Qu'est-ce que ça fait d'être un zombie ? le cas de l'épidémie de zombies à New York en Juillet dernier
Publié par Laurent Vercueil, le 17 décembre 2016 6.4k
"What is it like to be a bat ?" (Qu'est-ce que ça fait d'être une chauve-souris ?) se demandait le philosophe Thomas Nagel dans un article célèbre de 1974, portant sur la possibilité d'une connaissance de ce qu'est la conscience (là).
Et zombie ? Ça fait quoi d'être un zombie ? C'est certainement la question que se sont posés les médecins amenés à examiner une douzaine de personne déambulant zombiesquement dans Brooklyn, le 12 juillet dernier, à l'occasion d'une intoxication par l'AMB-FUBINACA, un cannabinoïde de synthèse, d'après l'article paru ce 14 décembre dans le New England Journal of Medicine (et disponible en ligne, ici).
La zombitude, c'est quoi ? Lorsque les auteurs décrivent le cas princeps, le patient "index", considéré comme emblématique, ils insistent sur certains points qui seraient évocateurs : "he was described by EMS providers at the scene as being slow to respond to questioning and as having a “blank stare.”. Plus loin : "He had intermittent periods of “zombielike” groaning and slow mechanical movements of the arms and legs". L'état du patient s'améliora progressivement en 9 heures.
Un zombie est lent, un zombie émet des sons peu articulés, un zombie a l'air absent et se déplace de façon mécanique.
Ce 12 juillet, pas moins de 33 personnes auraient répondu à cette description, et ont permis au média de parler d'une épidémie de zombies. L'enquête menée par les auteurs a permis l'identification du coupable, le fameux AMB-FUBINACA, cannabinoïde synthétisé par Pfizer il y a 8 ans, et retrouvé, sous la forme de l'un de ses métabolites, dans les prélèvements des sujets intoxiqués, ainsi que dans le produit qui leur avait été fourni, sous le nom pour le moins sexy, d'AK-47 (les dealers ont de l'imagination). Le AMB-FUBINACA s'avère 85 fois plus puissant que le Δ9-THC sur le récepteur cannabinoïde 1, et 50 fois plus que JWH-018, mieux connu comme le K2 qui s'était rendu responsable d'une précédente épidémie de zombies... En somme, quelque chose comme un super-cannabinoïde, un genre de karcher de l'esprit.
C'est ce qui frappe les témoins : ces personnes au regard vide, qui déambulent en grognant, semblent déshabités. Un corps sans esprit : un zombie.
Voilà qui me rappelle un débat aux Utopiales de Nantes 2016, confrontant les points de vue de Pierre Bordage, écrivain de science-fiction et Denis Vidal, anthropologue. La question portait sur la possibilité de "machines spirituelles", l'insertion d'un esprit dans la machine. L'anthropologue rappelait que la séparation des objets et des "esprits" était inscrite dans la culture occidentale, relativement circonscrite et que l'attribution d'un esprit à des choses, des animaux non humains, était fréquente dans de nombreuses cultures non occidentales.
En somme, d'un côté, le zombie, corps sans esprit et de l'autre, l'esprit dans la machine.
A l'occasion d'une intoxication massive à New-York, les passants, les médecins, dénient la présence d'un esprit à des corps qui déambulent en grommelant. De l'autre, des machines à qui on pourrait prêter une conscience... C'est bien là, le point de rencontre : on prête, ou pas, un esprit à quelqu'un, ou quelque chose.
L'esprit (entendu ici comme la conscience) est quelque chose qui est prêté.
Conscient de lui-même, il n'est à l'être humain d'autre possibilité que de prêter à l'autre une conscience qui lui serait similaire. Le premier pas de l'empathie : je fais le pari que l'autre est aussi conscient que moi.
Cette attribution n'est pas arbitraire. Elle s'appuie sur des indices, dont le premier est la réciprocité. Je prête une conscience à qui manifeste l'intention de reconnaître la mienne.
Peut-être est-ce là le principal reproche fait aux zombies : il semble bien que l'on n'existe plus pour eux...
>> Image : Eden, Janine and Jim, Flickr, licence cc