain.


L’équipe espère ainsi déterminer des prises en charge médicales adaptées pour les habitants de la Rinconada et plus largement pour les habitants de haute altitude. Elle souhaite ainsi mieux comprendre et prendre en charge les pathologies à composante hypoxiques et pourquoi pas mieux accompagner les résidents de plaine se rendant en altitude et souffrant du mal aigu des montagnes ou encore les personnes souffrant d’une pathologie les privant d’oxygène comme les pathologies pulmonaires.

Par ailleurs, “Expédition 5300” souhaite aussi participer à la formation des futurs médecins péruviens et aider plus largement la population de La Rinconada, par exemple en apportant des fournitures scolaires aux enfants.

Un autre point fort de l’Expédition 5300

Une des particularités de ce projet est la place accordée à la communication et la vulgarisation. Ainsi, lors de la première phase de l’expédition, une partie de l’équipe a tenu un carnet de bord sur leur site web, sur les réseaux sociaux ainsi que sur le site de Sciences et Avenir. Des duplex ont été mis en place pour communiquer en direct avec des collégiens.

Un documentaire vidéo a été tourné. Diffusé en avant-première à Grenoble le 8 janvier dernier, il se fera bientôt une place dans divers  festivals de films scientifiques et de films de montagne. Enfin, une plateforme de dons vient d’être lancée, pour soutenir ce projet scientifique et humanitaire dans la ville la plus haute du monde !


Pour en savoir plus :

Crédit photos : Tom BOUYER pour Expédition 5300