L'odeur des larmes
Publié par Antoine Depaulis, le 26 mai 2016 11k
Les études réalisées par l'équipe de Noam Sobel (Rehovot, Israël) montrent que nous sécrétons des molécules qui peuvent être perçues par d'autres humains, alors qu'elles n'ont pas d'odeur perceptible. Ces molécules influencent notre cerveau... à notre insu.
Illustrations Alice Danneyrolles : http://alice-danneyrolles.com/
Comme tous les mammifères, notre corps émet des molécules qui peuvent être perçues, reconnues et qu'on appelle couramment des odeurs. Ces odeurs corporelles sont parfois déplaisantes, mais il en existe qui nous émoustillent plus que d'autres... En particulier, certaines molécules sans être perçues comme des odeurs, semblent avoir un effet sur l'activité de notre cerveau.
Ainsi, il y a 5 ans, l'équipe de Noam Sobel avait démontré que lorsque des hommes respirent un tissu imprégné de larmes récoltées chez des femmes regardant un film triste, leur réponse émotionnelle était augmentée, leur taux de testostérone diminué et l'activité de certaines régions du cerveau modifiée (les mêmes que celles qui sont mises en jeu lors d'un éveil sexuel) (1).
Pourtant, aucun des hommes ayant participé à l'étude ne pouvait percevoir une odeur particulière, ni faire la différence entre un coton imprégné de larmes et un autre imbibé de liquide physiologique. Certaines études avaient déjà suggéré l'existence d'une communication olfactive chez l'homme (2), mais le travail de l'équipe israélienne a permis pour la première fois de le démontrer de façon rigoureuse. Les chercheurs préfèrent appeler "modulateurs" ces signaux chimiques plutôt que "phéromones", car ils semblent plutôt moduler le comportement de l'autre. Les larmes des femmes pourraient ainsi atténuer le comportement aggressif ou sexuel d'un homme... s'il en perçoit le signal chimique. Noam Sobel raconte ces résultats révolutionnaires, non sans une certaine émotion, dans le documentaire "la poétique du cerveau" du Nurith Aviv .
Notre nez possède plus de 6 millions de neurones qui sont autant de récepteurs de molécules volatiles et près de 400 types différents ont été identifiés chez l'homme. Nous sommes des petits joueurs face à la plupart des autres mammifères. Les rongeurs, comme le rat par exemple, sont capables, eux, de vous indiquer, rien qu'à l'odeur, si vous allez marcher sur une mine ou si vous avez la tuberculose (3) !
Malgré nos performances modestes, nous sommes capables de reconnaître des molécules très différentes et la plupart du temps, de façon inconsciente. En effet, notre système olfactif emprunte des voies un peu plus "archaïques" que les autres systèmes sensoriels et qui sont étroitement connectées avec nos structures limbiques. Vous savez, celles qui pilotent nos émotions et que ce brave Proust a si bien évoquées ! Dans un article paru l'an dernier, l'équipe israélienne démontre que chaque individu a un assemblage de récepteurs olfactifs qui lui est propre et qu'il serait même possible de caractériser chaque habitant de la planète selon ses capacités olfactifs (4). Dis moi ce que tu sens et je te dirais qui tu es !
Oui, mais voilà, quand j'essaie d'aller renifler le visage de la personne qu'on me présente, j'ai rapidement des ennuis ! Alors, l'homme (et son cerveau) ont trouvé deux façons plus discrètes de glaner des informations olfactives émanant de leurs congénères. La première est sans doute la bise ou une simple embrassade. Rien que de très correct ! Pendant ce laps de temps, notre nez peut respirer l'odeur des larmes - ou des sécrétions lacrymales si vous préférez - et on vient de voir qu'elles sont porteuses d'informations sur l'état émotionnel de la personne et modifier l'état interne de celle qui les renifle. D'ailleurs, la vue de quelqu'un qui pleure nous incite souvent à faire un gros câlin, à rapprocher donc nos visages... et d'en savoir plus sur l'état émotionnel de la personne. Hé oui ! Le câlin n'est pas seulement réconfortant, il est informatif !
Attention, tout le monde n'embrasse pas tout le monde! Alors, le groupe de Noam Sobel a fait l'hypothèse que nos mains sécrètent, elles aussi, des molécules "communiquantes".
En analysant des gants portés par les expérimentateurs lors d'une solide poignée de main avec plusieurs cobayes humains, les chercheurs ont pu identifier plusieurs molécules communes mais non odorantes (5). Tiens, tiens! Mais si je renifle ostensiblement ma main après avoir salué quelqu'un, là aussi je vais passer pour un goujat. Et pourtant, les analyses des vidéo de l'équipe de Rehovot montrent que nous rapprochons la main serrée par l'autre de notre visage, de notre nez et, de plus, que nous inhalons. Tout ça, discrètement, quand la personne n'est plus là et de façon inconsciente! Une fois de plus, notre cerveau sait se tenir dans sa quête d'informations...
C'est donc une communication olfactive, personnalisée, inconsciente et bénéficiant de certains rituels, qui va influencer notre cerveau, le plus souvent à notre insu... En plus des odeurs, bien perçues comme telles et très informatives parfois !
>> Notes:
- Gelstein, S., Yeshurun, Y., Rozenkrantz, L., Shushan, S., Frumin, I., Roth, Y., Sobel, N., 2011. Human tears contain a chemosignal. Science 331, 226–230.
- L'exemple le plus classique est celui de la synchronisation des cycles menstruels chez des femmes qui vivent en communauté (syndrome du pensionnat).
- https://www.apopo.org/en/ ou cliquer ici
- Secundo, L., Snitz, K., Weissler, K., Pinchover, L., Shoenfeld, Y., Loewenthal, R., Agmon-Levin, N., Frumin, I., Bar-Zvi, D., Shushan, S., Sobel, N., 2015. Individual olfactory perception reveals meaningful nonolfactory genetic information. Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 112, 8750–8755.
- Frumin I, Perl O, Endevelt-Shapira Y, Eisen A, Eshel N. A social chemosignaling function for human handshaking. eLife. 2015.