La loi de Brandolini ou le principe d'asymétrie du baratin : un défi pour les scientifiques
Publié par Laurent Vercueil, le 9 décembre 2016 150k
La loi de Brandolini s'énonce de la façon suivante : "La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer".
Pourtant, comme le rappelle Phil Williamson dans un article publié dans la revue Nature le 8 décembre 2016 (et qu'on peut lire ici), cela ne doit pas décourager les scientifiques de démonter, un par un et avec une infinie patience, affirmations sans preuves, racontards grotesques, prétentions pseudoscientifiques et irrémédiables baratins (profonds, pseudo-profonds ou pas du tout profonds).
Baratins et racontards, souvent alarmistes et complotistes, ont le vent en poupe, à la faveur des médias sociaux qui diffusent avec d'autant plus de célérité les informations que celles-ci paraissent choquantes, ou aller à contre-courant des conventions. C'est ce qu'on peut appeler le "scoopisme", propension à détecter, apprécier et propager un scoop, c'est-à-dire du neuf, de l'inattendu et du spectaculaire, dont il est attendu, par l'internaute qui le diffuse, qu'un peu de l'attention qu'il suscitera inévitablement lui reviendra en propre. En somme, celui qui relève, diffuse et amplifie la nouvelle extraordinaire, gagne aussi à être connu !
Gerald Bronner, dans l'excellent "La démocratie des crédules" (PUF, 2013) a décrit ces mécanismes d'influence via internet, amplificateur assourdissant des théories les plus fumeuses.
Aussi, et pour rendre compte de cette quantité énergétique colossale (1) nécessaire au "dégonflage" des baratins et racontards, on peut repérer plusieurs points relevant directement de l'asymétrie de Brandolini :
- Asymétrie de l'impact : la diffusion assure au baratin un impact bien plus élevé que tous les désamorçages qui suivent.
- Asymétrie de la rétention mnésique : la trace laissée dans la mémoire par le baratin est bien plus profonde que toutes informations qui viendront ensuite le démentir
- Asymétrie de l'onction : celui qui propage du baratin est oint d'une aura avantageuse, tandis que celui qui tente de ramener à la raison, est un rabat-joie, un pisse-froid, ou un tâcheron laborieux qui ne comprend rien à la gloriole de l'info.
Voilà à quoi doivent s'atteler ceux qui pensent qu'on vit dans un monde complexe, où tout ce qui brille n'est pas de l'or. Quitte à devoir labourer toujours le même sillon. Il faut imaginer Sysiphe heureux.
En fin d'article, P. Williamson appelle à contribuer sur internet, ou mieux, d'édifier des sites d'appréciation collective, type "Tripadvisor", qui permettrait de moduler les informations du web, pour améliorer la qualité globale de l'information sur le web. Les derniers évènements politiques, et peut-être, ceux à venir, soulignent cette nécessité vitale de donner à l'épreuve des faits toute sa place dans la culture du web.
>> Notes
- On peut mettre en équation cette somme énergétique (E) nécessaire au dégonflage, en fonction du caractère alarmiste de la prétendue information (A), du crédit attribué à celui qui la diffuse (C), et, not the least, du caractère "occulté", "secret", que le dévoilement courageux a permis de rendre visible (S). La quantité d'énergie nécessaire à la production de cette information (e) est généralement suffisamment nulle pour pouvoir être négligée (e tend vers 0). E sera d'autant plus important (E tend vers KOLOSSAL), que A, C et S sont significatifs.