Le petit vélo dans la tête : histoire d'une bande dessinée sur le cerveau
Publié par Laurent Vercueil, le 26 août 2021 4k
Voilà une histoire qui mérite d'être racontée. Elle remonte à quelques années, et, surtout, elle trouve son origine sur...atoutcerveau.fr ! ici même ! Et comme son aboutissement (une bande dessinée publiée dans la collection ComicScience d'Humensciences) est désormais acté avec la parution du 25 aout, c'est l'occasion de lever le voile sur la genèse de ce beau bébé.
L'histoire commence, courant 2016, lorsque je suis contacté par la bibliothécaire de la Fée verte au Grand-Lemps (38). La Médiathèque intercommunicale de Bievre Est est une magnifique réalisation, située dans l'ancienne distillerie Dutruc, qui a été inaugurée en 2014. Intéressée par les billets d'atoutcerveau, la bibliothéquaire me sollicite pour une conférence.
Pour être précis, la proposition qui m'est faite est celle d'une conférence sur le cerveau, à l'occasion d'une exposition temporaire sur le thème qui a été installée dans la médiathèque. A l'époque, je travaille au projet de livre "Chatouilles et autres petits tracas neurologiques" (à propos). Je suis donc plongé dans les manifestations étranges du quotidien et je trouve que c'est une façon efficace et stimulante d'aborder le cerveau et son fonctionnement à partir des petits faits banals et non de ses réalisations les plus extraordinaires. L'idée principale est de montrer comment le plus insignifiant détail peut mobiliser des facultés incroyables du cerveau. La conférence que je propose s'intitule donc "Le voyage extraordinaire de Monsieur Cerveau au cours d'une journée ordinaire". Avec le public, dans une salle animée où se côtoient enfants, ados et têtes chenues, nous parcourons ensemble une journée toute simple, en abordant de façon chronologique les différents moments qui jalonnent notre quotidien : du réveil, jusqu'au coucher.
L'expérience était vraiment plaisante, les échanges avec le public nourris, et la soirée a bien fonctionné, je trouve.
L'année suivante cependant (2017), sort "Chatouilles et autres petits tracas neurologiques" et je mets le sujet de la "journée du cerveau" entre parenthèses. A l'automne 2018, je participais, pour y présenter "Chatouilles.." au salon des "Livres en Marche". Rien à voir avec un programme présidentiel, c'est une grande manifestation annuelle qui se tient dans le petit village des Marches, non loin de Chambéry en Savoie, à la fin du mois de novembre (https://livresenmarches.com/sa...). J'y rencontre alors le dessinateur Gilles Macagno, qui a œuvré dans de nombreux domaines scientifiques, à la fois comme auteur et comme illustrateur (il faut voir sa liste de réalisations, elle est vraiment impressionnante). Gilles a un coup de crayon étonnant, à la fois plein d'humour et qui sait aller dans le détail des choses. Un alliage remarquable entre la précision à apporter et la libre évocation que permet le dessin : si le dessin est trop précis, il devient académique, comme une planche d'anatomie, il se referme sur lui-même et il n'y a plus rien à dire, inversement, s'il se libère trop de son sujet (dans un souci artistique), chacun finit par y voir ce qu'il veut et le lecteur peut se perdre. Le dessin doit donc parvenir à la fois à donner des informations (précision) et doit permettre la divagation (évocation), afin de pouvoir faire des liens, de comprendre davantage encore que ce qui est montré. C'est l'avantage du dessin sur le texte nu et c'est pourquoi il est dit qu' "un bon dessin vaut mille mots".
Gilles a très envie de s'emparer du sujet du cerveau. Cela manque encore à son fabuleux terrain de chasse. Il a aimé "Chatouilles" et nous discutons des possibilités qu'offrirait une collaboration. C'est alors que je me souviens de la conférence du Grand-Lemps : se saisir du prétexte du déroulement d'une journée, tout ce qu'il y a de plus ordinaire comme journée, pour y développer les situations du point de vue de ce qui se passe dans le cerveau. Gilles est gagné par l'enthousiasme et notre éditrice aussi ! Au boulot !
Il y a un vrai challenge à aborder une bande dessinée. Il faut d'abord conduire un récit, un vrai, qui puisse donner envie de parcourir cette fameuse journée. Ensuite, il faut y accrocher les sujets "cerveau", rebondir efficacement sur les situations, digresser sans alourdir. Pas facile. Puis, comme des données scientifiques sont abordées, il faut insérer des références, se donner la possibilité d'approfondir les sujets. Bref, la quadrature du cercle... Ne pas faire un traité, ne pas tomber dans le futile ou l'inexact. C'est pourquoi, nous développons une structure en trois strates : 1) La BD / C'est évidemment le corps du récit : tout ce qui arrive à nos deux personnages dans une journée d'allure banale. A travers ce récit, ce sont deux cerveaux que nous observons, avec les activités correspondants aux différentes situations. 2) Les propos / A la fin de chaque chapitre, un texte court ne fait que soulever des perspectives, mais il mentionne également des données et suggère des voies d'approfondissement, 3) Le glossaire et la bibliographie commentée / à la fin de l'ouvrage, deux parties viennent compléter l'ouvrage : un glossaire illustré et une bibliographie commentée. D'un côté, de quoi comprendre les termes qui sont utilisés ici ou là, de quoi situer une structure particulière du système nerveux, et de l'autre, des sources précises, articles et livres qui pourront motiver les plus curieuses et curieux de poursuivre leurs recherches ailleurs.
Le pari est donc de toucher un public large, en l'amenant à réaliser à quel point notre cerveau "ne s'arrête jamais". Comme le petit vélo sur lequel Einstein pédalait pour ne pas tomber, le seul moment où notre cerveau s'arrête, c'est quand il est mort.
Heureusement que nous l'avons, cet infatigable petit vélo dans la tête !
crédit photo (Médiathèque du Grand Lemps (38) : Gilles Aymard