Le Cerveau, combien de divisions ?
Publié par Laurent Vercueil, le 29 janvier 2017 7.4k
C'est Kordinian Brodmann, un neuropathologiste allemand, qui, le premier, a dressé, en 1909, une carte détaillée du cortex cérébral (1). En utilisation la coloration de Nissl, qui individualise les neurones, il a pu déterminer différentes architectures du cortex, en fonction de sa localisation à la surface du cerveau, lui permettant d'individualiser des régions sur la base de l'organisation des couches qui les constituent. A chaque aire corticale, numérotée de 1 à 52 (on fait précéder le numéro par les initiales de "Brodmann Area" : BA1, BA2, etc.), il a supposé des fonctions définies, dont certaines étaient déjà connues à son époque.
Le chiffre 52, pour 52 aires corticales de Brodmann, est un bon chiffre. C'est beaucoup (c'est plus que 2, 4 ou 10 aires cérébrales, par exemple, ou même 24), mais c'est raisonnable (c'est moins que 1 million ou 1 milliard d'aires).
Et puis, il y a 52 semaines dans une année (parfois 53, mais jamais 51). Aussi, 52 valeurs dans un jeu de cartes. Numérologiquement, 52 est un chiffre très pratique.
Bref, on peut imaginer parcelliser le cortex en 52 sections, multiplier ça par 2 pour les deux hémisphères et au final, continuer à réfléchir avec tout ça.
Mais il y a un problème.
Le problème, c'est que 52, ça va quand même être un peu trop juste.
La base de cette mosaïque cytoarchitectonique est donc l'étude histologique de cerveaux de sujets post-mortem. Avec l'avènement de l'imagerie cérébrale, il a été possible d'appréhender ce qui se passe dans le cerveau vivant. De plus, davantage que les corps cellulaires, l'IRM à haut champs (7 tesla) permet de fournir des images de la myéline, les fibres tendues entre les neurones. De sorte que ce qui est obtenu est une carte myeloarchitectonique du cerveau, qui inclue, outre les corps cellulaires (neurones, glie) les câbles qui connectent entre eux ces populations. Une carte qui ne fait pas que signaler les villes et les villages, mais aussi, les autoroutes, les départementales et les chemins de contrebande... De l'IGN pour ne plus se perdre dans les promenades cérébrales.
De sorte qu'on est passé ces dernières années de 50, à 100 puis, près de 200 aires distinctes dans le cortex. Ainsi, un article de 2016, publié dans Nature (2), qui, en utilisant les données multimodales acquises en IRM haute résolution chez 215 sujets sains, par le consortium international de l'Human Connectome Project (HCP), dénombrait 180 aires (pour chaque hémisphère). Chacune des aires était individualisable de ses voisines sur la base de modifications structurelles et fonctionnelles, avec des connexions qui lui étaient spécifiques, par exemple.
Voilà qui complexifie les choses...
L'analyse des corrélations fonctionnelles établies entre une tâche et l'activation d'une région du cortex reposait, jusqu'à présent, sur la cartographie établie par Brodmann. Mais il faut démultiplier la résolution anatomique ! Les images ont un grain qui est encore trop grossier : les aires corticales sont fusionnées, écrasées les unes sur les autres.
Tel Sisyphe, le scientifique doit reprendre son rocher dévalé pour le pousser à nouveau et tout aussi laborieusement, sur la pente. Porter le rocher tout en haut, et, sans illusion, s'attendre à ce qu'un nouveau vent, une nouvelle publication, le roule en bas. Quoi ? 180 aires corticales et non plus 52 ? Et combien en manque-t-il encore ?
Notes
(1) Brodmann, K.Vergleichende Lokalisationslehre der Grosshirnrinde in ihren Prinzipien dargestellt auf Grund des Zellenbaues (J. A. Barth, 1909); Brodmann’s Localization in the Cerebral Cortex (Smith Gordon, 1994) [transl. Garey, L.J.].
(2) Glasser F, et al. A multi-modal parcellation of human cerebral cortex. Nature 11 august 2016 | VOL 536 | 171-178