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Vertige du cerveau

Publié par Antoine Depaulis, le 4 octobre 2016   13k

Nous sommes nombreux à être très mal à l'aise et angoissés devant le vide, même quand le risque est très faible. Une phobie ? Une maladie ? Notre cerveau a besoin de plusieurs sources d'information pour assurer l'équilibre de notre corps et, souvent, il se fie un peu trop à la vision...

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je vais en montagne et que je marche le long d'une falaise, mes jambes deviennent toutes molles, mon cœur s'accélère et j'ai une furieuse envie de m'éloigner ou au contraire de sauter dans le vide. L'idée même qu'il va y avoir un passage "avec du gaz" au cours d'une randonnée à pied ou à ski peut me gâcher le plaisir d'être dans la nature, avec des amis et d'admirer un paysage grandiose. Et pourtant tout va bien par ailleurs. Pas de trouble de l'équilibre, pas de "vertige" et mon dernier IRM en tant que "sujet sain" (hé oui, c'est ça aussi la vie de chercheur !) était bien comme il faut !

Alors c'est quoi cette peur idiote du vide ou de l'immensité ? Un manque d'habitude (c'est vrai que je suis un "jeune" montagnard) ? Un manque de technique (je reste un piètre skieur) ? Un manque de confiance en moi (si si !) ? Qu'est ce qui se passe dans mon cerveau quand je marche le long d'une pente raide ou d'une falaise et que je n'arrive plus à regarder autour de moi et à me comporter normalement ?

L' appréhension du vide

Cette appréhension du vide ou acrophobie, nous sommes en fait très nombreux à l'avoir et depuis la nuit des temps (1). Elle peut-être salutaire bien souvent et nous rendre prudents. Une peur "physiologique" en quelque sorte qui va activer sans doute nos circuits de la substance grise périaqueducale et nous inciter à fuir ou à nous immobiliser (voir aussi) ou en tout cas à être vigilant. Très bien !

Mais souvent, le risque est bien faible (le chemin est large, la pente n'est pas si raide, une chute dans la neige ne serait pas si grave) et pourtant, rien ne va plus ! Il ne s'agit pas vraiment d'une phobie (dans ce cas, je serais resté à la maison), ni d'un syndrome vestibulaire. C'est plutôt comme si mon cerveau n'arrivait pas à concilier des informations différentes pour assurer l'équilibre de mon corps. Sacrée responsabilité en effet ! Et cela n'arrive pas qu'en montagne. La peur de tomber peut aussi affecter certains lorsqu'ils vont sur leur balcon ou montent sur un escabeau...

Le contrôle de l'équilibre

Pour éviter que je ne tombe, mon cerveau intègre un ensemble d'informations qui proviennent de différentes parties de mon corps qui sont en contact avec le sol (mes pieds en particulier) et de l'ensemble de mes articulations. La tension de mes muscles, la position de mes articulations... Tout ça est envoyé à mon cortex somatosensoriel et constitue la proprioception. A ces informations s'ajoutent celles de mon oreille interne et plus précisément de mon système vestibulaire, sorte de petit bretzel qui se situe dans l'oreille et qui indique la position de ma tête et de mon corps par rapport à la gravité. Hop-là !

système labyrinthique de l'oreille interne

Mais surtout, toutes ces informations sont confrontées avec les informations visuelles qui jouent un rôle fondamental dans notre équilibre. Il suffit de fermer les yeux pour s'en rendre compte. Essayez donc de tenir debout sur une jambe, les yeux fermés ? Les informations venant de vos pieds et de votre petit bretzel... pardon, votre oreille interne, ne suffisent pas pour garder votre équilibre !

Une grande partie de la sensation de vertige semble être due à une véritable "dépendance" aux informations visuelles (2). Normal, me direz-vous ! On vit dans un monde visuel et plus on reste assis devant sa télé ou son ordinateur à regarder des images, plus on devient dépendant de ce type d'information sensorielle au point d'en oublier les informations provenant de notre corps. De surcroît, nous avons du mal, la plupart d'entre nous, à appréhender la verticalité, comme le rappelait Laurent Vercueil avant l'été (voir ici)... Alors, quand ces repères visuels s'éloignent ou deviennent incohérents par rapport à nos informations proprioceptives, un sentiment d'anxiété et une sensation de balancement du corps apparaissent, qui peuvent facilement être reproduits au laboratoire chez des sujets qui souffrent d'acrophobie (2).

De plus, les randonnées en montagne nécessitent parfois de marcher différemment. A l'amble par exemple : bras droit et jambe droite en même temps et inversement ! Essayez donc de marcher à l'amble et vous verrez ce qu'il en est de votre équilibre. Enfin, nos émotions, la peur en particulier, peuvent induire une instabilité posturale et notre réaction devant le vide est souvent de positionner notre corps vers l'arrière, une réaction, là encore, qui peut être étudiée au laboratoire (3). Il peut ainsi se créer une sorte de cercle vicieux où notre peur du vide nous fait prendre une posture qui ne fait qu'aggraver notre manque d'équilibre et donc augmente notre peur... Arrrrgh !

Alors que faire?

Arrêter de regarder la télé pour devenir moins "visiodépendant" est surement une bonne idée, de toute manière, mais ne suffit sûrement pas... Il existe plusieurs "trucs" pour compenser sur le terrain le déséquilibre entre nos informations proprioceptives et visuelles : une corde, un bâton peuvent souvent faire l'affaire lors d'un passage difficile en donnant un repère visuel proche, une sorte de "premier plan". Dans certains cas, d'autres astuces (foulard sur la tête, crayon entre les dents... un truc pour Takayuki Ito ça!, stimulation de la coordination motrice) sont très efficaces et une "rando-atelier" avec Béatrix Voigt, accompagnatrice en montagne, vous fera découvrir cela avec bonheur, humour et dans un cadre merveilleux (maison des guides de Grenoble).

Mais pour être plus efficace, c'est un véritable entrainement de notre proprioception qui est nécessaire. (Ré)apprendre à garder notre équilibre, à percevoir le sol avec nos pieds, à écouter notre corps, à percevoir son positionnement, ré-équilibrer (c'est le cas de le dire !) les informations visuelles et proprioceptives. L'utilisation de systèmes utilisant la réalité virtuelle semble également donner de bons résultats (4,5). Nourrir notre cerveau d'informations autres que visuelles permet sur le long terme d'atténuer cette visio-dépendance dans la plupart des cas. Là aussi, les conseils de Béatrix Voigt sont très utiles (j'ai essayé !).

Ainsi, les activités physiques qui stimulent la proprioception et le contrôle de l'équilibre (yoga, pilates, tai-chi, danse, surf, cirque, etc...) et, de façon générale, toutes les activités qui sollicitent le corps et la tête dans plusieurs axes de mouvement, activent nos circuits nerveux impliqués dans l'intégration de toutes les informations nécessaires pour garder une posture correcte... et rester serein quand le vide est là...


>> Notes

Article écrit avec l'aide de Béatrix Voigt, accompagnatrice en montagne.

La photo de couverture a été prise lors de la traversée (illégale !) par le funambule Philippe Petit le 7 août 1974 sur un câble tendu entre les deux tours du Word Trade Center à New York qui venaient d'être terminées. Un exploit qui a inspiré Colum McCann pour son livre "Et que le vaste monde poursuite sa course folle".

  1. Brandt T, Huppert D. Fear of heights and visual height intolerance. Current Opinion in Neurology. 2014 Feb;27(1):111–7.
  2. Hüweler R, Kandil FI, Alpers GW, Gerlach AL. The impact of visual flow stimulation on anxiety, dizziness, and body sway in individuals with and without fear of heights. Behav Res Ther. 2009 Apr;47(4):345–52.
  3. Davis JR, Campbell AD, Adkin AL, Carpenter MG. The relationship between fear of falling and human postural control. Gait Posture. 2009 Feb;29(2):275–9.
  4. Coelho CM, Waters AM, Hine TJ, Wallis G. The use of virtual reality in acrophobia research and treatment. J Anxiety Disord. 2009 Jun;23(5):563–74.
  5. Emmelkamp PMG, Krijn M, Hulsbosch AM, de Vries S, Schuemie MJ, van der Mast CAPG. Virtual reality treatment versus exposure in vivo: a comparative evaluation in acrophobia. Behav Res Ther. 2002 May;40(5):509–16.