Les Savanturiers du Cerveau (S02EP03) : Réveiller la curiosité pour les apprentissages
Publié par Laurent Vercueil, le 17 janvier 2021 1.5k
Avec Aude, professeure de collège et sa classe de quatrième à Bruz, nous avançons sur la voie de la curiosité en classe (pour rappel : premier épisode ici, et deuxième là). Après avoir identifié l'information comme principale nourriture de la curiosité, les enfants devaient déterminer les mécanismes de la curiosité : Comment elle se met en marche ?
Pour cela nous avions proposé de prendre connaissance d'une seule photo parmi trois proposées. Les photos sont prises par notre héroïne, la singe macaque à crête d'une île indonésienne Sulawesi, nommée malicieusement Naruto. Seul le contexte de la prise de la photo est connu. C'est la connaissance de ce contexte qui peut les inciter à voter pour connaitre la photo en question.
Dans le premier cas, nous voyons Naruto photographier un éléphant. Nous disposons donc de beaucoup d'information sur ce que peut être la photographie mystère.
Dans le second cas, l'appareil de Naruto est en mode "rafale", elle aura donc de très nombreuses photographies dont une seule pourra être visionnée. Nous n'avons donc aucune information sur ce que peut être la photographie mystère.
Enfin, dans le troisième cas, nous ne voyons que l'expression du visage de Naruto. Nous disposons d'une information sur la nature de la photographie mystère : elle a suscité une réaction particulière chez Naruto.
Les enfants sont appelés à voter, à bulletin secret pour ne pas s'influencer, en faveur de la photographie qu'ils souhaitent voir. Ils disposent donc de trois niveaux d'information sur la nature de la photographie : 1) Ils disposent de toute l'information, 2) ils disposent d'aucune information, 3) ils disposent d'une information indirecte, partielle. Comment ces contextes vont-ils influencer leur curiosité ? C'est que le résultat des votes vont nous indiquer, non sans surprise !
Vingt-six collégiens ont pris part au vote. Voici comment ceux-ci se sont distribués :
13 votes se sont portés sur la photo 3 qui l'emporte donc, mais aussi 11 sur la photo 1 ! Deux seulement sur la photo 2. J'avoue avoir été étonné par le score élevé reçu par la première photographie. Mais les commentaires sont éclairants :
- Pour la photographie 3, les justifications du choix collectés par Aude sont celles qui étaient en effet attendues : "Car la photo leur semble intéressante (2), 3 sont intrigués et 8 par rapport à la tête de Naruto".
- Pour la photographie 2 : "Pour voir les photos prises en mode rafale" (bien qu'il leur ait été dit qu'une seule serait visible)
- Pour la photographie 1 : "Car la photo semble bien prise (4) et pour voir l'éléphant (4)" !
Je ne m'attendais pas à ces dernières réponses. Elles m'ont fait sourire. La curiosité peut s'exercer aussi à la marge, sur des critères ("j'aime les éléphants", "la photographie doit être belle") qui sont individuels, bien sûr !
Mais retour à notre programme : En partant de ce résultat, nous avons à présent l'objectif de faire avancer les enfants sur les trois points suivants :
1) Seule la troisième photo apportait une information pertinente suggérant un effet possible de dévoilement. Pour la 1, on sait déjà ce qu’il y aura dessus (trop d'information), pour la 2, il y a tellement de photos qu’une au hasard n’aura aucun intérêt (pas assez d'information). Pour la 3, on connaitra ce qui a causé l’expression du visage de Naruto.
2) Comment sait-on que la troisième photo peut apporter une information ? Parce qu’elle présente un indice, justement : l’expression du visage de Naruto. C’est donc parce que l’on dispose d'une partie de l’information que l’on souhaite en savoir plus. C’est comme ça que marche le teasing (on peut leur faire évoquer les bandes annonces des films : donner un peu d’information mais pas trop). La curiosité, c’est précisément la perception de ce « gap » informationnel : j’en sais un peu, mais pas trop, et ça me donne envie d’en savoir davantage. Les créateurs des bandes d’annonce de film jouent sur ce petit manque : j’en sais un peu, mais pas trop. Un peu (c’est-à-dire plus que pour la photo 2, il y a trop de photos) mais pas trop (comme sur la photo 1 : je sais ce qu’est l’éléphant).
3) Enfin, quelle est la nature, en l'occurrence, de cette information ? Pourquoi suscite-t-elle autant la curiosité ? Parce que c’est une émotion qui se peint sur le visage de Naruto. Et les émotions sont des facteurs crucieux de communication. Pourquoi ce que voit Naruto (et qu’elle prend en photo) suscite cette expression de surprise (ou de peur ? ou d’autre chose ? on peut demander aux enfants) ? Cela nous intéresse. Forcément.
A suivre...
(Les acquarelles sont réalisées par Leïla Vercueil, encore un grand merci à elle)