Des champignons sur la falaise
Publié par Marjorie Bison, le 10 février 2014 3.5k
Marjorie a rencontré Julien, qui travaille dans une branche originale de l’écologie : celle qui étudie les microbes en milieu extrême.
Julien Roy est actuellement en fin de thèse au Laboratoire d'Ecologie Alpine (LECA, Unité Mixte de Recherche 5553 associant des chercheurs du CNRS, de l’Université Joseph Fourier et de l’Université de Savoie) de Grenoble. Il a exploré pendant 3 ans les communautés microbiennes des sols alpins. Aujourd'hui, il nous explique un de ses résultats récemment publié dans la revue Frontiers in microbiology (1). On découvre que dans le milieu extrême que constituent les falaises, certaines espèces de champignons peuvent se développer grâce à la présence de la plante en coussin, Silene acaulis, alors que cela ne leur est pas possible à l'extérieur de la plante.
Les plantes en coussin : des oasis en falaise ?
« Les environnements de haute montagne - 2000 à 3000 mètres d'altitude - sont caractérisés par de faibles températures d'air et de sol, de fortes radiations solaires, une forte exposition au vent et des sols nus, c'est-à-dire sans matière organique » nous explique Julien. Les plantes en coussin, résistantes à ces contraintes, font partie des quelques espèces végétales pouvant se développer dans ces milieux difficilement colonisables : ce sont donc des plantes pionnières. Leurs caractéristiques ? Elles forment des tapis compacts de faible hauteur pouvant atteindre 60 centimètres de diamètre. Fait notable dans ce milieu extrême, elles permettent la formation de novo d'un sol issu de l'accumulation de ses propres tissus vivants et morts. De plus, leur stature compacte favorise l'augmentation de température, de disponibilité en nutriments (carbone, azote, phosphore) et de contenu en eau, comparé aux sols nus adjacents. Ainsi, les plantes en coussin forment un habitat favorable au développement de certaines espèces de champignons.
A la découverte des communautés de champignons
Étudier en falaise n'est pas chose facile…parfois même dangereux ! Malgré tout, Julien et son équipe se sont rendus sur différents sommets des Hautes-Alpes - le massif calcaire des Cerces et le massif siliceux des Combeynots - dans le but de récolter des sols à l'intérieur et à l'extérieur des plantes en coussin. « Évidemment, nous ne prélevions qu'une partie de la plante en coussin. Le procédé serait sinon trop destructeur. » précise Julien. Une partie de leur prélèvement a servi à déterminer les conditions abiotiques (contenu en eau, pH, concentrations en nutriments) du sol. L'autre a permis d'identifier les communautés de champignons grâce à l'extraction et au séquençage de l'ADN de ces micro-organismes présents dans le sol.
En comparant les communautés de champignons à l'intérieur et à l'extérieur des coussins, Julien s'est rendu compte que les compositions d’espèces variaient. « Cette différence de communauté est très prononcée dans les milieux très pauvres en nutriments et en eau, avec un pH acide » ajoute-t-il. Enfin, il nous confirme que cette différence est liée à une augmentation du pH et une plus forte concentration en nutriments dans les coussins. Les coussins agissent donc comme un filtre d'espèces, contre-carrant l'influence du type de roche et la limitation en ressources. « Les résultats obtenus offrent de belles perspectives de recherche. Comprendre le rôle des champignons dans l’écologie et l’évolution des espèces coussins est une voie que j'aimerais continuer à explorer. » confie-t-il.
>> Note :
- Roy et al. (2013), Microbes on the cliff : alpine cushion plant structure bacterial and fungal communities. Frontiers in microbiology, 4(64)
>> Illustrations : Stephan Rebernik (Flickr, licence cc), Julien Roy