Le rythme circadien à l'honneur : Prix Nobel 2017 de Physiologie et Médecine
Publié par Hélène Mottier, le 20 février 2018 7.1k
A l'occasion de la Semaine du Cerveau (12-18 mars 2018) dont le thème cette année est le temps et le mouvement, nous vous proposons de revenir sur le Prix Nobel 2017 de Physiologie et Médecine décerné à trois chercheurs américains : Jeffrey C. Hall, 72 ans, Michael Rosbash, 73 ans et Michael W. Young, 68 ans, pour leurs découvertes sur les mécanismes moléculaires qui régissent le rythme circadien des êtres vivants.
Les expériences dites "hors du temps" avaient mis en évidence dès 1962 qu’en l’absence d’indices externes sur le cycle jour-nuit, le corps continue à avoir un rythme régulier d’environ 24 heures. Les cycles veille-sommeil et les comportements alimentaires seraient alors contrôlés de manière endogène -par les gènes- en interaction avec l’environnement externe tel que l’exposition au soleil. Ce n’est cependant qu’à partir des années 70, avec le début des recherches sur l’ADN, que commence la compréhension des mécanismes moléculaires sous-jacents à l’observation de ces comportements régulés par notre horloge biologique.
Comment ça fonctionne ?
En 1971, Seymour Bender découvre chez la drosophile (ou « mouche du vinaigre ») le gène du rythme circadien : le gène période. Ce gène transcrit la protéine période (PER) qui contrôle les rythmes circadiens à un niveau cellulaire. Toutefois, cela n’explique pas la périodicité de la production de cette protéine. En 1988, partant du modèle de la drosophile de Bender, l’équipe de Hall découvre que la protéine PER produite dans le noyau de la cellule, se disperse dans le cytoplasme des cellules de la drosophile et que sa concentration augmente durant la nuit alors qu’elle diminue en journée. La découverte de la production cyclique de la protéine PER laisse supposer que cette protéine « éteint » l’expression de son propre gène, mais le mécanisme reste encore inconnu.
En 1992, la même équipe de chercheurs met en évidence le rôle d’un nouvel acteur dans le mécanisme du rythme circadien : la protéine Timeless (TIM ; de l’anglais intemporel). La découverte de cette protéine confirme l’existence d’une boucle rétroactive de la production de la protéine PER. Sans la protéine TIM, la protéine PER ne peut pas entrer dans le noyau de la cellule. Lorsque la concentration de PER est en trop grande quantité dans le noyau, le gène période réduit sa production de protéine PER.
Les protéines PER et TIM sont en réalité insuffisantes pour expliquer tout le mécanisme et c’est l’équipe de Young qui, en 1998, met en évidence le rôle d’une troisième protéine : la protéine DoubleTime (DBT ; de l’anglais double temps). Cette protéine a pour fonction de « stabiliser » la concentration de la protéine PER dans le cytoplasme afin de créer un délai de sorte que le gène période ne produise pas en trop grande quantité la protéine PER.
Enfin, lorsque la concentration de PER dans le noyau de la cellule devient trop faible, l’ensemble du processus recommence.
Ainsi, l’équipe de recherche de Hall et Rosbash ainsi que celle de Young, ont contribué en très peu de temps (environ 10 ans) à la découverte des mécanismes moléculaires qui règlent la machinerie de l’horloge biologique des êtres vivants à une période où les connaissances scientifiques en génétique étaient à leurs prémices : c’est un véritable cycle interne qui mime nos jours et nos nuits sur terre !
Quelles conséquences sur la santé ?
Ces découvertes sur les mécanismes moléculaires qui régissent notre horloge biologique, en plus de contribuer à notre compréhension du fonctionnement physiologique des êtres vivants –dont l’être humain-, ont également des conséquences importantes dans les recherches sur la santé et les traitements pharmaceutiques.
En effet, notre horloge biologique régule des fonctions physiologiques critiques pour notre santé physique et psychologique telles que le taux d’hormones, la température physique, l’endormissement et plus généralement le métabolisme. Or, un désalignement chronique de notre horloge interne avec l’environnement extérieur est associé à l’augmentation des risques de différentes maladies (dérèglements hormonaux, insomnie). Nous comprenons désormais mieux les effets négatifs, sur différentes fonctions physiologiques, des ruptures du rythme circadien à moyen et long terme, liés à nos styles de vie (décalage horaire, travail de nuit, etc.). Plus directement, la compréhension de ces mécanismes nous permet de mieux appréhender certaines pathologies chroniques du rythme circadien comme le syndrome non 24h qui engendre une perte des repères chronobiologiques par l’organisme ayant des conséquences graves sur la santé physique et mentale des individus.
Ces découvertes ont par ailleurs d’importantes implications dans le développement des médicaments pharmaceutiques concernant leur efficacité et leur toxicité. L’efficacité des médicaments est influencée par notre horloge biologique de manière plus ou moins directe. De fait, l’enjeu actuel est d’optimiser le temps et la fréquence du dosage des médicaments existants et nouveaux en tenant compte de la chronobiologie (i.e., étude de l’organisation temporelle des êtres vivants).
Rédaction et représentation schématique :
Hélène Mottier
Doctorante en Psychologie cognitive du développement
Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition, LPNC
Université Grenoble-Alpes
CNRS UMR 5105
References
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Hall, J. C., Rosbash, M., & Siwicki, K. K. (1992). Block in Nuclear Localization of period Protein by a Second Clock Mutation, timeless. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 89, 11711.
Price, J. L., Blau, J., Rothenfluh, A., Abodeely, M., Kloss, B., & Young, M. W. (1998). double-time is a novel Drosophila clock gene that regulates PERIOD protein accumulation. Cell, 94(1), 83-95.
Siwicki, K. K., Eastman, C., Petersen, G., Rosbash, M., & Hall, J. C. (1988). Antibodies to the period gene product of Drosophila reveal diverse tissue distribution and rhythmic changes in the visual system. Neuron, 1(2), 141-150.
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